Le groupe espagnol MediaPro, nouveau diffuseur du championnat de France de football, annonçait jeudi dernier qu’il ne réglerait pas à la LFP la deuxième tranche de versement de 172 millions d’euros arrivée à échéance le 6 octobre dernier. Une décision cataclysmique pour le football français qui pourrait mettre en péril les finances des clubs les plus modestes. Retour sur cette crise sans précédent qui en dit long sur la volonté de prédation capitaliste décomplexée à laquelle s’adonne le monde du football depuis le début des années 90.
Tout commence à l’été 2018 lors de la traditionnelle course aux droits TV du foot français sur la période 2021-2024. Faisons-la rapidement, à chaque fois qu’un appel d’offre pour la diffusion de la ligue 1 est lancé, un comité de pilotage des droits TV se réunit et détermine qui remporte quoi et pour quel montant. Coup de tonnerre à l’époque puisque c’est le groupe espagnol MediaPro (2 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an) qui rafle la mise en remportant 3 lots et en évinçant complètement les mastodontes du secteur BeIn Sports (1 lot) et Canal + qui pour la première fois depuis 1984 n’en remporte aucun. Mais ce coup de poker a un prix et pas des moindres puisque ce nouveau contrat établit désormais un montant record d’1,53 milliard d’euros par an, soit une hausse stratosphérique de 59,7%. À titre de comparaison sur la période 1984-2001, Canal + déboursait environ 230 millions d’euros par an pour diffuser les compétitions professionnelles. Un montant déjà énorme mais qui ferait sourire n’importe quel spécialiste du football business aujourd’hui. Et pour cause, puisque chez nos compères d’outre-Manche, le coût des droits TV pour diffuser la première ligue s’envole littéralement pour atteindre les 10 milliards d’euros annuels.
Le problème, c’est que dès le départ dans ce dossier, beaucoup d’experts sont très sceptiques quant à cette offre fracassante de MediaPro. Maxime Saada, le président de Canal + avait fait part de ses doutes au micro d’Europe 1 : «À ce prix-là, c’était complètement déraisonnable. C’était impossible pour nous de miser de telles sommes et je pense que c’était impossible pour un quelconque acteur de le faire…».
Deux ans plus tard, ces propos prennent des allures d’avertissement prémonitoire. En effet, quand un groupe audiovisuel allonge une telle somme, il mise sur un retour sur investissement massif et doit être sûr de son coup. Pour arriver à la rentabilité souhaitée, MediaPro espérait en lançant sa chaîne Téléfoot, 3,5 millions d’abonnements mensuels facturés 25€ et il faut bien avouer que les mecs ont eu le nez creux. Un fiasco complet ! À peine 275 000 abonnés et des audiences catastrophiques. Conséquences : Jaume Roures, le président du groupe espagnol refuse de payer le second versement de 172 millions d’euros prévu le 6 octobre et effectue sa plus belle pirouette en brandissant le spectre du Covid-19, décidément bien pratique pour le monde de la finance en ce moment.
« On veut renégocier le prix, explique Roures dans les colonnes de L’Équipe. On a demandé à établir un calendrier pour mener à terme cette négociation. Nous voulons rediscuter le contrat de cette saison. Elle est très affectée par la Covid-19, tout le monde le sait, car tout le monde souffre».
Jeudi 8 octobre, la Ligue s’était contentée d’annoncer qu’elle avait «signifié par courrier qu’elle refusait d’accorder un délai de paiement à Mediapro et avait désormais pour priorité d’être en capacité d’assurer le paiement aux clubs de l’échéance en date du 17 octobre 2020». Une renégociation n’est pas à exclure mais si la LFP accepte de revoir à la baisse les montants promis par le diffuseur sino-espagnol, les «perdants» du premier appel d’offres ne manqueront sans doute pas de contester devant les tribunaux un «petit arrangement» qui serait conclu dans leur dos, ce qui pourrait donner un lieu à un nouvel appel d’offres.
La situation que tout le monde avait vu venir s’est donc produite et la raison de ce fiasco n’est pas si compliquée à aller chercher. Comme nous le rappelions récemment, Emmanuel Macron au pouvoir, c’est 1,5 million de pauvres supplémentaires en France. Dans cette période de forte récession économique au sein de laquelle classes populaires et classes moyennes se voient toujours plus précarisées, comment imaginer qu’un abonnement supplémentaire de 25€ par mois soit envisageable dans les dépenses des ménages ?
Un calcul rapide permet de montrer l’absurdité totale de la situation. Aujourd’hui si vous voulez suivre l’intégralité des compétitions de football à la télévision il faudra réunir chaque mois la jolie somme de 83€90 si on réunit Canal +, BeIn Sports, RMC Sports et MediaPro. À ce prix-là, il est évident que même un bon vieux streaming pixelisé, commenté en hindou et qui s’arrête toutes les 5 secondes fait moins mal au crâne. Les fans de football semblent en avoir marre d’être considérés comme des vaches à lait, et trop occupés à baver devant des contrats à 9 chiffres, la Ligue et les opulents dirigeants de Mediapro n’avaient peut-être pas pris le temps de réfléchir à cette réalité très concrète.
Depuis le début des années 90, le monde du football qui n’est certes pas réputé pour faire dans le social, est sévèrement parti en vrille en s’adonnant à des logiques de marché. Cette fuite en avant économique constante va de pair avec une mainmise quasiment monopolistique des chaînes payantes sur les droits de diffusion. Il va de soi que France Télévisions qui peine déjà à s’acheter la diffusion de la coupe de France ne peut pas rivaliser avec ces géants du privés qui écrasent tout sur leur passage. La belle époque des matchs de football en clair est révolue et relève désormais du lointain souvenir. Le sport est relayé au second plan pour faire place nette à la rente financière et les enjeux économiques supplantent désormais sans détours les enjeux sportifs. La défunte coupe de la ligue peut en témoigner. La LFP a annoncé la suspension de cette compétition à partir de 2020, faute de diffuseur intéressé.
Cette crise de MediaPro est en réalité le symptôme objectif de la déconnexion et de l’abjection totale à laquelle s’adonne l’intégralité des acteurs gravitant autour du football professionnel aujourd’hui. En ayant érigé les profits économiques en véritable religion moderne, ces institutions pervertissent un peu plus chaque jour ce sport populaire et tuent à petit feu le caractère universel et fédérateur qui le caractérise depuis toujours.
- Léo Thiery