Échapper à la chape

( L’écriture inclusive étant un repoussoir malgré l’intention fort louable, j’ai tout accordé au féminin. Si quelqu’un peut me prouver que dans l’absolu, outre l’usage, cela se défend moins que tout au masculin, écrire au journal qui transmettra.) La dernière fois que j’ai voulu acheter de la weed, le dealer n’a pas été hyper poli sur whatsapp. Je me suis demandé si j’avais vraiment envie de ça ou pas plutôt de me rendre dans un coffee shop en bas de chez moi. À défaut, j’ai quand même acheté.

Ma psy et mon généraliste m’ont confirmé qu’ils aimeraient pouvoir prescrire à leurs patients de l’herbe plutôt que des antidépresseurs, des antidouleurs, des somnifères ou des anxiolytiques mais que ce n’était pas imaginable légalement. Pourtant, le succès de la légalisation du cannabis en Uruguay ou dans certains états US est sans équivoque, les théories type «passerelle» ou «escalade» s’effondrent et la consommation n’augmente pas plus que d‘habitude.

Si l’on s’inscrit dans cette logique : pourquoi pas interdire aussi l’alcool et le tabac ? Y-a-t-il une indépassable différence de nature entre tous ces produits ? Et le café, le thé, les bonbecs, la taurine, la caséine, la phosphatidylsérine ? Notre prohibition de la fumette se justifie-t-elle plus que celle de l’alcool aux États-Unis il y a un siècle ?

Quand je prends un ecsta ou une trace deux fois par an comme tout le monde, je me demande si je ne préfèrerais pas non plus les acheter au service public, ou au moins dans une boutique légale, payer des taxes et avoir des produits plus sûrs, des conseils, peut-être même un porte-clé. Pas de chance, c’est la mafia qui empoche. Ainsi prospère HSBC. Débarrassés de beaucoup de brigands, aurait-on (encore? autant?) besoin de police ? Les systèmes mafieux ont pour seule raison d’être l’illégalité portée à bout de bras par l’alliance objective avec les églises, les 1% et l’État.

Qui croit vraiment au caractère moins toxique de l’alcool que de ce qui se fume de marron ou de vert ? Le fait que le shit soit coupé au cirage et au pneu n’aide personne, outre les délinquants sans col blanc, à augmenter leurs marges au détriment de la santé publique. Pourquoi ne pas proposer un autre horizon que le deal pour faire tenir les quartiers dits sensibles ?

Là encore il semble vital de le réaffirmer : le problème n’est pas dans les textes sacrés des monothéismes (ou pas seulement – et quid de l’hindouisme) toujours contradictoires selon les époques et les exégètes, mais bien des hommes (au sens de mâles) qui les utilisent comme arme d’oppression contre les femmes, les minorités culturelles, sexuelles, ethniques, religieuses, toutes les fragiles. Qui sont en fait une majorité.  Tout le monde est d’accord sur les dangers potentiels de tous ces produits. Ne pas reconnaître leurs bienfaits relève cependant d’une mauvaise foi obscurantiste et extrêmement pénible. Flûte à la fin, quoi. 

A nouveau : si l’on fait fi de la nasse idéologique judéo-chrétienne/musulmane/hindouiste/etc, y a-t-il une absolue différence de nature entre une psy, ostéo, masseuse, kiné, personne qui loue sa compagnie et une travailleuse du sexe avec qui l’on partage du sexe mais surtout une présence, de la parole ? J’ai beau chercher, rien de convaincant. Pourquoi alors les travailleuses du sexe sont-elles mises au ban et souvent livrées aux pires coteries esclavagistes ? Quelqu’un pourrait-il SANS RIRE expliquer le problème avec le sexe, la jouissance ? Oui Jozsef Szajer c’est aussi à vous que je pense par exemple. À tous ceux qui au lieu de dénoncer bêtement le sexe feraient mieux d’être un peu plus copains avec. Rendons hommage à celles qui sont plus que tout en première ligne.

