À l’approche des élections présidentielles américaines, de nombreux républicains de l’ère Bush et l’ensemble des démocrates de l’ère Obama se mobilisent contre Donald Trump. Or, si ce dernier a aggravé la plupart des «guerres sans fin» dans lesquelles les États-Unis se sont lancés depuis le 11 septembre et qu’il a imposé des politiques de sanctions qui font souffrir des millions d’êtres humains, force est de constater qu’il n’a déclenché aucun conflit armé de grande ampleur. Par conséquent, l’alliance des néoconservateurs de l’ère Bush avec les «faucons libéraux» de l’ère Obama nous amène à proposer un nouveau slogan de campagne à Joe Biden : «Make American Wars Great Again». À travers cet article, nous allons passer en revue l’héritage catastrophique, sur la scène internationale, des soutiens les plus influents de l’actuel candidat démocrate. Nous verrons ainsi que, malgré ses innombrables défauts, Trump permet à ses prédécesseurs de faire oublier leur désastreux bilan dans le «Grand Moyen-Orient» et au-delà.
À l’instar de son illustre époux, Michelle Obama incarne une vision idyllique du rêve américain. Descendante d’esclaves, cette étudiante issue de la classe moyenne de Chicago a suivi un estimable parcours universitaire. Après son mariage avec le tout aussi brillant juriste Barack Obama, elle a gravi les échelons sociaux jusqu’à ce qu’elle devienne l’une des premières dames les plus populaires de l’histoire des États-Unis. À ce titre, l’on ne peut que la respecter et se réjouir de cette admirable ascension sociale, d’autant plus qu’elle est engagée dans un certain nombre de causes louables.
Lors de la première journée de la convention démocrate, Michelle Obama a légitimement critiqué la gestion hasardeuse du Président Trump face à la pandémie de Covid-19, qui a engendré plus de 170 000 morts dans son pays. Elle a donc fustigé ce qu’elle perçoit comme un «manque d’empathie» de l’actuel locataire de la Maison-Blanche, soulignant que «les États-Unis n’ont “pas été à la hauteur”, (…) ni sur le plan de la santé publique, ni sur celui de la défense de leurs valeurs». Puisque Michelle Obama est si attachée à ces principes, nous nous permettrons de rappeler quelques faits dérangeants qui nuanceront son image de grande humaniste. Avant de nous intéresser au sombre bilan de son époux sur la scène internationale, attardons-nous quelques instants sur son amitié ostensible avec George W. Bush.
Comme l’a rapporté Madame Figaro en décembre dernier, «l’ex-First Lady et le 43ème Président des États-Unis entretiennent des liens étroits et il n’y pas de mal à le dire. Au fil des années, leur complicité a été commentée à de nombreuses reprises. Ce fut notamment le cas le 5 décembre 2018, jour de l’enterrement de l’ancien Président George H. W. Bush, décédé quelques jours plus tôt à l’âge de 94 ans. Une séquence avait à l’époque particulièrement attiré l’attention. On y voyait le fils Bush glisser un bonbon dans la main de Michelle Obama alors qu’il était en train de la saluer. Le geste, devenu en fait traditionnel entre les deux anciens locataires de la Maison-Blanche, n’avait alors pas manqué d’attendrir l’ancienne First Lady et de faire sourire Barack Obama». Ainsi décrite, cette séquence peut sembler fort émouvante.
Or, il n’est pas inutile de préciser que George W. Bush, en tant que Président des États-Unis, a lancé son pays dans une politique étrangère aux résultats véritablement calamiteux, qui sont aux antipodes des nobles causes défendues par Michelle Obama : guerre perpétuelle dans le «Grand Moyen-Orient» et au-delà ; déstabilisation catastrophique de la Mésopotamie ; au moins 1,3 million de morts engendrés par la «guerre contre le terrorisme» en Irak, en Afghanistan et au Pakistan ; près de 5 000 milliards de dollars de dépenses militaires, ce qui a encouragé la crise financière de 2008 et le réarmement mondial ; affaiblissement constant du Droit international ; guerres secrètes et économiques inefficaces pour contrer l’influence iranienne au Moyen-Orient ; bouleversement de l’équilibre stratégique global suite au retrait des États-Unis du traité ABM en 2002 et à la relance du «bouclier antimissile» ; rejet explicite de l’unilatéralisme américain par la Russie à partir de l’année 2007, etc…
En clair, la déstabilisation mondiale et les effroyables souffrances engendrées par la politique étrangère de George W. Bush devraient, au minimum, faire en sorte que la progressiste Michelle Obama ne vante pas autant son amitié pour cet homme. Au contraire, l’ancienne First Lady a expliqué que «nous parlons de nos enfants, de nos parents [avec George W. Bush]. Nos valeurs sont les mêmes. Nous ne sommes pas d’accord sur les politiques, mais nous n’avons pas de désaccord sur l’humanité. Nous n’avons pas de désaccord sur l’amour et la compassion». Dans une autre émission diffusée en octobre 2018, Michelle Obama déclara que «le Président Bush et moi sommes toujours assis côte à côte, à cause du protocole, et c’est ainsi pour tous les événements officiels. (…) Donc, nous sommes souvent amenés à nous côtoyer et je l’aime beaucoup. C’est un homme merveilleux. Et aussi très drôle».
