La scène politique… L’arène politique… La politique ne serait que théâtre ou version modernisée des jeux du cirque. Qu’on puisse parler de jeu politique m’est inaudible. Imaginez donc ma contemporaine souffrance. L’oligarchie a remplacé la démocratie. Nos gouvernements n’existent plus. Ils sont devenus des théâtres de marionnettes dans lesquels des pantins s’agitent selon le bon vouloir de quelques multinationales toutes puissantes. Le politique, mort sur l’autel du profit économique et de la collusion systémique, est une coquille vide remplie par les désirs d’une centaine de lobbyistes tels que Total, Air France, LVMH, Renault, L’Oréal, Danone, Saint-Gobain, Nestlé, Engie, Suez…
Amas de plumes voletant au gré du souffle des fonds d’investissement, des holdings et des actionnaires, les hommes politiques n’ont plus aucune conviction ni aucun idéal. Ils savent très bien dès le départ qu’ils obéiront sans obtenir nul pouvoir. Ceux qui pensent avoir une marge de manœuvre laissée vacante par la corruptibilité de leurs prédécesseurs déchantent très vite. Ils devront participer au cynisme universel. Ils attendront la fin de leur mandat en faisant le moins de vagues possibles. Ceux dont la clairvoyance et l’inhumanité sont totales se lèchent les babines et profitent de la curée avec délectation. Ils sont les amis de ces industriels et cette association de malfaiteurs leur convient parfaitement. Penser pouvoir convertir politiciens ou industriels à une nouvelle forme d’économie vertueuse et équitable est une utopie. Parce que le système ne le permet pas.
Une fois les élections passées, le peuple redevient esclave. Une fois nos représentants au pouvoir, rien ne les oblige à défendre l’intérêt général et le citoyen ne possède aucun moyen d’action légal pour intervenir sur l’exécutif, le législatif ou le judiciaire. Le citoyen n’a aucun pouvoir sur le politique et le politique est lui-même entravé par le marché et le capital. Qu’importe aux politiciens et aux industriels un monde juste quand ils ont l’assurance qu’ils ne seront jamais impactés par les réformes, les taxes et les pénuries. Personne ne se sent concerné par un fait qui ne l’atteindra pas.
La déliquescence de l’état social imprègne toutes les strates de notre société, et plus grave encore, de ce que nous nommons aveuglément notre civilisation. Le bien commun et l’intérêt général n’existent plus que dans l’esprit de quelques consciences au pire égarées, au mieux tentant de s’organiser dans cette lutte contre le seul obscurantisme qui soit, celui des riches contre les pauvres. En fut-il toujours ainsi ? Certainement. Cela doit-il entraîner un nihilisme néronien ? Absolument pas. L’être humain lutte. Telle est sa nature.
Ils nous font croire que la décroissance leur fait peur mais c’est faux. Ils veulent nous laisser penser que nous pouvons encore peser dans la balance et inverser la tendance. Feindre la crainte est leur stratégie la plus rentable pour que rien ne change. Nous sommes en train de leur dire que le changement climatique va créer un clivage entre les extrêmement fortunés et les dramatiquement pauvres (Messieurs Bezos et Musk ont respectivement engrangé 100 et 30 milliards de dollars durant les 3 mois estivaux de l’année 2020), générer des guerres civiles, des famines, des morts, des migrations et des exodes massifs. Ils n’attendent que cela et leurs business plans pour en tirer les meilleurs chiffres d’affaires sont déjà prêts. Pensons-nous sincèrement les attendrir avec la pauvreté, la maladie et la mort de millions de personnes ne représentant pour eux que de lointaines données ? Leur système entier a toujours reposé sur ce principe.
Le politique ne doit pas se situer au-dessus de l’humain mais il le peut grâce à un système qui le lui permet. Le politique sous le joug de l’économique nie la vie chaque jour davantage jusqu’au jour où nous trouverons cela normal. Pour beaucoup cela est déjà fait. Pour les autres, le combat est éreintant.
En une époque où une major pétrolière intègre l’un des plus hauts lieux de savoir de notre pays, et où suite à une pandémie consécutive à notre inconscience écologique, notre gouvernement fait le choix d’injecter des milliards d’euros dans des compagnies alimentant le déclin environnemental tout en creusant le fossé social à coup de plusieurs milliers de licenciements, le doute raisonnable n’est plus permis.