Quel est le point commun entre tous ces éléments ? La chape de plomb de la morale répressive, portée autant par les omniprésentes armées religieuses que par un État aux mains d’une minorité au service des dominants, dont l’intérêt sera toujours de nous faire travailler le plus possible. Le but : que ça file droit. Imposer comme si elle n’était pas questionnable une logique de la contrainte et pervertir celle du plaisir. Comme si la quête de plaisir n’était pas légitime hors de la sphère marchande. Comme si une partie importante de la journée de travail n’était pas totalement inutile pour la majorité d’entre nous, ce que l’on peut reconnaître sans s’en accuser pour autant car c’est systémique. Comme si en s’épargnant la partie «à la con» selon Graeber, (dont la tautologique fonction est de justifier sa propre existence par des procédures de gestion, de contrôle et d’évaluation toutes pourries et inutiles) et/ou la partie qui consiste à nourrir des fonds de pension, on ne pouvait pas travailler toutes et chacune 20 heures par semaine. Et ne pas être soit à deux doigts du burn out soit laissé de côté, ce qui est le cas de beaucoup trop d’entre nous. Avoir envie de ressentir la chaleur de ses congénères, de ne pas s’abîmer dans des postes nécessaires mais peu épanouissants, de s’évader d’une façon ou d’une autre : où est le problème ? Voilà des invariants anthropologiques qui une fois dégagés du désagréable voile idéologique dessinent des possibles désirables, des horizons d’espoir et par-dessus tout des perspectives réalistes. Pragmatiques. Douces. Solides. Nécessaires. Comment s’y prendre ? C’est très simple : avec le principe de plaisir comme pied de biche idéologique car oui, faire sauter le verrou, on le doit, et d’un pas de côté, dépasser dialectiquement l’opposition principe de plaisir/leurre de principe de réalité, on le peut.

Exploitation des travailleuses du sexe

Vanessa Campos, «pute trans migrante» telle que décrite par une collègue, originaire du Pérou, est assassinée dans un coin reculé du Bois de Boulogne en 2018 par une dizaine de personnes au couteau et cutter parce qu’elle défendait un client qui se faisait agresser. En marge de la cérémonie funéraire, une consoeur relate avoir dû accepter une passe avec un policier (qui appellait les trans «monsieur») en échange de son silence sur ses problèmes de titre de séjour. «Un viol», dira-t-elle. Les travailleuses du sexe (ou TDS, environ 45 0000 en France, 85 % femmes, 5% transgenre) sont six fois plus exposées au viol que la population générale et douze fois plus au risque de suicide. Cela n’a rien d’une fatalité. C’est une conséquence directe de la prohibition. 

Depuis 2016, on pénalise le client pour «endiguer la demande», ce n’est pas moins stupide que de pénaliser le racolage, c’est aussi pertinent et efficace que de construire des murs pour lutter contre la misère humaine. Que penser des stages de sensibilisation à 500 euros pour les clients ? Et pourquoi pas une ceinture de chasteté ? Menacées par les forces de l’ordre, repoussées dans les marges les plus sombres de l’urbanité, elles se retrouvent à devoir accepter des passes qu’elles n’auraient jamais acceptées auparavant. Je n’ai jamais eu recours au sexe tarifé mais voir ces dames près de chez moi rue Saint-Denis ou dans le nord de Paris sous la pluie, dans le froid m’a toujours semblé odieux. La loi n° 141 du 17 mars 1999 énonce à l’article 2 que «le jeu, la prostitution et le fait de se faire entretenir par des femmes qui vivent de la prostitution ne sont pas considérées comme des activités légales». De même, l ‘article 233 du code pénal prévoit un emprisonnement maximal d’un an à l’encontre de toute personne qui «incite à la débauche» ou qui «arbore un mode de vie susceptible de nuire à autrui ou de susciter l’indignation publique». On dirait le petit livre vert de l’Ayatollah Khomeiny mais non, c’est ici, maintenant. 