À l’aune de son bilan, permettons-nous de douter fortement que des millions d’Afghans, d’Irakiens, de Pakistanais, d’Iraniens et de Palestiniens apprécient l’humour, la compassion, l’amour et l’humanisme que Michelle Obama perçoit en un George W. Bush qui, comme elle, est un opposant déclaré à Donald Trump. Il est donc pour le moins ironique que certains des principaux architectes de ses calamiteuses aventures militaires, tels que Colin Powell, Michael Hayden ou John Bolton, fustigent ouvertement l’actuel locataire de la Maison-Blanche. En clair, la mauvaise réputation de Donald Trump permet à ces faucons de faire oublier leur sombre bilan sur la scène mondiale. Hélas, l’on ne peut pas dire que le successeur de Bush ait imposé une politique étrangère plus raisonnable.
À l’international, Barack Obama dans les pas de George W. Bush
Le 4 novembre 2008, après deux mandats d’une présidence Bush que l’on peut légitimement décrire comme une catastrophe globale, les élites et les peuples occidentaux se réjouissent massivement de la victoire électorale de Barack Obama. En Europe, l’enthousiasme pour ce charismatique Président est tel qu’en octobre 2009, c’est-à-dire 8 mois seulement après son accession au pouvoir, Obama reçoit le prix Nobel de la Paix pour «ses efforts extraordinaires afin de renforcer la diplomatie internationale et la coopération entre les peuples». Pour expliquer son choix, le comité Nobel salue notamment les intentions d’Obama en terme de non-prolifération nucléaire. De toute évidence, ils ignoraient que ce jeune Président qui affichait de si nobles intentions imposerait en 2016 un programme de modernisation de l’arsenal nucléaire américain dont le coût était alors estimé à 1 000 milliards de dollars.
Certes, en terme de non-prolifération, l’adoption de l’accord sur le nucléaire iranien en 2015 fut un accomplissement majeur pour Obama, qui laissait augurer une baisse des tensions dans le golfe Persique et au Levant. Or, dès l’automne 2011, il avait autorisé la CIA à soutenir la rébellion anti-Assad avec ses alliés turcs, saoudiens et qataris. Comme nous l’avons amplement documenté dans nos colonnes, cette opération – qui fut baptisée Timber Sycamore –, devint gigantesque au fil du temps, et favorisa décisivement la montée en puissance de la nébuleuse djihadiste anti-Assad – y compris l’essor du malnommé «État Islamique». Outre Bachar el-Assad, l’Iran et son bras armé libanais qu’est le Hezbollah furent les principales cibles de cette vaste guerre secrète qui, selon le Washington Post, aurait «tué ou blessé jusqu’à 100 000 soldats syriens et leurs alliés» entre 2013 et 2017. Certes, l’on peut déplorer le fait que ces militaires combattaient pour défendre un criminel de guerre notoire. Néanmoins, n’oublions pas le fait que, dans le camp d’en face, certaines des plus dangereuses milices djihadistes de la planète menaçaient de prendre Damas et Lattaquié à l’été 2015.
Dans le Washington Post, David Ignatius résuma cette perspective, mais en oubliant de préciser que les «rebelles» qui progressaient vers ces deux villes étaient respectivement Daech et la branche d’al-Qaïda en Syrie. Nous avons donc ajouté ces précisions entre crochets dans l’analyse d’Ignatius : «Cela ne signifie en aucun cas que cette opération [de la CIA et de ses partenaires] n’a pas eu d’impact notable. Dirigé depuis des bases secrètes en Turquie et en Jordanie, ce programme a injecté des centaines de millions de dollars à plusieurs dizaines de milices. (…) À l’été 2015, les rebelles [d’al-Nosra] étaient aux portes de Lattaquié, sur la côte nord, menaçant le fief ancestral d’Assad et les bases russes qui s’y trouvent. Les combattants [de l’“État Islamique”] progressaient également vers Damas. Cet été-là, les analystes de la CIA commencèrent à évoquer le scénario d’un “succès catastrophique” – qui aurait amené les rebelles à renverser Assad sans toutefois créer un gouvernement fort et modéré». Comme chacun sait, l’intervention russe lancée à l’automne 2015 empêcha la concrétisation de ce scénario, qui aurait pu aboutir à un génocide des minorités ethno–religieuses de Syrie. Tout esprit rationnel pourrait convenir qu’il s’agit d’une étrange manière d’apporter la paix et la démocratie dans ce pays, ce qui était l’objectif officiel du progressiste époux de Michelle Obama.
