Cher François Fillon, candidat officiel de la droite à la prochaine présidentielle de mai 2017, je vous écris du XXIème siècle, où le temps est très ombrageux.
Je ne dirais pas, comme certains de vos détracteurs, que vous, vous êtes du Moyen-Âge, ce serait vous faire trop d’honneur. Car le Moyen-Âge, ce ne sont pas que des siècles d’obscurantisme, de guerres, de religion toute-puissante, et de peste. C’est aussi – c’est moins connu – l’époque pendant laquelle l’université et le roman ont été inventés. Par ailleurs, il faut savoir que les gens du Moyen-Âge s’habillaient de façon très colorée (limite arc-en-ciel, vous voyez ?), et les hommes portaient des jupes et rembourraient leurs dessous. Ça leur faisait de gros gros paquets.
Tout ce que vous avez dit, je m’y oppose fermement
Vous appartenez plus à une époque que je situerais en 1967. Pré-mai 68, pré-révolution sexuelle. Quand la plupart des foyers n’avaient pas encore de télé couleur, quand les femmes venaient tout juste d’obtenir le droit de prendre la pilule mais n’avaient pas le droit d’avorter, et se faisaient charcuter l’utérus à coup de cintre, quand à l’école les écoliers se prenaient encore des coups de règles sur les doigts, quand on considérait l’homosexualité comme un «fléau national».
Je vous écris de ma planète. Je suis une femme, de 36 ans, journaliste et auteur, blanche, féministe sex-positive, de gauche, militante pour le Mariage Pour Tous, hétéro, mariée, un enfant, parisienne d’adoption. Je ne suis donc pas DU TOUT votre électorat. Tout ce que vous avez dit, je m’y oppose fermement, et tous vos amis, sont, si ce n’est mes ennemis, mes bêtes noires. Je ne les hais pas, je combats leur discours ultra-conservateur, réactionnaire, liberticide, catastrophiste et paranoïaque.
Petit orgasme du côté de la Manif Pour Tous
Vous avez voté en 1982 contre la dépénalisation de l’homosexualité. Même si vous ne comptez pas toucher à la loi Veil, «philosophiquement et compte tenu de [votre] foi personnelle», vous «désapprouvez l’avortement». Vous souhaitez procéder à la réécriture de la loi Taubira, notamment sur la question de la filiation, car dites-vous, vous ne jugez pas «légitime que la loi permette de considérer qu’un enfant est fils ou fille, de manière exclusive, de deux parents de même sexe». Concrètement, cela veut dire fermer l’adoption plénière aux couples homosexuels.
Vous souhaitez interdire la PMA pour les couples de femmes ainsi qu’aux femmes seules. Quant à la gestation pour autrui (GPA), vous souhaitez la garder hors d’accès pour tous. Et renforcer les sanctions pénales à l’égard des couples bravant l’interdit. Bref, vous êtes copain comme cochon avec La Manif Pour Tous, et le mouvement politique issu de celle-ci, Sens Commun. Le site internet de Sens Commun ressemble en ce moment à un fan-club qui vous serait dédié. Quant à LMPT, ils sont surexcités, comme à la veille d’une manif «un-papa-une-maman», depuis le premier tour de la primaire. Ludovine de La Rochère, «Ludo» pour les intimes, résumait ainsi, il y a quelques jours, dans un communiqué de presse, son espoir : «L’enjeu est fort car après un quinquennat marqué par une phobie de la famille sans précédent, l’heure est venue de reconstruire la politique de la famille».
Je ne doute pas que, ce dimanche, à l’annonce des résultats, Ludo a eu un petit orgasme. Après tout, elle y a droit : ça fait trois ans, depuis les manifs contre la loi Taubira, qu’elle est frustrée. Que dis-je, trois ans, ça fait depuis 1968. Ça fait 48 ans ! Depuis le début de l’égalité des sexes, des droits LGBT, le début d’un changement de paradigme dans la société.