Les travailleuses paient des impôts mais, dans la mesure où leur activité n’est pas reconnue par la loi, elles ne perçoivent pas d’indemnités journalières en cas de maladie, n’ont pas droit à des congés payés. Chacune fera ses conclusions mais concrètement cela signifie que des esclaves sexuelles travaillent dans la plus grande précarité aux portes de l’arrondissement le plus huppé de Paris. Un réseau de traite et de proxénétisme nigérian qui réduisait en esclavage des filles souvent mineures, endettées et parfois contraintes à des avortements clandestins a été jugé en août dernier devant la cour d’assises. «Avant de poser la question de l’abolition de la prostitution, il faudrait déjà poser la question de l’abolition de la pauvreté» déclare Sonia Verstappen, anthropologue et ex-TDS, qui s’amuse des statuts que ses collègues déclarent aux impôts comme par exemple sexologue, danseuse, toiletteuse pour chiens, hôtesse ou ouvrière agricole. 

«Osez le féminisme» parle d’indignité, le «Mouvement du nid» refuse l’idée que certaines soient volontaires, soit car elles n’auraient pas la lucidité nécessaire pour décider, soit parce qu’elles seraient des diablesses militantes donc non-représentatives. Totalement à charge et biaisée, leur étude de 2015 «Prostcost» évite soigneusement de soulever la question de l’autodétermination des TDS et parle des ravages (médicaux, sociaux, économiques, indéniables certes) non de la prostitution, comme annoncé, mais de la prohibition, en réalité. Tout est question de statut : est-ce qu’on agresse aussi souvent nos kinés, nos généralistes ou nos psys ? Non. Alors que les travailleuses du Bois de Boulogne sont nos beautés, nos fleurs, nos amours, nos douceurs (un «nos» de proximité non de propriété) souvent réfugiées politiques car combattantes de la Liberté.

Liberté ? C’est une funeste blague quand le Conseil d’État valide le fichage des opinions politiques. Marine le Pen n’aura plus qu’à se pencher et à ramasser. Égalité ? Un horizon illusoire, un leurre qui empêche de penser les moyens de se rapprocher d’une équité réelle, ce qui serait déjà pas mal. Fraternité ? Par convention et héritage historique, le masculin est préféré d’où l’ensablage sémantique. Le problème n’est pas l’universel mais son incarnation. Or il se trouve qu’il penche toujours du même côté. Est-ce que pour marquer symboliquement le passage à une autre ère et incarner un concept universel là où il a longtemps pêché, on ne pourrait pas décider de se reconnaître collectivement comme sororité (ou humanité) ? 

Alors que penser de l’expression «personne prostituée» ?  Isabelle Boillat, porte-parole de l’association suisse Aspasie suggère que la forme passive «prostituée» implique une déresponsabilisation, et que c’est une façon de nier la capacité à faire des choix, alors que «travailleuse du sexe» qui comprend également les danseuses de cabaret, les sex cams, le porno en tant que TRAVAIL donc, implique une ouverture à des droits, des congés payés et une protection sociale. On ne vend pas son corps, non, il s’agit d’un service ! Et si l’on dit que la majorité ne sont pas heureuses, que dire des femmes de ménage ? Et si l’on posait la même question sur les chantiers de construction ? Dans les cuisines de la restauration bon marché ? 

Aspasie a été lancée dans les années 80 par l’écrivaine, artiste et courtisane Grisalidis Real qui parlait de son activité comme d’«un art, un humanisme et une science à condition d’être pratiqué librement et dans de bonnes conditions», sans jamais oublier la tendresse – et le nombre de suicides évités. «Si je n’avais pas dû, je n’aurais jamais commencé» affirme-t-elle. C’est vrai pour beaucoup, «d’où l’importance des figures positives» comme rappelle Isabelle, comme par exemple Yumie «pour qui c’est un métier qu’elle a toujours voulu faire, qui la rend heureuse et dont elle voit chaque jour la nécessité. On ne parle jamais du plaisir de la prostituée or il importe ! Je suis surprise de la détresse humaine des clients, du besoin de service ou d’apprendre. On peut être heureuse de donner ce réconfort». Propos confirmés par divers témoignages d’escort boys faisant référence à des clients hétéros ou hétéronormés venant parfois aussi pour pleurer, pour la tendresse, pour l’absence de jugement.

