Ce n’est pas la jeune fille sincère qui alerte les leaders de ce monde sur l’urgence climatique, mais la campagne mondiale de propagande pour accélérer la financiarisation de la nature qui doit nous inquiéter.
Lancée depuis la Suède, aidée par une machinerie internationale d’associations ou de fondations de milliardaires philanthropes aux objectifs mercantiles assumés, masquée derrière le bien commun de la jeunesse, la plus grande campagne de manipulation des opinions de tous les temps bat son plein. Et comme souvent, les idiots regardent le doigt, plutôt que la lune.
Derrière les tresses de Greta Thunberg se découvre une nébuleuse de l’influence et du lobbying inédite par son ampleur et l’utilisation des nouveaux outils de propagande.
L’idée en est simple : Pour sauver la planète, nous devons tous, ensemble, changer.
Tous ? Vraiment ?
Pas vraiment, il s’agit surtout de créer un nouveau marché de la transition écologique en poussant l’argent public à abonder dans un fond vert mondial pour assurer la pérennité du modèle capitaliste financier. Les responsables politiques de la gouvernance internationale ne souhaitent qu’une chose : assurer le statu quo de l’équilibre des pouvoirs par la transhumance des investissements du carbone vers le renouvelable.
Il est illusoire de croire que la création monétaire financière, à l’origine des déséquilibres, va assurer un avenir radieux aux générations anxieuses.
L’épopée venue du Nord
Tout a commencé le 20 août 2018, lorsque Ingmar Rentzhog, PDG de la startup «We Don’t Have Time», a publié un tweet avec la photo d’une «fille suédoise» assise sur un trottoir.

Ingmar Rentzhog est un communicant suédois, fondateur de Laika, un important cabinet de conseil en communication pour le secteur financier. Suite au rachat de son cabinet de conseil par FundedByMe, il a été nommé Président du groupe de réflexion «Global Challenge» en mai 2018 et a siégé au conseil d’administration de FundedByMe.
Ingmar Rentzhog a aussi été membre des leaders d’opinion de l’organisation «Climate Reality» d’Al Gore, où il fait partie du groupe de travail européen sur la politique climatique. Il a ainsi été formé par Al Gore pour lancer des campagnes d’alerte sur le climat.
L’objectif de «We Don’t Have Time» est de créer un réseau social de plus de 100 millions de membres afin d’influencer les politiques pour qu’ils agissent davantage contre le réchauffement climatique :
«Notre objectif est de sensibiliser l’opinion publique, de changer le statu quo et d’amplifier les voix des défenseurs du climat dans le monde entier, qu’il s’agisse de dirigeants d’entreprises, de parents, d’étudiants ou d’adolescents activistes. La fondation «We Don’t Have Time» cherche à soutenir la jeune génération et à donner beaucoup de poids à son point de vue, ce qui est assez évident compte tenu du fait que la jeunesse d’aujourd’hui sera confrontée aux pires conséquences d’une crise climatique».
Parmi les actionnaires et fondateurs figurent des spécialistes de la finance dans l’innovation, sans lien direct avec l’écologie. Très rapidement, Greta rejoint la gouvernance de «We Don’t Have Time» avant de la quitter, pour retrouver son indépendance.
Les aventuriers du greenwashing
Mais autour de Greta et à la suite de Ingmar Rentzhog, s’agrègent d’autres conseillers et philanthropes de la finance verte et du greenwashing.
Le plus emblématique d’entre eux étant sans conteste Callum Grieve. Il avait été un des premiers à reprendre le tweet de Ingmar Rentzhog sur la jeune fille seule, la plaçant ainsi sur la rampe de lancement pour devenir la star mondiale du climat qu’elle est devenue. Voici sa bio sur la plateforme Linkedin :
«Avec plus de 20 ans d’expérience dans les communications sur le changement climatique et le développement durable, Callum dirige Every Breath Matters, une campagne mondiale visant à amener les dirigeants mondiaux à prendre des mesures audacieuses pour assainir l’air et protéger la santé de milliards de personnes. Auparavant, Callum était le directeur de la communication de «Sustainable Energy for All», une organisation mondiale à but non lucratif axée sur la garantie d’une énergie propre, abordable et fiable pour tous – et ce, bien avant 2030. Avant cela, Callum était le directeur de la communication de «We Mean Business», une campagne internationale motivant l’action des entreprises en faveur du climat et appelant à une politique climatique ambitieuse. Auparavant, Callum était directeur de la communication chez «The Climate Group», une organisation internationale sans but lucratif qui s’emploie à promouvoir des actions ambitieuses en matière de lutte contre le changement climatique auprès des entreprises et des gouvernements. Callum a coordonné des campagnes de communication et des interventions de haut niveau sur les changements climatiques pour les Nations Unies, le Groupe de la Banque mondiale, le maire Michael Bloomberg, le gouverneur Arnold Schwarzenegger, le gouverneur Charlie Christ, la gouverneure Jennifer Granholm, le Dr Wangari Maathai et plusieurs entreprises du groupe Fortune 500».
