Il y a dans la célébration de la victoire, la mise en scène de la verticalité propre au triomphe romain. Mais là où en 1998, la forme était très amateure et spontanée, post-moderne dans un «je-m’en-foutisme» des besoins de la société du spectacle, en 2018, la «communion populaire» des champions avec leurs supporters sonne complètement faux.
C’est une mise en scène de la peur de classe où l’on fait bien comprendre à la plèbe quelle est sa place et où l’on installe une machine de précision au service de la promotion des sponsors.
D’un côté de la barrière compacte de CRS, ceux qui réussissent, de l’autre côté, ceux qui ne sont rien. Cette barrière est physique, réelle, et principalement appuyée sur la peur.
Imaginez, nous sommes en 2018, les attentats et leurs victimes sont dans toutes nos têtes. Oui. Comme en Belgique, où la célébration populaire eut une toute autre forme pour ces grands champions que sont les Diables Rouges.
La véritable peur n’est pas seulement celle d’un possible attentat, elle est surtout la peur d’une élite, dont la supercherie du pouvoir est devenue trop visible, du débordement populaire.
Que faire si comme en 1998, le bus se retrouvait coincé sur les Champs ? Les champions survivraient-ils à une telle épreuve en 2018 ? Les foules sont-elles devenues hystériques au point que le risque de cannibalisme est aujourd’hui une menace?
Cette célébration de victoire est un exutoire pour la jeunesse de France, un carnaval des possibles où bien évidemment les casseurs s’invitent à ce jour de purge. Oui dans le moment de victoire, il y a de tout, la joie, l’émotion, mais aussi la colère contenue, la frustration de la consommation qui soudain trouve un véhicule.
À l’image de la privatisation en marche dans tous les pans publics, les lieux communs de notre société, la joie de la victoire se trouve à son tour privatisée. Même l’émotion, une valeur gratuite de la liesse collective est gachée, dérivée par les intérêts privés de quelques-uns. D’un côté, les casseurs qui font le travail de sape pour assurer la soumission à l’ordre nécéssaire. De l’autre côté, les agrégats tentaculaires de la FIFA, championne du monde de la corruption et du petit arrangement entres amis.
L’image pathétique du bus des champions, descendant l’avenue des Champs-Élysées en 10 minutes chrono, saluant derrière un vaste cordon de sécurité ultra stressé, une foule heureuse et malheureuse à la fois, est sans doute l’exemple même de la société à deux vitesses que nous impose l’ordre capitaliste néolibéral.
C’est le Brésil et ses ghettos de riches surprotégés, c’est la dystopie du meilleur des mondes, l’avènement dans la joie et par le spectacle d’une société des inégalités, où la foule, masse sombre et potentiellement dangereuse, sera contenue par la force au service d’une classe de privilégiés. L’apprentissage d’une aliénation heureuse se fait ainsi sans douleur, même si certains supporters ont senti l’arnaque dans la vitesse de l’exécution.
Pas de passage à l’hôtel de Crillon donc pour l’équipe de France, c’est derrière les portes closes de l’Élysée que les champions ont célébré la victoire avec le Président et son épouse, accompagnés de 1500 bambins sélectionnés par avance, pour assurer un semblant de lien populaire de façade.
On peut saluer la performance : réussir à organiser la pagaille place de la Concorde et envoyer la troupe pour disperser la foule en colère, flouée, ignorée dans sa ferveur simple et futile. Place de la Concorde, tout un symbole pour cette place royale, devenue place de la révolution, lieu de la guillotine qui vit passer sous le couperet plus de mille suppliciés dont Louis XVI, Marie-Antoinette, Charlotte Corday, Danton, Malesherbes, Lavoisier et Robespierre.
Ah les symboles, du triomphe de César aux ides de Mars, il n’y a que le battement d’ailes d’un papillon, que les siècles nous ont fait trop vite oublier.
Mais ne soyons pas pisse-vinaigre, oublions ces petits moments de tracas insignifiants, laissons enfin le pays tout à sa joie télévisuelle, célébrons notre communion avec la très sainte coupe d’or enfin revenue au pays après tant d’années d’errance en des mains barbares. Que le jeune Emmanuel Macron, Président des possibles en soit remercié éternellement !
Vive les champions, vive la République, et vive la France !