Combien de TDS changeraient de profession si elles le pouvaient ? Soit mais combien auraient envie de l’exercer si leur activité pouvait l’être dans de bonnes conditions ? Une pute fière, forte et bien payée qui vit bien en travaillant 4 heures par jour ce n’est pas un repoussoir c’est un modèle. Le TED talk de la militante anglaise Juno Mac What sex workers really want demandant décriminalisation et autodétermination est limpide : le modèle néo-zélandais adopté en 2003 donnant reconnaissance aux TDS et leur permettant de se regrouper en coopératives satisfait l’ensemble des protagonistes. 

Qui d’autre est favorable à une dépénalisation ? ONU Femmes & ONU Sida, le PNUD, l’OIT, Médecins du Monde, Amnesty International, la Haute Autorité de Santé, le Comité des Droits de l’Homme, pas exactement rien du tout. Ne devant jamais être un devoir, le sexe (donc le droit à disposer du sien) ne devrait-il pas être reconnu comme un droit humain ? Ne pas, au travers de son caractère inutilement sulfureux, être un levier de compétition, de domination, d’oppression ? En bon cliché de gauche on peut y voir une possibilité d’autogestion, de coopératives mais ça fonctionne même dans une perspective macroniste, avec des multinationales qui prennent des marges invraisemblables, blanchissent au Luxembourg et ne paient quasiment pas d’impôts.

Grande est la difficulté à faire se rencontrer les opinions opposées puisque l’objet du conflit est l’autodétermination de la partie de la population sexisée comme femme. Moi par exemple, il m’a été attribué un sexe à la naissance mais je ne vois toujours pas l’intérêt de cette étiquette si ce n’est dans une optique de division, de domination. Je ne le reconnais donc pas car la différence entre les sexes, si elle ne pose pas de problème en tant que choix librement consenti, n’en reste pas moins une croyance. Doit-on mutiler les 1,7 % de bébés intersexués en les assignant ? Nullement. «L’épistémologie binaire patriarco-coloniale, extrêmement normative, s’effondre. Elle est morte, bien qu’elle continue à agir quelque part. C’est également le propre du capitalisme : c’est un mort-vivant. Je pense qu’il y a cette conviction à l’intérieur de chacun, peut-être plus encore chez les jeunes générations. (…) Partout le corps trans est haï, en même temps que fantasmé, désiré et consommé.» dixit le philosophe Paul B. Preciado dans Je suis un monstre qui vous parle. «Il faudrait mettre en place un ensemble d’affects, presque comme des techniques spinozistes, qui ne sont ni la peur, ni l’apathie, mais la coopération révolutionnaire joyeuse». Chiche si cette fois ce n’est pas sponsorisé par une marque Ancien Régime.

Le travail du sexe concerne des femmes à 80 % sauf au Vatican où il s’agirait de 100 % d’escort hommes, dont beaucoup de sans-papiers d’après Frédéric Martel dans Sodoma. Que dire du déséquilibre psychoaffectif lié à cet insurmontable manque de sensualité ?  L’amitié entre le père Marcial Maciel (fan de Franco et d’Hitler) et Jean-Paul II est à ce titre édifiante, malgré les 213 lettres en 70 ans dénonçant les pratiques sectaires et pédophiles des «Légionnaires du Christ». Franchement les gars, touchez-vous la quéquette entre adultes si vous voulez, c’est hyper convivial, mais surtout ça éviterait peut-être de s’attaquer à des enfants, non ? 