L’année 2015 marque un autre tournant funeste dans la politique étrangère de ce Président. Le 26 mars, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et un certain nombre de leurs alliés sunnites lancèrent une intervention militaire au Yémen, étant directement appuyés par les États-Unis, la France et la Grande–Bretagne. Les années suivantes, cette offensive provoquera une gigantesque crise humanitaire et, comme l’une de nos enquêtes le prouve, le renforcement d’AQPA – soit le réseau terroriste à l’origine de l’attentat contre Charlie Hebdo. La veille de cette offensive, la porte-parole du Conseil de Sécurité Nationale de la Maison-Blanche annonça que «le Président Obama [avait] autorisé un soutien au niveau de la logistique et du renseignement aux opérations militaires menées par [l’Arabie saoudite, les Émirats et leurs alliés au Yémen,] en appui de [leurs] actions visant à se défendre contre la violence des Houthis» chiites, réputés proches de l’Iran et du Hezbollah libanais.
Quatre ans plus tard, comme l’ont observé nos confères de l’ONG Disclose, «l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis [se maintenaient] à la tête d’une coalition qui bombarde quotidiennement le Yémen. En nous appuyant sur le travail du Yemen Data Project, nous avons analysé 19 278 bombardements recensés entre le 26 mars 2015 et le 28 février 2019. Résultat : 30% des raids aériens étudiés ont visé des objectifs civils. Avec une volonté délibérée de la coalition de détruire des infrastructures pourtant essentielles à la survie des 28 millions de Yéménites. Fermes, marchés, bateaux de pêche, réservoirs d’eau potable… 1 140 bombardements ont ciblé la production agricole et l’approvisionnement en nourriture du pays. (…) Ce pilonnage a largement contribué à plonger le Yémen dans la plus grave crise humanitaire de l’histoire contemporaine. Selon l’ONU, pas moins de 80 % de la population a besoin d’une aide alimentaire d’urgence». Sachant que son époux a directement appuyé cet effort de guerre dévastateur, Michelle Obama estime-t-elle qu’il a défendu les mêmes valeurs de compassion, d’amour et d’humanisme qu’elle décèle chez George W. Bush ?
Hélas, les désastreuses interventions soutenues par Obama au Yémen et en Syrie sont loin d’être les seuls points noirs de son bilan. L’on peut notamment citer le catastrophique «surge» en Afghanistan, ses nombreuses frappes de drones illégales et leurs cortèges de «victimes collatérales» sous-évaluées, ou le changement de régime en Libye sans avoir prévu l’après-Kadhafi – qu’Obama a lui-même décrit comme sa pire erreur sur la scène internationale. En réalité, dans tous les pays où il a autorisé des interventions militaires – qu’elles soient officielles ou clandestines –, ces offensives ont fait souffrir des millions de personnes, et elles ont eu pour effet concret de répandre le chaos dans ces contrées lointaines sans atteindre de buts stratégiques significatifs.
À Deep-News.media, nous n’hésitons pas à critiquer fréquemment la politique étrangère de Donald Trump, notamment lorsqu’il impose des régimes de sanctions qui frappent des populations entières et déstabilisent dangereusement un nombre croissant de pays. Il n’en demeure pas moins que nous sommes inquiets vis-à-vis de l’incapacité des républicains et des démocrates anti-Trump à reconnaître la dangerosité de leur obsession commune : le militarisme forcené au nom du Bien. Par conséquent, la nomination de Joe Biden et son choix pour la belliciste Kamala Harris nous laisse augurer un retour en force des calamiteuses interventions militaires américaines – évidemment justifiées par les nobles concepts de démocratie, de liberté et de droits de l’Homme. En clair, les faucons des présidences Bush et Obama ont une même ambition derrière la candidature de Joe Biden : «Make American Wars Great Again».
- Un article initialement publié sur deep-news.media, partenaire médiatique du Monde Moderne.