Alerte pollution en Île-de-France : ciment contre nature

Calcaire ciment

Le réchauffement climatique s’accélère avec la disparition programmée de notre biodiversité et de certaines espèces animales. Et pourtant, le Président de la République et ce gouvernement continuent de soutenir massivement des projets qui détruisent l’environnement : Montagne d’Or en Guyane, Grand Contournement Ouest de Strasbourg, le bétonnage d’espaces verts dans nos villes ou encore le projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure. En Île-de-France, le projet emblématique d’EuropaCity a été abandonné par le gouvernement au début du mois de novembre. En région francilienne, il n’y a pas uniquement ce projet qui décime la nature et le vivant.

J’ai choisi, ici, de traiter un projet peu connu : celui de l’exploitation d’une carrière de calcaire dans les Yvelines, au cœur du Parc naturel régional du Vexin. Je n’avais jamais entendu parler de cette lutte locale jusqu’à ma rencontre avec le vice-président d’AVL3C (Association Vexinoise de Lutte contre les Carrières Cimentières) lors de la manifestation contre EuropaCity le 5 octobre dernier à Paris. Celui-ci m’a accordé un entretien pour m’expliquer ce projet destructeur au cœur de la nature vexinoise et ses dernières actualités. Il m’a expliqué qu’il préférait rester anonyme «parce qu’il y a des gens mal intentionnés qui cherchent à discréditer notre combat par tous les moyens et s’attaquent à nos personnes».

Quelle est la raison de ton implication contre ce projet de carrières de calcaire dans le Vexin ?

Comme expliqué en introduction de l’entretien, je suis vice-président d’AVL3C et membre de France Nature Environnement d’Île-de-France donc je travaille à ce titre sur d’autres dossiers. Je vis une formidable aventure notamment sur le plan humain et suis désormais de très près tous les combats environnementaux. En effet, ce combat m’a ouvert les yeux sur les dysfonctionnements de l’État et sur les compromissions de ce dernier avec les industriels. J’ai notamment pu constater que le lobbying exercé par les industriels est phénoménal.

Depuis combien de temps ce projet existe et de quoi s’agit-il concrètement ?

Ce projet existe depuis plus de 30 ans. Il s’agit pour la multinationale HeidelbergCement-Calcia, propriétaire d’une cimenterie à Gargenville dans les Yvelines, d’exploiter une nouvelle carrière de calcaire dans le PNR du Vexin. En effet, la carrière de Guitrancourt qu’utilisait la multinationale jusqu’à présent est épuisée. Le calcaire est un minerai indispensable pour la fabrication du ciment. Cette cimenterie de Gargenville est la dernière encore en activité en Île-de-France. Elle fait partie des 10 sites industriels les plus polluants d’Île-de-France selon les classements de la DRIEE (Direction Régionale et Interdépartementale de l’Environnement et de l’Énergie).

Cette pollution s’explique par le chauffage à très hautes températures du calcaire pour la fabrication du ciment. Celle-ci est située dans une zone très urbanisée avec 11 000 habitants, à proximité de crèches, d’écoles, d’EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). Sa pollution avec des émanations notamment de dioxyde d’azote, de poussières, de métaux lourds «bénéficie» à toute l’Île-de-France dont Paris car elle est située à l’ouest du bassin parisien. Cette cimenterie n’a plus du tout sa place dans cette région de l’Île-de-France. Elle participe grandement, comme toutes les cimenteries, au réchauffement climatique, soit 8 % des émissions globales de CO2.

Pour continuer son activité délétère sur l’environnement et la santé, elle a obtenu un permis exclusif d’exploitation sur la commune de Brueil-en-Vexin. Et ce malgré la très forte opposition des élus, associations, du PNR et des syndicats agricoles. Par ailleurs, de très nombreuses réserves avaient été émises par les commissaires enquêteurs sur la DAE (Demande Autorisation Environnementale). Je vais prendre en exemple trois de ces réverses : concernant l’eau, les commissaires ont estimé que «la pollution de la nappe phréatique constitue le risque majeur de cette nouvelle carrière» ; concernant le paysage et ses modifications, le rapport concluait que «le coteau qu’il est envisagé de creuser est visible jusqu’à plusieurs kilomètres à la ronde, contrairement au site de Guitrancourt situé dans une combe. Cette situation à l’intérieur du Parc Régional du Vexin pose évidemment question ; de nombreuses remarques illustrent cet état de fait et notamment celle du Parc Régional du Vexin» ; enfin, concernant la présence de particules fines dans la région, les commissaires enquêteurs ont noté que «s’il est impossible de prouver que les troubles dont font état plusieurs contributeurs (asthme et autres maladies respiratoires) sont liés à la cimenterie, on peut cependant conclure du point de vue sanitaire que la pollution produite par le four de Gargenville représente dix fois celle de la circulation des véhicules dans son voisinage».