Une fois n’est pas coutume, notre cher (dans le sens coûteux cela va sans dire) Président fut honnête en répétant pendant les trop nombreux confinements que nous étions en guerre. Sa posture déclamatoire vidée de tout sémantisme – comme toujours avec le personnage – possédait en réalité une adéquation parfaite avec la société que ce dernier s’efforce de préserver depuis son mandat : une poignée d’élus associés au secteur privé travaillant à la destruction d’un peuple. Complètement stupides et consanguins, ils s’ingénient à bloquer toute survie du capital humain à la source de leur petit pouvoir mesquin. Leur temps est dédié au blocage de la moindre ouverture pouvant faire émerger un système qui fonctionnerait. Occupés à agir contre et jamais avec, par peur de perdre de maigres intérêts ne les rendant même pas heureux, ils nourrissent des règles définies par eux seuls mais qu’ils prétendent inaltérables et éternelles. Formés à entraver sans réfléchir, ils ne perçoivent pas qu’ils signent leur propre arrêt de mort.
La transition écologique n’est qu’un exemple représentatif du défi que notre société se doit d’affronter avec déjà trop de retard, celui de changer de focale et d’enfin bousculer des lignes qui ne sont pas issues d’une surpuissance immanente sur laquelle nous n’aurions aucune prise, mais bien établies par nous-mêmes. Démocratie et écologie sont au cœur de notre avenir et la préservation de nos libertés est aujourd’hui plus que jamais entravée par de gigantesques chaînes entretenues par le système et assimilées par nos esprits à un degré tel, que de là naît la difficulté à instaurer le moindre vrai changement. Les stratégies adverses au bien-être des populations, et j’entends par adverses les stratégies gouvernementales, économiques et celles de tous les pouvoirs en place, sont dans ces deux domaines strictement identiques. Il s’agit toujours de diviser pour mieux régner, de faire croire à une complexité tellement tentaculaire, que tout effort serait vain avant que d’être initié.
L’entretien de ces deux idées passe par des outils connus et employés de toute éternité comme la déformation des propos, l’alimentation constante de tout ce qui peut générer des amalgames et créer des tensions entre les communautés, la transmission d’idées nauséabondes, la récupération de craintes fondées sur des chimères, l’infantilisation, le dénigrement des oppositions, et cette liste non exhaustive pourrait encore être allongée. Toutes ces techniques sont excessivement bien rodées, car existantes depuis la nuit des temps, elles ont été patiemment peaufinées.
Face à un système nous paraissant inattaquable, beaucoup se cachent derrière la litanie du « Il aurait fallu mais peu importe il est trop tard » et préfèrent baisser les bras plutôt que s’épuiser. Mais le système n’est pas invincible. Il réussit simplement à encore nous le faire croire. Les signes avant-coureurs de l’imminence d’une chute rendue chaque jour plus inévitable sont légions et la condescendance d’une partie de la bourgeoisie illusoirement établie sur un ersatz de hauteur qui s’écroule chaque jour davantage ne trompe plus personne. Cette classe moyenne ne s’aperçoit même pas qu’elle profite des derniers soubresauts de privilèges qui disparaissent grâce à l’émergence grandissante de l’écart se creusant entre extrême misère et richesse vulgaire. Incapable de réinvention et de modernité, figée dans une temporalité indéfinie, elle ne peut se figurer qu’elle sera bientôt la bénéficiaire de la soupe populaire qui aura été (je l’espère pour elle) conservée par ceux qu’elle dénigre et snobe dans ses années de sénile vieillesse.
Ce sont les mêmes qui choisissent le repos sur la jeune génération par de basses flatteries manipulatrices la décrivant comme plus intelligente, consciente et impliquée. Les parents lèguent le sale boulot à leurs propres enfants en usant contre eux des mêmes tactiques dont se sert le gouvernement envers la population. La honte ne sera pas un garde-fou car elle n’atteint pas les puissants. La honte est encore un cadeau réservé aux peuples. Le régime inégalitaire de la monarchie demeure sous d’autres habits. La ploutocratie mène toujours la danse.
Cependant la résistance contemporaine possède un atout majeur de son côté. Contrairement aux vents de révolte précédents et aux révolutions antérieures, elle peut s’organiser à une vitesse inédite et à une échelle maximale. C’est d’ailleurs ce qu’elle doit faire. Se tenir informée par-delà les frontières, mutualiser les idées, faire front commun constituent ses principaux moyens pour réussir à s’imposer face à une économie déshumanisée. Et ceux que l’on a coutume d’appeler à tort les puissants de ce monde l’ont bien compris. Ils passent chaque minute de leurs piètres existences à tenter de museler la société civile.