Qu’il s’agisse de parcs et jardins, de bars, d’eros centers, de sexclubs ou de saunas, ces lieux sont très rarement gérés de façon horizontale mais sont souvent des lieux d’exploitation, comme dans les autres secteurs économiques. Pourquoi pas alors des maisons ouvertes plus que des maisons closes, des coopératives autogérées à petite échelle permettant d’échapper à l’exploitation par des managers, des actionnaires ou des proxénètes ? Dans une certaine mesure, il n’y a pas de différence entre un mac et un fonds de pension car il s’agit en grande partie des mêmes principes de prédation et de parasitisme. La mafia est juste la partie la plus décomplexée du capitalisme, elle en est partie prenante à travers les paradis fiscaux. L’évasion fiscale opérée par les réseaux d’exploiteurs atteint 853 millions d’euros par an, sachant que 45% du chiffre d’affaire est exporté par les réseaux. C’est encore peu par rapport aux 47,7 milliards du trou de la Sécu, aux plus de 100 milliards d’euros d’évasion fiscale à l’échelle nationale, ou aux 427 milliards à l’échelle européenne. Fatalité ? Nullement.

Exploitation induite par la prohibition des drogues

2020 aurait vu plus de 40 000 décès directs dus à l’alcoolisme ainsi que 3 239 morts sur la route. Bien sûr, il faut rester attentifs pour soi et pour les autres mais l’alcool et les drogues sauvent des vies tous les jours. Combien d’entre nous seraient mortes de solitude et d’ennui sans ces exigeantes maîtresses ? Le fait demeure : la France est le plus gros consommateur de cannabis à l’échelle européenne.

Lancé par des médecins et chercheurs londoniens, le «Global Drugs Survey» a recueilli 800 000 témoignages du monde entier en 10 ans, dans le but de réduire les risques et de fournir des données objectives. Trente minutes en ligne permettent de savoir si notre consommation est problématique ou non et d’envisager de la réguler si nécessaire. Il ne s’agit pas juste de se droguer, mais de bien se droguer et pas trop, car plus on pratique moins c’est magique : par amour pour tout cela il est bon d’espacer.

Les composantes sémantiques présentes dans «droga» ou «droog» désignent la même dragée depuis le XVIème siècle. Et «drugs» en anglais ? Et notre «droguerie» ? Lol. Voilà une appréhension bien plus large du terme «drogue». Singulier ou pluriel ? Ayant recours au premier, je me fais remettre en place par François Georges un des porte-paroles du CIRC (Centre d’Information et de Recherche Cannabique) qui affirme qu’il faut parler «des drogues». Façon de lever un voile obscurantiste, de clarifier ? Pourquoi pas. Pour prendre la question dans l’autre sens, pourquoi pas envisager «la drogue» comme un continuum allant du café jusqu’aux produits les plus durs, permettant d’envisager l’ensemble des produits modificateurs de conscience en démystifiant ? Je ne sais toujours pas. Aucun doute en revanche sur la définition de stupéfiant : «elle est tautologique, jamais pharmacologique : un produit est stupéfiant si c’est inscrit dans la loi» assène mon interlocuteur. Parmi leurs propositions souples et révisables : décriminalisation de toutes les drogues, accès légal différencié dans des lieux dédiés type coffee shops où des pairs peuvent conseiller et prévenir, séparation avec le tabac, contrôle du taux de THC (tétrahydrocannabinol, le principe actif ) au même titre que l’on contrôle les alcools forts, promotion de l’autoproduction (200 000 personnes en France) de «cannabis clubs» type AMAP et de coopératives avec produits bio, traçables, sans publicité, qui permettraient d’éviter l’apparition d’un «Philip Morris du cannabis». Pas mieux.