Inutile d’ajouter quoi que ce soit à la bio de ce publiciste qualifié et reconnu, dont la dernière entreprise «Every Breath Matters» associe Greta à sa liste des «Champions de l’air pur».
Sur cette liste de champions, on y trouve également Tedros Adhanom, Directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé, Christiana Figueres, ancienne secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et coordonnatrice de la mission 2020, Leonardo DiCaprio, Sadiq Khan, maire de Londres et Nicolas Berggruen, Président de l’institut Berggruen.
Nicolas Berggruen est un cas symptomatique de l’incohérence du discours des financiers philanthropes pour le climat. Très discret sur l’origine de sa fortune, l’héritier se pose en homme des lumières désireux du bien commun. Un article de 2012 d’Isabelle de Foucaud du Figaro le décrivait comme le milliardaire SDF : «À 51 ans, il vit seul, d’hôtel en hôtel – 5 étoiles tout de même – et sillonne le monde dans son jet privé Gulfstream IV. Ce nomade richissime peut ainsi résider dans 14 villes différentes en un mois».
Effectivement, pour sauver la planète, rien de mieux que de la sillonner en jet privé et d’investir dans la junk food : l’un des fonds de Nicolas Berggruen, Justice Holdings, basé à Londres, a investi 1,4 milliard de dollars pour acquérir une participation de 29% dans la chaîne de restauration rapide Burger King.
Berggruen était aussi l’actionnaire majoritaire du premier groupe de médias espagnol Prisa, qui possède El País et dont les 15 % de participation dans le groupe Le Monde sont convoités par le duo Niel et Pigasse.
Le milliardaire philanthrope est l’un des plus grands admirateurs d’Emmanuel Macron.
Il voit en lui un sauveur de l’occident et de l’Europe dans un article à sa gloire paru dans le Huffington Post en 2017 : «Macron semble n’être que le nouveau type de dirigeant politique que l’occident, et plus particulièrement l’Europe, a recherché – et dont il a désespérément besoin. En bref, Macron est quelqu’un qui peut nous guider vers l’avenir».
La démocratie c’est ringard, vive la start-up nation !
Le plus inquiétant sont les ambitions philosophiques et politiques du milliardaire, très actif dans le lobbying européen et la redéfinition de la gouvernance démocratique.
Sylvie Goulard a reçu de l’Institut Berggruen plus de 10 000 euros par mois d’octobre 2013 à janvier 2016, lorsqu’elle était députée européenne au titre de Conseillère spéciale du Council for the Future of Europe, un groupe de réflexion qui dépend du Nicolas Berggruen Institute for Governance.
Outre Sylvie Goulard, on retrouve parmi les membres de l’institut Berggruen Tony Blair, Jacques Attali, Alain Minc, BHL, Jack Dorsey, Jacques Delors, Pascal Lamy, Condoleezza Rice, Nicolas Sarkozy, Gerhard Schröder, Guy Verhovstadt et Luc Ferry.
Le dernier livre du milliardaire philanthrope sorti en avril 2019 s’intitule Renovating Democracy : Governing in the Age of Globalization and Digital Capitalism (Great Transformations).