La seule réponse viable et souhaitable viendra de la base sans laquelle rien de pérenne ne se fonde. Face à l’immense défi à relever, les gourous nouvelle génération affirmant sentencieusement savoir exactement quoi faire et comment agir, ne m’inspirent qu’une confiance toute relative pour user d’une courtoise litote. Parallèlement à ces individus, les humbles et les conscients peinent à se faire entendre ou ne souhaitent même plus l’être par lassitude et fatalisme à ne pas être suivis. N’attendons pas le messie qui nous sauvera tous, prendra sur lui la totalité du poids des enjeux actuels et nous proposera les dix nouveaux commandements d’un avenir radieux. Laissons les théoriciens poursuivre leurs réflexions sans les critiquer pour leur absence de recommandations concrètes. Les faiseurs n’appliqueraient rien si en amont certains ne faisaient pas le choix qui leur correspond de privilégier le raisonnement à l’action. Et ne forçons pas ceux qui ont ouvert la voie et ont déjà dit tout ce qu’ils avaient à dire à jouer les perroquets. Ne tombons pas à bras raccourcis sur toutes ces consciences nécessaires se situant à mi-chemin du dire et du faire et qui avancent à tâtons. Cessons de critiquer et de juger la moindre initiative personnelle car ces dernières ne le sont pas, leur but étant le bien commun. Ne repoussons pas la bienveillance même maladroite (et bien souvent la bienveillance ne l’est pas, elle bénéficie d’une inspiration globale qui la porte dans la bonne direction). Ne décourageons pas les bonnes intentions. N’ergotons pas sur le réseau de certains. Réseau n’est pas un gros mot. Il faut redéfinir les mots pour ce qu’ils sont et non ce qu’ils sont devenus dans la bouche et sous la plume de nos ennemis. Nous nous trouvons confrontés à une première mondiale. Il est bien évident que des erreurs seront commises. Oublions donc les défauts de notre nature faillible et concentrons-nous sur toutes les avancées allant dans le sens d’un avenir où l’écologie et la démocratie seront au cœur de nos vies quotidiennes. Il n’y a pas de dictateur vert. Les seuls dictateurs sont les dictateurs du billet vert.
Face aux adorateurs de la controverse stérile trouvant leur seule jouissance à évoluer dans des rapports de force, plus souvent énergivores et chronophages que constructifs, et comblant ainsi le vide pathétique de leurs piètres existences dominées par l’ennui, doivent se dresser tous ceux pour qui l’affrontement est un cauchemar. Les doux pacifistes le sont par sensibilité mais également par clairvoyance. Se fier à ses émotions, à ses instincts et à son cœur n’empêche aucunement de savoir consulter son cerveau et de le solliciter bien plus souvent que ceux qui ont perdu leur âme. Et le jour où l’altruisme s’engage, il n’accepte aucun compromis et aucun avilissement jusqu’à ce que la victoire soit acquise. Servir l’intérêt général, c’est préserver l’humanité de ses propres démons, choisir le vivant au lieu des inventions humaines auxquelles nous nous sommes soumis jusqu’à en devenir les prisonniers. Les empêcheurs de tourner en rond, les saltimbanques utopistes, les râleurs systématiques, les révolutionnaires pacifistes, les militants environnementalistes, les faiseurs de paix, les rêveurs du concret, les amoureux du vivant, les pourfendeurs de l’hypocrisie, les voyants impénitents ont une force indestructible, celle de se battre pour tous, y compris ceux qui les détestent, les nient ou les affrontent. Chaque jour que Dieu ne fait pas, ils se réveillent en mer même s’ils partent en réunion, ils sont en montagne même s’ils travaillent derrière un écran, ils pensent à de paisibles prairies depuis des barricades, ils imaginent des vagues au cœur de marées humaines, ils se rêvent en Patagonie en descendant du métro … Cette évasion constante leur est vitale et en rien contradictoire à un faire perpétuel car dans cette lutte, nos gouvernements nous offrent malgré eux un beau cadeau à la valeur inestimable, et c’est bien pour cette seule raison qu’ils nous le font. En ne faisant rien ou en contrant nos idéaux, ils font de nous des êtres se surpassant quotidiennement. En l’absence de choix, la paresse n’est plus permise et le risque encouru est de voir émerger une génération de petits surdoués et de génies autodidactes.
Le monde d’après doit se bâtir sur de nouveaux récits et des idées neuves. Il doit se construire autour de l’écologie car la préservation de notre lieu commun de vie ne saurait être que l’arrière-plan, le décor, ou l’instrument d’un programme, d’un budget, ou d’une feuille de route. Dans cette époque où tous nos repères s’évanouissent, et où nous devons en définir de nouveaux, les principaux écueils seraient de se rendre encore une fois les jouets de notre création ou de voir cette dernière récupérée par l’ancien monde que nous devons détruire et qui fera tout pour prolonger son fonctionnement. Le premier écueil évoqué est un risque qu’une lutte viscéralement humaine peut produire. La préservation de notre Terre commune est une bataille tellement importante, sans doute même la plus importante de l’histoire de l’Humanité, que cette dernière peut basculer vers les travers d’une religion scindant la population mondiale en initiés et en profanes et exacerbant dans chaque camp la propension à vouloir imposer sa vision à l’autre. Le second piège fait déjà partie du décor. Le néolibéralisme, cette hydre aux innombrables têtes repoussant à chaque attaque et ayant une propension innée à dénaturer les plus beaux combats, a déjà procédé à l’ingestion et à la récupération des thématiques écologiques, les pervertissant à un point tel qu’il accélère la disparition de ressources qui lui sont également indispensables.
