François Marcel Joseph Bernard Ruffin, né le 18 octobre 1975 à Calais (Pas-de-Calais), est un journaliste, essayiste, documentariste et homme politique français. Figure emblématique de la gauche française, il s’est fait connaître par son engagement social, ses critiques du capitalisme et son style militant, mêlant journalisme d’investigation, réalisations cinématographiques et action politique. Fondateur du journal Fakir, réalisateur primé et député de la Somme, François Ruffin incarne une voix singulière dans le paysage politique français, marquée par une défense des classes populaires et une critique des élites économiques et médiatiques.
Origines et formation
François Ruffin naît dans une famille de la classe moyenne à Calais. Son père est cadre chez Bonduelle, une entreprise agroalimentaire, et sa mère est femme au foyer. Il grandit à Amiens, où il est scolarisé de la sixième à la terminale au lycée La Providence, un établissement privé catholique tenu par les jésuites. Cette période marque François Ruffin, qui se décrit comme un adolescent en révolte contre cet environnement bourgeois, qualifié de « cul-terreux » par ses camarades. Il y croise notamment Emmanuel Macron, futur président de la République, qui deviendra plus tard l’un de ses principaux adversaires politiques.
Après son baccalauréat, François Ruffin poursuit des études de lettres modernes à l’université de Picardie Jules Verne à Amiens, où il obtient une maîtrise. Il intègre ensuite le Centre de formation des journalistes (CFJ) à Paris, dont il sort diplômé en 2002 (promotion 2002). Cependant, il critique vivement cette expérience dans son livre Les Petits Soldats du journalisme (2003), où il dénonce les méthodes de formation des écoles de journalisme, qu’il juge conformistes et déconnectées des réalités sociales. Il y décrit un enseignement qui, selon lui, produit des journalistes « dépourvus de valeurs » et soumis aux logiques du capitalisme.
Engagement journalistique et création de Fakir
François Ruffin affirme être « né politiquement par la critique des médias ». En 1999, alors âgé de 24 ans, il réagit à la couverture médiatique lacunaire du Journal des Amiénois concernant la délocalisation d’une usine Yoplait à Amiens, qui entraîne le licenciement de 89 salariés. En réponse, il fonde Fakir, un journal local indépendant et militant, qu’il vend à la criée devant les MJC d’Amiens. Avec un slogan provocateur, « Journal fâché avec tout le monde. Ou presque », Fakir se veut une tribune pour les oubliés et les précaires, dénonçant les injustices sociales et les dérives du pouvoir local. Le journal, d’abord local, gagne en notoriété et devient national en 2009, avec un tirage de 29 000 exemplaires par an à son apogée.
En parallèle, François Ruffin collabore avec des médias alternatifs comme Le Monde diplomatique et l’association de critique des médias Acrimed. Il participe également pendant sept ans (jusqu’en 2012) à l’émission Là-bas si j’y suis sur France Inter, où il réalise des reportages engagés, souvent centrés sur les conditions de travail des salariés précaires. Sa méthode journalistique, inspirée en partie du cinéaste américain Michael Moore, repose sur une approche provocatrice : il achète des actions d’entreprises pour assister à leurs assemblées générales et poser des questions dérangeantes aux PDG, une stratégie qu’il utilisera notamment contre Bernard Arnault, PDG de LVMH.
Carrière cinématographique
François Ruffin se fait connaître du grand public avec son premier film documentaire, Merci Patron ! (2016), réalisé avec le soutien de la productrice Johanna Silva. Ce film satirique suit l’histoire de Jocelyn et Serge Klur, un couple d’ouvriers licenciés après la délocalisation de leur usine textile par une entreprise détenue par Bernard Arnault. François Ruffin y orchestre un stratagème pour contraindre Bernard Arnault à indemniser les Klur, dénonçant les ravages du capitalisme et des délocalisations. Le film, à la fois drôle et engagé, rencontre un immense succès, attirant plus de 500 000 spectateurs et remportant le César du meilleur film documentaire en 2017. François Ruffin, fidèle à ses convictions, reverse son prix aux ouvriers de l’usine Whirlpool d’Amiens, menacée de délocalisation.
Il poursuit sa carrière cinématographique avec d’autres documentaires, souvent coréalisés avec Gilles Perret, comme J’veux du soleil ! (2019), qui donne la parole aux Gilets jaunes, ou Debout les femmes ! (2021), sur les métiers du soin et du lien. Son dernier film, Au boulot ! (2024), met en lumière les travailleurs précaires et confronte leurs réalités à celles des élites, incarnées par l’avocate Sarah Saldmann. Ces œuvres, à la croisée du journalisme et de l’art, renforcent son image de porte-voix des classes populaires.
Engagement politique et Nuit debout
En 2016, le succès de Merci Patron ! joue un rôle clé dans l’émergence du mouvement Nuit debout. Inspiré par une tribune de l’économiste Frédéric Lordon dans Le Monde diplomatique, qui voit dans le film un appel à la révolte, François Ruffin organise une réunion à Paris le 23 février 2016 pour fédérer divers mouvements de contestation (ouvriers, enseignants, opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes). Cette initiative débouche sur l’occupation de la place de la République à Paris le 31 mars 2016, sous le nom de Nuit debout, un mouvement citoyen contre les réformes libérales du gouvernement. François Ruffin devient l’une des figures de proue de ce mouvement, qui s’étend à d’autres villes en France et en Europe.