Ces derniers ont quand même donné un avis favorable au projet alors qu’ils avaient émis de très nombreuses réserves énoncées précédemment. Incroyable mais vrai !

Quelle est la position du gouvernement actuel sur cette carrière de calcaire dans le Vexin ?

Le gouvernement y est favorable alors même que le dossier est difficilement acceptable sur tous les plans : écologique, économique, politique. En effet, ce projet de carrière a obtenu un PIG (Projet d’Intérêt Général) de la part de l’État.  Si ce dernier devait faire marche arrière et se dédire, il se verrait obligé de verser des compensations financières très élevées à la multinationale HeidelbergCement-Calcia. Je parle ici de plusieurs dizaines de millions d’euros d’indemnités compensatrices. Ces informations nous ont été communiquées par les députés des Yvelines hostiles à ce projet de carrière. Ces derniers ne nous ont pas révélés leurs sources.

Pour revenir sur l’obtention du PIG, dans le dossier EuropaCity, Auchan n’en a pas obtenu de la part de l’État. C’était ainsi beaucoup plus facile pour le gouvernement de s’y opposer et d’abandonner ce projet gigantesque car il n’y avait pas la menace de compensation financière à octroyer à Auchan.

Quels recours ont été effectués contre ce projet d’exploitation de carrière de calcaire ?

De très nombreux recours ont été engagés sur le plan juridique par notre association mais également par le PNR du Vexin et par la municipalité de Brueil-en-Vexin. Nous avons obtenu pour la première fois récemment un résultat favorable sur un de ces recours. Par un jugement en date du 14 octobre 2019, le tribunal administratif de Versailles a donné raison à notre association AVL3C en estimant que : «les études ayant servi à la définition des périmètres de protection du captage ne tiennent pas compte ni même n’évoquent la zone 109 (zone prévue pour l’exploitation de la nouvelle carrière) située à relative proximité des captages». Le TA poursuit en précisant aussi que : «le dossier sur la base duquel l’expert hydrogéologue a délimité les périmètres de protection comportait des cartes différentes et contradictoires d’identification du bassin d’alimentation des captages».

Cela signifie que le tribunal constate que les études ont été mal faites, et qu’il y a de l’eau, précieuse en volume et en qualité, dans le secteur convoité par HeidelbergCement-Calcia pour exploiter la carrière. En toute logique, le tribunal a donc décidé qu’il sera procédé à une expertise afin de définir «le bassin d’alimentation des captages de Sailly et de Drocourt, en précisant le sens d’écoulement des eaux, afin de déterminer si celui-ci se confond, même en partie, avec le périmètre d’exploitation envisagé pour la nouvelle carrière ; et les risques encourus par les captages en cas d’exploitation future de la zone 109, y compris dans le cas où son périmètre ne se confondrait pas avec celui du bassin d’alimentation des captages».

Par ce jugement, c’est une belle victoire contre la multinationale et son projet d’exploitation d’une nouvelle carrière de calcaire.

Avez-vous reçu du soutien de la part de partis politiques, de syndicats ?

Le soutien politique contre ce projet est massif et ce, tous partis confondus. 52 maires ont signé un manifeste contre. Le GPSEO (Grand Paris Seine et Oise) a voté contre aux deux tiers de ses membres. Par ailleurs, trois députés des Yvelines dont Michel Vialay, député Les Républicains de la 8ème circonscription des Yvelines où le projet de carrière se trouve, y sont opposés ainsi que trois députés européens dont Yannick Jadot. Nous avons reçu le soutien de six conseillers régionaux et départementaux. De plus, à l’initiative de Danielle Simonnet, la Ville de Paris vient de voter un vœu à l’unanimité contre ce projet en octobre dernier. Enfin, les présidents des parcs naturels régionaux de France et du PNR du Vexin, la chambre d’agriculture des Yvelines ainsi que les syndicats agricoles se sont prononcés contre le projet de carrière de calcaire.

Proposez-vous un contre-projet, comme le projet CARMA, pour protéger les riverains et la biodiversité environnante ?

Le contre-projet concerne la cimenterie. Il faut qu’elle se reconvertisse par exemple en un centre de broyage et cesse d’utiliser son four. Nous proposons notamment de reconvertir le site en une scierie en utilisant le savoir-faire de la main-d’œuvre locale et en valorisant les bois avoisinants. Nous avons également comme idée une usine de production de biogaz à partir des déchets organiques. Le site industriel pourrait être utilisé comme pôle de services pour les différents acteurs locaux : PME, TPE, associations, salles de spectacle ou lieu culturel. Les idées ne manquent pas dans le Vexin !

Site de l’association AVL3C : https://www.avl3c.org/vexinzone109/

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