Aussi, une vigilance constante assurée collectivement via les médias horizontaux, les tribunes, les rassemblements, les manifestations, les actions de désobéissance civile, doit permettre au peuple de contraindre une stratégie institutionnelle orientant l’attention sur l’anecdotique à assumer ses fonctions régaliennes. Chaque citoyen doit se faire lanceur d’alerte, saisir les associations ou les institutions de contrôle compétentes pour exercer une surveillance permanente sur les dérives journalières d’un système liberticide nous amenant chaque jour davantage à accepter une dictature qui s’installe et ose presque dire son nom en récupérant un langage évocateur des pires heures de notre Histoire. Car si les vieilles ficelles se modernisent, elles n’en demeurent pas moins toujours les mêmes. Il faut se faire violence et prendre le temps de réagir à chaque débordement pouvant sembler minime ou sans intérêt car c’est pas à pas que s’installe l’asservissement total.
Nous naissons libres. Cela ne pose pas de problème à notre société actuelle. Ce qui la gêne est que nous le restions et il est étrange de constater comment on peut être prisonnier en l’absence de barreaux. Sans murs, libre d’aller et venir à notre guise, il est difficile de prendre conscience de notre emprisonnement. Dans cette cellule impalpable, l’évasion est bien plus dure à envisager. Dans nos sociétés, tout fonctionne grâce à l’illusion des apparences réconfortantes et rassurantes pour la plupart de ceux qui ne veulent pas savoir. Pour les pouvoirs en place, le maintien de ces illusions n’a donc pas de prix. Même à un coût exorbitant, la contrepartie demeurera au rendez-vous. Nous n’avons pas fini d’être gavés jusqu’à l’implosion de faux-semblants et d’effets grandiloquents de communications éphémères cachant la vastitude du drame. S’inscrire dans le temps long et dans le long terme est impératif. D’où la nécessité de renouer avec le sens du langage. Ce n’est pas une bataille futile ou secondaire, car ce qui empêche actuellement une redéfinition des valeurs, c’est la déviation constante de la définition première des mots au profit d’un sémantisme contradictoire. Or, pour rendre des notions attractives, il faut retrouver l’art du récit. N’oublions pas que le détournement des mots entraîne celui des idées qui entraîne une vision fausse de notre environnement qui entraîne une mise à distance qui entraîne une léthargie qui entraîne la mort. Inversons la puissance lénifiante d’une langue instrumentalisée pour la remettre au cœur d’une désirable vision d’un monde à construire.
Ce combat planétaire passe par la réappropriation du virtuel qui ne doit plus être l’outil d’une mise à distance égoïste mais le lieu de préparation de la solidarité, le moyen d’enseigner la convergence des luttes. Redonnons au virtuel sa signification profonde de ce qui est seulement en puissance, potentialité à être. Ne confondons pas digital, numérique et virtuel. Utilisons les deux premiers pour bâtir le troisième. Nos écrans peuvent nous offrir une cartographie en temps réel de la planète sur laquelle nous vivons, vision omnisciente que notre individualité nous refuse. Ils doivent nous servir à mesurer l’ampleur des dégâts et leur inexorable progression car occulter certains paramètres par confort est une dérive que nous devons combattre. L’urgence climatique et environnementale actuelle ne peut pas mettre de côté l’importance des enjeux économiques ou politiques pour rendre la situation plus lisible ou facile à appréhender et éviter le découragement car la non prise en compte de cette complexité peut au mieux n’avoir aucun impact et au pire nourrir le système à renverser.
Le progrès est seulement à redéfinir car nos sociétés veulent nous faire croire qu’une unique forme de progrès, le sacro-saint progrès technologique, est viable, reléguant ainsi dans les abysses les notions humaines, sociales et émotionnelles. Ce progrès n’a rien de sacré ni de saint. Les idoles sont à manier avec prudence car elles ne servent que ceux qui les édifient et sont des chaînes pour les autres. N’oublions jamais que la politique est la plus belle œuvre humaine et qu’elle n’est salie que par une poignée d’individus qui trouvent leur jouissance dans l’avilissement de ce qui les dépasse.