Ce week-end eut lieu dans notre capitale une réunion des «leaders» de la gauche. À l’approche des élections présidentielles de 2022, où le duel Macron-Le Pen semble s’installer durablement dans la tête des français suite au matraquage médiatique de nos grandes chaînes d’information en continu, les grands partis de la gauche française cherchent un terrain d’entente afin de mener une candidature commune, capable de vaincre le locataire de l’Élysée ou l’héritière de la PME d’extrême droite en cas de victoire au premier tour. Etaient donc présents à cette réunion le Parti Socialiste, la France Insoumise, Europe-Écologie Les Verts, le Parti Communiste Français, des anciens macronistes en quête de repentance et d’autres courants plus minoritaires. Si l’ambiance semblait sérieuse et propice à la quête de consensus, il s’en fallut de peu pour que les dissensions apparaissent dans les médias, aussi bien chez les militants que chez les responsables de ces partis.
Au-delà de ces querelles de chapelles propres à notre gauche actuelle, il faudra plus qu’une simple union pour convaincre les français las de 40 ans de libéralisme, d’européanisme béat et de soumission aux impératifs économiques du grand capital contraire aux intérêts du pays. Aux vues de ce qui se dégage de cette réunion, le projet ne s’apparente pas tant à rechercher le programme consensuel capable de gagner les présidentielles pour ensuite appliquer une véritable politique de gauche, qu’une gigantesque boucherie où chacun cherche à imposer sa vision, plaçant alors le débat autour des intérêts de chaque parti et leader plutôt qu’autour de l’intérêt général. Cela se traduit notamment par les échanges houleux entre des représentants de la France Insoumise et Olivier Faure, premier secrétaire du Parti Socialiste, qui annonçait fièrement avoir obtenu un accord de principe avec les écolos pour mener une candidature commune en 2022. L’union des gauches semble bien commencer.
Ces querelles intestines dégoûtent les français qui ne croient plus en ce modèle de raisonnement quasi religieux. Voilà désormais plusieurs décennies que la gauche est en situation d’apoplexie, incapable de se réveiller pour mener la grande lutte qui permettra de renverser un système qui creuse toujours plus d’inégalités. Un système auquel la gauche s’attaque à coup de cure-dents, préférant s’y conformer à travers une opposition de façade, sans jamais n’inciter à le renverser.
Tout commence par la question européenne : il est établi que les traités européens ainsi que le droit dérivé ne permettent pas de mettre en œuvre une véritable politique sociale, qui passe par des monopoles d’État sur certains secteurs stratégiques, des relocalisations d’entreprises pour les secteurs industriels essentiels, ainsi qu’une lutte contre le dumping social dont la directive «travailleurs détachés» en est le plus effarant des symboles. En l’état actuel, il est impossible de se décrire de gauche sans remettre en cause les fondements de la construction européenne, c’est-à-dire les traités. Si la France Insoumise, à travers son programme «L’Avenir en Commun» réclame une renégociation des traités, qui, si elle se voit refusée, se change en une sortie pure et simple desdits traités, force est de constater qu’elle se condamne déjà à se coucher, ou à sortir. Car il est impossible de renégocier des traités en requérant l’unanimité des 27 états membres, d’autant que certains se complaisent très bien dans le système actuel, en leur faveur. Quand on se tourne vers les autres partis de gauche, aucun ne réclame une sérieuse remise en question de notre construction européenne, préférant parler d’une chimérique «Europe sociale» dont on nous rabâche les principes depuis 40 ans, sans qu’elle ne se soit concrétisée. Preuve s’il en est de la fausse promesse de socialisme, dont les français issus des classes les plus précaires voire moyennes ne sont plus dupes.
Des français de classes moyennes et prolétaires qui constatent par ailleurs une «gentrification» de ces partis de gauche, quand ce n’est pas une déconnexion pure et simple de la réalité. Il y a une réalité que l’on ne peut nier aujourd’hui : les votes qui permettent au Rassemblement National d’accéder au deuxième tour de l’élection présidentielle depuis 5 ans maintenant sont des votes, non pas de conviction, mais de contestation. Des votes qui appellent au sursaut des partis attachés aux conditions ouvrières, prolétaires, qui depuis trop longtemps maintenant n’arrivent plus à convaincre ces populations. En préférant s’atteler à des propositions hors-sol, loin de toute réalité tangible et matérielle, les partis de gauche ont fait fuir leurs principaux électeurs, attirant vers elle des gens issus de classes plus aisées, gentrifiant alors le cœur de lutte de ces partis en faveur d’intérêts qui ne sont naturellement pas les siens. Naît alors dans ces chapelles politiques un double-discours, qui cherche à ménager la chèvre et le chou. En atteste Paris ou Grenoble, deux villes laboratoires pour la gauche à l’approche des présidentielles. Cherchant à garantir plus de tranquillité dans les hypercentres, les municipalités entreprirent de grands travaux d’urbanisation «verte», mais avec pour but premier celui de sortir les voitures des villes. Comment alors un travailleur, qui habite dans les banlieues avoisinantes, peut gagner sa vie, si on lui prohibe son moyen de locomotion pour se rendre au travail ? En acceptant qu’il faille revoir notre mobilité, il faut aussi d’abord faire en sorte que chacun puisse travailler mieux, vivre mieux sans pâtir des réformes visant à protéger l’environnement. Autrement, c’est la débandade assurée.