En voici le résumé sur la plateforme Amazon :
«Avec une clarté et une conviction farouches, Renovating Democracy détruit nos structures de base et nous met au défi de concevoir un cadre alternatif pour la gouvernance. Pour véritablement rénover nos systèmes mondiaux, les auteurs plaident en faveur d’une participation sans populisme en intégrant les réseaux sociaux et en dirigeant la démocratie dans un système avec de nouvelles institutions de médiation qui complètent un gouvernement représentatif. Ils décrivent les étapes à suivre pour reconfigurer le contrat social afin de protéger les travailleurs plutôt que les emplois, passant d’une «redistribution» après la richesse à une «distribution préalable» dans le but d’améliorer les compétences et les avoirs des moins bien lotis. Enfin, ils plaident pour que la mondialisation soit maîtrisée par un «nationalisme positif» dans le pays tout en préconisant une coopération mondiale – en particulier avec un partenariat avec la Chine – afin de créer un ordre mondial viable fondé sur des règles».
Rien de mieux, pour résumer la pensée complexe du philosophe jet-setter que de ressortir un tweet de 2017 :

«Le paradoxe de la démocratie : afin de sauver la démocratie, nous devrons peut-être en avoir moins» – Nicolas Berggruen
Tweet effacé suite à un article du site «Ruptures» qui dressait le portrait de Berggruen.
Plus sérieusement, le travail de l’institut sur la transformation de l’humanité et de la gouvernance peut être trouvé sur son site et se résume en un confusionnisme technolâtre où la démocratie diminuée serait sauvée par les plateformes qui organiseraient le débat public de manière transparente et sereine.
Une alerte sincère pour une campagne de manipulation
Alors oui, Greta est sincère dans son alerte dramatique sur le climat, oui la jeunesse mondiale veut un changement de monde, mais sans se soucier de qui seront les porteurs des solutions ? Sont-ils au courant qu’aucun des protagonistes de Davos, à l’ONU en passant par la Commission Européenne, ne souhaitent une révolution écologique ?
Après tout, Greta n’appelle pas à une révolution, elle demande simplement aux responsables de son malheur de trouver les solutions à son malheur. En répétant qu’elle ne leur fait pas confiance, en réalité, elle les légitime dans leurs rôles de démiurges, où seules les élites pourront apporter les solutions au réchauffement climatique. Derrière elle, se déploie en parallèle une campagne mondiale de culpabilisation des citoyens dans leurs habitudes de consommation climaticides : avion, voiture, agriculture et alimentation.
Culpabiliser les consommateurs-pollueurs, c’est ce qu’ont fait dans les années 1970 Coca-Cola et les entreprises productrices de canettes de boisson, pour éviter de revenir à un modèle vertueux mais coûteux de bouteilles en verre recyclables et consignées. En faisant porter la charge sur les consommateurs comme seuls pollueurs, les entreprises se dédouanaient en tant que producteurs et responsables. C’est grâce à ces campagnes de culpabilisation des consommateurs qu’est née l’économie du recyclage. Le clip «Keep America Beautiful» est un exemple de cette industrie polluante cachée derrière la culpabilisation :
Les déclarations du champion de la Terre Emmanuel Macron appelant les jeunes français à dépolluer les plages Corse – «On doit rentrer dans une forme d’action collective. Je préfère que tous les vendredis on fasse de grandes opérations de ramassage sur les rivières ou les plages corses» – font partie du même système de culpabilisation morale. Cette pensée voudrait que par l’addition des comportements vertueux des contestataires, le problème climatique soit réglé. Il s’agit surtout de faire diversion sur les origines de la pollution et du problème climatique : industrialisation déréglementée et compétition mondiale pour les ressources.
Grégoire Chamayou, chercheur au CNRS, détaille cette stratégie du contrôle développée par les multinationales dans «La Société ingouvernable» (La Fabrique, 2018). Les stratégies déployées dans les années 1970 pour conjurer une crise de gouvernabilité ont convergé vers un libéralisme autoritaire où la libéralisation de la société s’accompagnait d’une verticalisation accrue du pouvoir. Un «État fort» pour une «économie libre».
Ce pouvoir vertical continue de se mettre en scène de sommet du G7 en sommet de Davos et à l’ONU, en se posant en grand juge et arbitre des inquiétudes. La campagne climatique d’influence des communicants financiers n’est que la suite logique de la stratégie du contrôle par la culpabilisation élaborée en 1970 tandis que la jeunesse de l’époque s’insurgeait déjà contre la pollution et inventait le no future punk.
God save Greta.