Je vais vous parler de mes deux grands-mères
Vous voulez, Monsieur Fillon, être le président de tous les français. Si jamais vous êtes élu, vous n’allez pas être le mien, vous l’avez compris. Et je pense que vous n’en avez rien à carrer. Mais vous n’allez pas non plus être le président de toutes les femmes qui ne veulent pas qu’on touche à leurs acquis et à leurs libertés. Vous avez dit un jour à Nathalie Kosciusko-Morizet : «Tu ne seras pas ministre car tu es enceinte». Visiblement, les femmes du XXIème siècle, vous vous en tamponnez aussi le coquillard. Vous n’allez pas être le président des couples gays et lesbiens, des bis, et des trans. Pas besoin de préciser que vous vous en fichez comme de votre premier slip, limite ça vous arrange. Mais sachez, Monsieur Fillon, que vos opinions sur la famille, le droit des femmes et la sexualité ne dérangent pas que le «lobby-du-microcosme-parisien-LGBT-anti-gluten».
Puisqu’on parle de familles, je vais vous parler de mes deux grands-mères, toutes les deux octogénaires et provinciales. L’une, bourgeoise et catholique, s’est mariée – à l’Église bien sûr – parce qu’il fallait se marier. Elle a eu six enfants parce qu’il fallait faire des enfants. C’est ce que la société et sa famille exigeaient d’elle, mais cette vie-là ne l’a pas vraiment rendue heureuse. Heureusement d’ailleurs que ces six enfants aient eu une nourrice aimante, car sinon, de l’amour et de l’attention, ils n’en auraient pas beaucoup reçu.
L’autre grand-mère, issue d’un milieu plus populaire, a eu le courage et la force de divorcer d’un mari macho et violent. Dans les années 1960, et ce avec quatre enfants. Elle s’est fait traiter de «putain» par son mari et une partie de sa famille. Mais elle a choisi une vie de femme libre de son corps, de sa sexualité, et de son destin. Ces femmes-là nous disent, à nous, petits-enfants et arrières petits-enfants, les jeunes générations, qu’on a de la chance.
Contre le conservatisme
La chance de pouvoir aimer qui on veut aimer, homme ou femme. De pouvoir tomber follement amoureux, puis de se séparer, quand l’amour et le désir ont malheureusement disparu. De pouvoir baiser sans procréer. D’avoir reçu une éducation sexuelle digne de ce nom. D’avoir été informés dès notre plus jeune âge sur le VIH et sa prévention. D’avoir été élevé dans l’idée de l’égalité homme-femme. D’aimer la différence sexuelle, tout en célébrant la diversité des genres. De vivre un couple au sein duquel le partage des tâches, l’équité domestique, existent réellement. De pouvoir être mère et avoir une belle carrière. De pouvoir être femme sans être mère. De pouvoir être père et ne pas être cantonné au rôle de celui qui a de l’autorité et de «celui qui remplit le frigo». De pouvoir, en tant que femmes, avorter sans risquer notre vie. D’être hétéros sans considérer qu’il y a des rôles stricts à suivre dans son identité masculine ou féminine. D’être proches de personnes gays, lesbiennes, bis, ou trans, et de se nourrir de leurs parcours. D’aller à des mariages gays ou lesbiens, et d’être émus, même si on se tape des diapos Powerpoint tout aussi pourries que dans les mariages hétéros. De discuter «érythèmes fessiers» avec des amies lesbiennes, qui ont fait un enfant via la PMA. De discuter «activités extra-scolaires : judo ou natation ?» avec un couple gay qui a fait appel à la GPA, lors des réunions parents-profs. D’élever nos enfants avec les notions de responsabilité et d’amour, mais aussi de liberté. D’être heureux si notre fille est, plus tard, une musicienne lesbienne butch, d’être heureux si elle est, plus tard, une prof hétéro qui lit Télérama. On a une putain de chance de vivre tout cela, me disent mes grands-mères (même si elles ne disent pas «putain»).