Des propositions environnementales toutes plus hors-sol les unes que les autres. En déformant la réalité pour mieux la conformer à ses propres ambitions, on arrive à un moment où les faits scientifiques vont conduire à un déclassement généralisé du pays. Sortir du nucléaire, avec pour argument principal que nous ne savons pas traiter nos déchets, et en même temps appuyer le déploiement de véhicules urbains à motorisation électrique, c’est manquer de cohérence en plus de s’adresser à des populations bourgeoises qui n’ont que faire de ces changements. Pour le nucléaire, ce serait provoquer de gigantesques pertes d’emplois, inconvertissables dans la transition écologique quoi que l’on en dise (sauf pour le renouvellement bi-décennal du parc éolien, avec à la prime une artificialisation des sols couplée à une impossibilité de recycler les pales des éoliennes), et en même temps une pollution des sols agricoles du fait de l’artificialisation ainsi qu’une pollution visuelle pour les populations rurales. Chose que les populations urbaines n’ont que faire, car pas concernées par ces changements en plus de se complaire dans leur propre confort.
On se rend vite compte à travers ces quelques exemples que la gauche ne saurait répondre d’une seule voix aux enjeux que demandent une véritable politique sociale, placée sous le joug d’une réindustrialisation nécessaire du pays pour faire revenir la production, et donc l’emploi ; à laquelle s’additionnent des impératifs sociaux de mixité dans les zones urbaines et péri-urbaines, non pas seulement entre gens d’origines ethniques différentes, mais bien d’origines sociales différentes. Car ici réside à mon sens tout le désenchantement de la gauche : l’empêtrement dans un discours intersectionnel aux antipodes des valeurs universelles que promeut historiquement notre famille politique. En demeurant perméable aux discours intellectuels intersectionnels américains, la gauche s’est engagée sur une pente glissante qui divise les prolétaires de France, de toutes origines qu’ils soient.
Une faute majeure réside ici. En divisant plus qu’en rassemblant, et cela sur des critères fondés sur l’appartenance à une origine ethnique plus qu’en raisonnant en terme de lutte des classes, les dignitaires des partis de gauche ont réussi l’exploit de faire le jeu de l’extrême droite, en s’enlisant dans un discours opposé qui n’est en réalité que l’autre face d’une même pièce. On semble bien loin de l’époque où les partis de gauche luttaient contre l’extrême droite en s’attaquant à ses racines bourgeoises, mais aussi contre l’américanisation de la société, qui profite à un atlantisme expansionniste déjà bien ancré en France, et dangereux pour notre modèle social. Ce jeu dangereux est l’une des autres conséquences directe de la gentrification de ces partis, dont la base militante dicte la conduite politique et qui ne cherche aucunement à satisfaire les intérêts des plus précaires, mais d’abord des intérêts de classe bien personnels. Sans chercher à renvoyer aux textes de Michel Clouscard une énième fois, on se retrouve encore dans l’une des situations décrites dans son ouvrage «Néo-fascisme et idéologie du désir». Cela se traduit dans les scores par une fuite en avant de la jeunesse chez l’extrême droite. Lassée de ces discours militants qui résonnent comme des injonctions desquelles il est impossible de se défaire, couplée à des ridiculisations sur place publique des nouveaux élus de gauche (en témoigne le dernier exemple en date des bateaux à voile réputés comme polluants), la jeunesse tourne le dos à la gauche, sans que cela ne pousse les grands partis à se remettre en question sur leurs lignes politiques.
Dès lors, il est normal que la gauche peine à convaincre. Si les petites guerres de chapelles exaspèrent les français, la situation est plus grave quand on s’inquiète des axes programmatiques qui font consensus entre tous les partis. La question purement sociale semble écartée dès lors que l’on se penche sur la question européenne, aucun ne voulant revenir sérieusement sur la construction européenne, préférant remettre en cause de façon timorée les logiques bruxelloises et strasbourgeoises, voire francfortoises. Du fait des gentrifications poussées au paroxysme, il est inconcevable de voir dans ces grands partis une quelconque promesse de politique sociale, d’autant que le discours intersectionnel et écolo-démago nuit sérieusement à la grande lutte qui doit se mener envers la voracité du capital et ses alliés. Sans une quelconque prise de conscience sur le drame que sont les fondements idéologiques, qui se manifestent dans les axes programmatiques, il sera difficile de convaincre nos concitoyens qui préfèrent aujourd’hui se tourner vers l’extrême droite, et tout particulièrement la jeunesse française, lassée des injonctions ubuesques de ces partis.
Voici pourquoi les citoyens de gauche, encartés ou non, mais qui se reconnaissent dans ses valeurs historiques essentielles, doivent se mobiliser pour sauver ce courant de la noyade.
Sans une réaffirmation des véritables idées de la gauche ; sans une conviction inébranlable que la République sociale est la clef: la gauche historique est vouée à disparaître de l’échiquier politique. Il faut convaincre, comprendre d’où provient la fuite à l’extrême droite d’une certaine jeunesse et la désertion des bureaux de votes.
Nous sommes nés en France, nourris par l’idée de révolution : il peut en aller de même pour répondre aux enjeux de demain. Concertons-nous, relisons les grands penseurs de la gauche, n’ayons plus peur des adversaires qui peuvent se transformer en partenaire de lutte le temps d’un combat, fuyons la pureté idéologique. Redonnons la vie à la démocratie, au socialisme, et à la lutte des classes : soyons de gauche.