En 2017, François Ruffin se lance en politique en fondant le mouvement Picardie debout !. Candidat aux élections législatives dans la 1re circonscription de la Somme, il est soutenu au premier tour par La France insoumise (LFI), Europe Écologie Les Verts et le Parti communiste français, puis par le candidat socialiste au second tour. Élu député en juin 2017, il rejoint le groupe parlementaire de LFI, bien qu’il conserve une certaine indépendance. Il s’engage à ne garder qu’un salaire minimum de son indemnité parlementaire, reversant le reste à des causes sociales, conformément à une tradition du PCF.
Parcours politique et divergences avec LFI
Comme député, François Ruffin utilise l’Assemblée nationale comme une tribune pour dénoncer les injustices sociales. Il se distingue par des interventions théâtrales, comme lorsqu’il arbore un maillot de l’Olympique eaucourtois pour défendre une proposition de loi taxant les transferts dans le football (taxe Neymar) en 2017, ou lorsqu’il brandit un chéquier pour interpeller la ministre de la Santé Agnès Buzyn sur les conditions de travail dans les EHPAD en 2018. Il soutient également les auxiliaires de vie, les femmes de ménage et les salariés précaires, tout en dénonçant les politiques macronistes, notamment lors d’un échange tendu avec Emmanuel Macron sur le cas de l’usine Whirlpool.
Proche de La France insoumise dans les premières années de son mandat, François Ruffin s’en éloigne progressivement à partir de 2024 en raison de désaccords stratégiques avec Jean-Luc Mélenchon. Il critique la ligne communautariste de LFI, qu’il accuse de se concentrer sur les quartiers populaires urbains au détriment des classes ouvrières rurales et périurbaines, séduites par l’extrême droite. En 2024, il rompt officiellement avec LFI et rejoint le groupe Écologiste et Social à l’Assemblée nationale pour bénéficier d’un temps de parole plus important. Il est réélu député en juillet 2024 sous l’étiquette du Nouveau Front populaire, qu’il contribue à fonder, face à une candidate du Rassemblement national.
Ambitions présidentielles et vision politique
En 2025, François Ruffin se positionne comme un acteur majeur de la gauche française en vue de l’élection présidentielle de 2027. Le 1er avril 2025, lors d’un meeting à Montreuil intitulé « Notre France ! », il esquisse un projet commun pour la gauche et annonce une série de meetings, laissant entendre une possible candidature. Il appelle à une primaire de la gauche pour désigner un candidat unique, à laquelle il se porte candidat. Partisan du protectionnisme économique, qu’il défend dans son livre Leur grande trouille : journal intime de mes pulsions protectionnistes (2011), et de la décroissance face au productivisme, il prône une gauche sociale, écologique et rassembleuse, capable de reconquérir les classes populaires.
Ses critiques de la stratégie de LFI, notamment dans un livre publié en septembre 2024, où il dénonce le « clientélisme électoral » de Jean-Luc Mélenchon, provoquent des tensions. Hué par une partie du public à la Fête de l’Humanité en 2024, il persiste dans sa volonté de renouveler la gauche en s’adressant aux « campagnes paupérisées » et aux ouvriers, tout en s’opposant au Rassemblement national.
Vie privée
François Ruffin a deux enfants, Joseph (né en 2008) et Ambre (née en 2011), issus d’une première relation. De 2013 à 2019, il est en couple avec Johanna Silva, productrice de films, qui joue un rôle important dans ses projets cinématographiques engagés, notamment Merci Patron !.
Œuvres et impact
François Ruffin est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels :
- Les Petits Soldats du journalisme (2003), critique des écoles de journalisme.
- Quartier Nord (2006), sur la banlieue d’Amiens.
- La Guerre des classes (2008), sur la lutte des classes.
- Leur grande trouille : journal intime de mes pulsions protectionnistes (2011).
- Leur folie, nos vies : la bataille de l’après (2020), sur la crise du Covid-19.
Ses films, comme Merci Patron !, J’veux du soleil !, Debout les femmes ! et Au boulot !, combinent engagement social et émotion, visant à redonner dignité et visibilité aux travailleurs précaires. Son style, souvent comparé à celui de Michael Moore, mêle humour, provocation et empathie.
Controverses et style
François Ruffin est une figure clivante. Ses détracteurs, comme Jean-Michel Aphatie, critiquent son style jugé « pitoyable » ou démagogique, tandis que ses soutiens saluent son authenticité et son courage face aux puissants. Sa fortune personnelle, issue notamment des recettes de Merci Patron ! (plus de 3 millions d’euros de bénéfices pour un budget initial de 158 000 euros), a suscité des débats, notamment lorsqu’il a omis de déclarer une société dans sa déclaration de patrimoine en 2017.
Conclusion
François Ruffin est une figure incontournable de la gauche française contemporaine, à la croisée du journalisme, du cinéma et de la politique. À travers Fakir, ses films et son mandat de député, il incarne une voix des classes populaires, dénonçant les injustices du capitalisme et les dérives des élites. Son parcours, marqué par un engagement constant pour les précaires et une critique des médias et du pouvoir, fait de lui un acteur clé dans le débat sur l’avenir de la gauche, particulièrement à l’approche de l’élection présidentielle de 2027.