Depuis quelques mois, une amende forfaitaire de 200 euros doit être acquittée par un usager qui se fait attraper. Voilà bien un moment où tous les protagonistes sont parfaitement conscients du caractère évitable de cet échange. Fumer en conduisant est autant à proscrire que boire au volant, aucun doute là-dessus mais la possession en soi, où est le problème, à part si on a moins de 16 ou 17 ans ? Quelle différence avec l’alcool ? 700 000 alambics ont été détruits pendant la Prohibition dans les années 20 aux États-Unis, et nous ? Combien d’ecstas, de tonnes de weed ? On aurait pu faire une sacrée fête à la place, parce que tu vois papa, la drogue c’est cool. Le problème c’est les mauvaises drogues ou, comme avec le schnaps, les trop grandes quantités. 

Les conclusions des études d’impact du professeur Benjamina de l’hôpital Brousse à Villejuif sont sans appel : le principal problème est l’absence de traçage des produits que l’on trouve dans la rue. On parle d’«effets minimes, réversibles, d’absence de symptôme majeur nuisible». Nier l’accès aux cannabis médicinal est une violation des droits humains. En d’autres termes, une grande partie des troubles liés au manque d’accompagnement, à des produits trop forts ou à la surconsommation est de la responsabilité directe des prohibiteurs. 

Au-delà des petites pichenettes rhétoriques de certains politiques qui jouent aux imbéciles, il est vital de questionner la gradation entre herbe médicale, herbe récréative, smart drugs, nootropes, drogues de synthèse, drogues dures, etc. Quel est le point commun entre une personne totalement straight-edge (vegan, pas d’alcool ni de drogues) qui aime le thé et une personne qui s’injecte de l’héroïne cinq fois par jour ? Ils font partie d’un continuum : l’Humanité. Que dire de l’usage traditionnel de feuille de coca dans les Andes, intimement lié à un terroir, de l’ayahuasca (à base de racines et lianes) d’Amazonie, de la laitue vireuse dans le Morvan, de la noix d’arec en Birmanie, du khat à Djibouti ? Que depuis la nuit des temps et sur toute la surface du globe, humains (comme animaux) aiment à se mettre une bonne peignée de temps en temps.

Le moment le plus drôle de la recherche occasionnée par ce papier est sans doute le témoignage de cette docteure en pleine croisade contre la fumette qui explique comment elle tente de distinguer les vrais patients de ceux qui font semblant et veulent juste planer. Exactement comme dans South Park. Digressons encore et à l’image de Voltaire avec Candide, éclairons la situation avec une simple inversion comme dans «Jacky au Royaume des filles» de Riad Sattouf : imaginons des français qui feraient semblant d’être malades pour se faire prescrire du vin. Amusant, non ?

Plus sérieusement, comme le démontre l’étude de 2018 hébergée par le site interuniversitaire québécois Erudit.org au doux nom de Où est le problème ? «l’argument de l’injustice présente la prohibition du cannabis comme un système discriminatoire produisant l’exclusion, la marginalisation et la stigmatisation». En d’autres termes, c’est toujours les pauvres qui finissent incarcérés (la moitié en raison de la drogue donc) tandis que des dizaines de milliards d’euros tombent dans les poches de la mafia au lieu de celles de l’État. On oppose souvent l’argument de la tradition ou de l’infaisabilité d’un contrôle étatique des drogues. Pourtant, la consommation de cannabis est aujourd’hui une tradition française bien plus florissante que la bourrée auvergnate et l’État français n’est pas étranger à la production et à la distribution monopolistique du cannabis qu’il a déjà autorisé au Maroc sous domination coloniale à travers la Régie Marocaine des Kifs et Tabacs. 

À quand les petites saillies l’air de rien sur les accords weed/pâtisseries comme vin/fromage aujourd’hui ? Le recours à ces petits adjectifs comme pour faire son malin chez le caviste ? Les visites de plantation de beuh légale avec un détour par la boutique souvenir du Clos Marie-Jeanne ou du Château Zetla ? France, terre d’excellence ? Chiche. Les documentaires sur les filières d’excellence de la weed bio ? La saga familiale sur nos plus grandes plantations d’herbe ? La photo de trois générations aux joues roses vantant une tradition séculaire ?

