Burkini, j’écris ton nom. Chaque été, tu reviens à la une de nos journaux, remplaçant le tube de l’été tombé en désuétude depuis quelques années.
Jamais je ne t’ai vu ni dans les piscines, ni sur les plages et pourtant tu reviens, partout, dans les discours politiques, dans les journaux. Tu déclenches à chaque fois une frénésie collective, comme l’apparition d’un messie à l’heure des réseaux sociaux.
En un mot composé, simple et efficace, tu as permis à tous les médias en mal de sujets d’été de traiter des français à la plage, de la canicule et à tous les politiques en mal d’idées de traiter de l’identité nationale, ce truc si simple pour tous nos voisins, sauf visiblement pour les élus ou candidats de la République française.
Que n’a-t-on pas lu à ton sujet : fin du vivre ensemble, la plage tu l’aimes ou tu la quittes, racines chrétiennes de la fille aînée de l’Église, tsunami de salafistes et pour finir, un conseil pour les musulmans à la plage : restez discrets et n’oubliez pas la crème solaire.
En 2016, je me rappelle des arrêtés municipaux contre le burkini, tenue ostentatoire attaquant les bonnes moeurs et le code de la plage. Nous avions assisté à des scènes dignes d’un catalogue de la folie ordinaire avec des gendarmes en bermuda et gilets pare-balles ordonnant à une femme d’enlever son voile sous peine d’amende et escortant la contrevenante hors de la plage de Cannes.
Ce «burkini moment» relève du délire. Un délire commun à la foi religieuse et aux croyances politiques, qui embarque tout un pays dans la déraison. Et une nation qui délire, ce n’est jamais bon signe.
Si l’on s’en réfère à la définition de Karl Jaspers, le délire est une déconnexion du monde réel, il peut être chronique et c’est une croyance tenue avec une conviction absolue. On peut alors se demander si l’état délirant chronique n’est pas celui de nos gouvernants : persuadés que la croissance peut revenir, loin des réalités matérielles des citoyens et dans une permanente course en avant à l’élection suivante. Et ils ne sont coupables en rien d’être ainsi délirants et de voir des burkinis partout, si nous validons en masse leurs délires dans les urnes.
Et si finalement, ce bout de voile synthétique, destiné à cacher le corps de la femme qui souhaite profiter pieusement du soleil et des vagues, nous permettait d’ouvrir grands les yeux sur les vrais problèmes ? Comme une preuve pathologique de l’état de fatigue mentale de nos sociétés, dont les représentants politiques cherchent absolument à éviter les vrais problèmes pour jouer sur les passions et les haines.
Sous nos latitudes, le burkini est davantage une pancarte politique qu’une mode qui vise à émanciper la femme pieuse dans son désir de baignade.
Le combat pour la liberté et l’émancipation ne fait que commencer. Pour être libre, ne faut-il pas nous affranchir davantage des carcans qui balisent notre ordre social dysfonctionnel ?
Si nous grandissions un peu, en oubliant ces préceptes patriarcaux qui commandent le corps des femmes et si peu celui des hommes (faibles par nature, comme le faisait si piteusement remarquer Hani Ramadan) au profit d’une société égalitaire où les femmes prendraient enfin leur place légitime après des siècles de maltraitance ?
Si nous grandissions un peu, en faisant évoluer le jeu électoral vers un contrôle continu plutôt qu’un blanc-seing donné pour 5 ans à un nouveau sujet mégalomane contrarié ?
Et si enfin, nous arrêtions de nous poser des questions stupides pour affronter la complexité du monde, de notre société et de ses futurs ?
Si nous nous libérions du délire d’une minorité fétichiste et accumulatrice pour enfin partager les biens communs ?
Mais j’arrête là, sinon vous allez penser que je délire…