Et voilà ce que devraient dire tous les français et les françaises qui ont souffert du conservatisme du début du XXème siècle, et qui veulent, pour leurs enfants et leurs petits-enfants, de l’emploi, de l’ascension sociale, de la sécurité, bien sûr. Mais aussi la liberté de faire ce que l’on veut sous la couette, et la liberté d’élever nos enfants avec amour et responsabilité, sans qu’on nous dise que tous les parents ne se valent pas.
Raconter comme la diversité permet d’inventer l’avenir
J’ai compris, Monsieur Fillon, avec l’élection de Trump aux États-Unis, que la colère de gauche, sur les réseaux sociaux, avait finalement peu d’impact. Ça ne suffit pas de vous traiter d’homophobes et de réacs, ou de se moquer de vous et de votre bande de culs-bénits sur Facebook, avec des gifs animés ou des montages photoshops trop LOL. C’est prêcher des convaincus. Il faut voter. Voter. Voter. Voter. Voter. Voter. Et il faut aussi, plutôt qu’être dans la réaction, être dans la proposition. Faire notre propre «récit national». Avec des paillettes. Avec de la joie. Avec de l’art et de la culture. Avec des faits, aussi, surtout.
Il faut que sociologues, philosophes, militants associatifs, psys, journalistes, artistes, scientifiques et travailleurs sociaux de terrain, racontent comment les couples et les familles d’aujourd’hui, aussi divers et diverses soient-ils, inventent notre avenir. Comment les libertés sexuelles contribuent au bonheur individuel et collectif. Comment le discours d’égalité homme-femme auprès des plus jeunes a un impact extrêmement positif sur leur vie et leur futur.
La gauche a des outils pour se battre
On ne doit pas abandonner les questions de filiation, de parentalités, de sexualités, de familles et d’enfance aux ultra-conservateurs. On a des outils, pour cela. Pour voir comment on peut parler, sur le terrain, aux jeunes, de sexualités et d’égalités, on peut par exemple relayer le fabuleux blog de Dr Kpote. Pour mieux comprendre les débats autour de la PMA, de la GPA, de la filiation, on peut acheter le DVD de l’excellent documentaire d’Irène Théry, «La sociologue et l’ourson», et le partager.
Pour découvrir ou redécouvrir les questions de performance du genre et de fluidité du genre, on peut aller voir le joyeux et riche documentaire «Parole de king !», de Chriss Lag, sur les écrans le 30 novembre. Il y est question des drags kings (l’inverse des drags-queens : des personnes qui se transforment, dans le cadre de performances, en hommes, en vrais). Sachez, François, que j’y apparais, en mec donc, avec des sourcils aussi poilus et virils que les vôtres. C’est une sorte d’hommage capillaire.
On a les mots, on a les outils, pour expliquer, quotidiennement, à chaque citoyen et citoyenne en quoi les valeurs progressistes, humanistes, du droit égal, de la reconnaissance envers les homosexuels et homosexuelles ont changé non pas seulement leurs vies mais nos vies à tous et toutes, et en quoi les questions liées au corps et à la sexualité humaine nous concernent tous et toutes.
Je ne suis pas candidate à la présidentielle, Monsieur Fillon. Et à l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais pas qui sera le candidat de gauche le plus à même de vous affronter. Je sais, en revanche, que si jamais vous lisez un jour cette lettre, ça ne va absolument pas changer votre façon de voir les choses. Mais ce n’est pas si grave, car ce n’est pas tant à vous qu’aux citoyens et citoyennes, que je m’adressais. Pour conclure, François, je citerai Billie Holiday, dans une lettre adressée à l’actrice et ex-amante Tallulah Bankhead :
«Si tu veux la merde, nous pouvons en faire une vraie fête».