Rions encore : «perspective de développement d’une filière d’avenir» est l’expression utilisée par la Mission d’information commune de l’Assemblée Nationale de janvier 2021 présidée par le député LR Robin Réda. «Il est temps de traiter la question avec pragmatisme en tenant compte de la réalité de la consommation, de l’évolution de la société et en évitant les postures morales qui empêchent l’ouverture d’un vrai débat», écrit François-Michel Lambert, député anciennement LREM désormais Libertés et Territoires, qui n’est pas exactement un hirsute trotskyste libertaire. Légaliser avec un monopole d’État générerait environ 2 milliards de recettes par an. La commission parlementaire du 13 janvier offre une possibilité à la majorité de mettre un peu de Californie et de greenwashing dans son libéralisme autoritaire. Le résultat de la consultation citoyenne est sans appel : 253 194 personnes ont participé et 80,8 % sont favorables à une autorisation de la consommation et de la production. Une lueur d’espoir dans un contexte politique si sombre n’est pas négligeable car c’est peut-être par des questions prétendument annexes que l’on peut tenter d’éclairer le jeu politique et la société dans son ensemble. Les approches politique, sociale, sanitaire, économique et philosophique concordent. C’est aussi en draguant l’électorat avec la perspective d’une bière fraîche et légale que Roosevelt a gagné la présidentielle de 1932 et a pu lancer le New Deal. À bon entendeur.

Nourrir les mythologies

J’ai fini par avoir l’impression de devoir écrire ce texte car la politique s’est imposée à moi dès l’âge de 9 ans. Ayant l’interdiction de fréquenter mes copains Mohamed et Mustapha car ils étaient des «bougnoules» (ou «crouilles»), ou mon copain Michael car son père était «poubellon», me faisant régulièrement à l’école traiter de gros ou de pédé, j’ai découvert la politique trop tôt, sans avoir rien demandé. S’il y avait tant de raisons de ne pas aimer son prochain, je devais avoir encore beaucoup à lui reprocher, mais rien de valable sans doute, c’était inutile. Si je me sentais rejeté, sans doute que tout le monde aussi un peu d’une certaine manière, d’où la nécessité d’aimer.

Y a-t-il qui que ce soit dont personne dans l’entourage ne prenne aucune drogue illégale ou n’ait eu recours à du sexe tarifé ? Chacune vit donc de façon plus ou moins directe dans des petits arrangements avec la loi, la morale ou la pression sociale. Le plaisir a dans nos vie une place annexe, et il est souvent réduit au plaisir d’avoir plus que d’être ou de faire. Voilà la perspective à inverser.  «Fils de pute» serait le nouveau «fils de bonne famille». De même pour «bâtard» (issu de l’union illégitime de deux êtres) : n’est-ce pas précisément ce métissage qui nous éloigne de la consanguinité et de l’inceste ? Quand est-ce qu’«enculé» signifiera «digne d’une grande affection» ? «Je t’encule» équivaudrait à «bonne journée» ou «bonne soirée» selon l’heure. Et «pédé !» serait une façon de dire «merci de m’avoir ouvert les yeux». Oui, oui, angélisme tout ça. Mais les mots n’ont rien d’innocent et la guerre lexicale est là, bien réelle.

Que l’on me taxe d’utopiste, soit. Je sais que je n’ai pas assez les mains dans le cambouis des dossiers pour prétendre agir immédiatement comme politique. Mais je sais aussi qu’il faut que quelques-uns se fassent traiter d’utopistes pendant quelques décennies avant que n’adviennent certains trucs inévitables et enviables. Car si nous n’esquissons pas dès aujourd’hui d’autres possibles en osant la légalisation pour couper l’herbe sous le pied des système mafieux nous n’avancerons pas d’un iota. 

Le moment pivot de l‘année, notre Noël, est le fruit de la monstrueuse union des armées de Jésus et du service marketing de la Coca Cola Company. Il a gagné contre le 31 décembre. Amazon a gagné contre les librairies, les centres commerciaux et lieux de culte contre les théâtres et musées : décisions tombées du ciel ou choix de société ? De même, le mythe d’Adam et Eve qui structure nos inconscients est une véritable horreur. Rarement «homme et femme il les créa» a été interprété comme évoquant une androgynie originelle. Mais plutôt l’autre interprétation où Dieu considérant qu’Adam devait avoir une compagne, il la créa à partir d’une de ses côtes, avec ce que le mythe peut finalement avoir de performatif, favorisant la domination masculine. Même chose pour la notion de travail. Sans trop vouloir faire de parallèle avec «Arbeit macht frei» ou avec le «work is fun» au mur de la pépinière d’entreprises de cette université de l’ouest parisien, la Bible enjoint de «faire la besogne de Celui qui l’a envoyé, aussi longtemps que dure le jour».  L’oisiveté y est donc un des plus grands péchés.

Au-delà des insupportables aspects essentialistes, moralistes et contre-productifs du «woke», voilà ce que l’approche intersectionnelle ou l’écoféminisme ont apporté à l’ensemble de la population, pas seulement aux minorités car à bien y regarder, tout le monde est à sa façon une minorité ! Voilà pourquoi est nécessaire l’insoumission épistémologique appelée de ses vœux par Preciado. Avant de proposer des réponses, commençons par poser nos propres questions. La certitude n’est pas supérieure au doute, ni l’arrogance à l’humilité. 

S’il faut être en guerre, c’est plutôt avec la désolation inhérente à ce contexte moisi où beaucoup sont tristes et isolés. Pourquoi ne pas donner un statut à la transcendance sans églises, aux rituels païens de communion où religion renvoie à «religare», «se relier» ? Et quid de la communion, terme dont l’utilisation est trustée par les chrétiens. On ne pourrait pas partager un peu ? Sans parler de vie (quelle vie les pro-life nous réserveraient-ils ?), de valeurs (éventuellement actuelles). Difficile comme pour CNews de distinguer l’opportunisme nauséabond des réelles convictions xénophobes. 

Est-ce que le couple croissance/décroissance ne devrait pas finir au placard, relayé par d’autres indices plus pertinents, inspirés de l’IDH (Indice de Développement Humain) par exemple ? Le terme décroissance est nul ! Pourquoi pas une croissance du temps de sommeil, de poésie, de sexe ou de méditation ? Est-ce que le culte du PIB sert la majorité ? Il augmente avec le succès des plus fortunés même si la majorité stagne ou régresse économiquement donc là encore c’est non. Au cœur de la tornade, il est peu aisé d’embrasser à la Barthes/Roumanoff les mythologies de nos années 20 de l’ère automobile qui ne veut pas finir, de la grande maison/voiture du footballeur avec sa grosse bite et son super téléphone. 

Est-ce que 1000m2 maximum, un patrimoine de 1 milliard par personne ne seraient pas déjà plus qu’assez ? Comment dans ces conditions atteindre une consommation d’une Terre par an ? Structurellement et à petite comme à grande échelle, en France ou sur Terre, 15 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Il serait si aisé de rendre disponible les moyens suffisants en partageant. Posséder comme Bernard Arnault plus de 100 millions d’années de SMIC alors que 15 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, ce n’est ni enviable ni admirable, c’est parfaitement indigne.

Sommes-nous dans un moment révolutionnaire ? Les tensions de toutes parts sont si fortes que l’on n’imagine pas la situation aller autrement qu’aussi fort dans un sens ou dans l’autre. Vers un national-socialisme, vers un libéralisme de plus en plus autoritaire ou vers une logique d’émancipation. Le Front Populaire et Pétain s’étaient succédés de si peu. Gaffe. Je me permets d’écrire ce texte comme simple citoyenne mais je préfère ne pas signer sous mon vrai nom car je suis prof. 

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