Mardi 14 avril, 29ème jour de confinement. Le temps est beau à l’extérieur. Mais il est long et éreintant à l’intérieur. Depuis un mois, nous sommes confinés dans nos maisons et appartements, en famille, en couple ou entre amis. Cette période est inédite et indécise. De mon côté, je me remémore dans un coin de ma tête tout ce que j’aurais dû faire s’il n’y avait pas eu ce foutu virus : fêter des anniversaires, courir, aller au bureau, profiter de la vie. Le Covid-19 a mis un stop à tout ça. Depuis peu, je vois tourner sur Twitter les hashtags #lemondedaprès et #lejourdaprès. Cette crise sanitaire est une formidable opportunité pour préparer ce fameux moment d’«après» afin d’éviter de répéter les mêmes erreurs qui, dans le passé, nous ont conduit droit dans le mur.
Une crise sanitaire aux conséquences multiples
Cette crise du coronavirus est inédite par son ampleur. Toute la planète est touchée, les États tendent d’enrayer la progression de la pandémie par des mesures d’urgence sans que cela ne suffise. La ville de Wuhan, capitale de la province du Hubei en Chine, point de départ du virus, a commencé le 8 avril à déconfiner ses habitants et à rouvrir petit à petit ses magasins et commerces. L’Europe et les États-Unis sont toujours en plein pic et l’issue est encore lointaine. De l’autre côté de la Méditerranée, les pays africains voient leurs premiers cas de Covid-19 sur leur sol et s’inquiètent d’une rapide propagation compte tenu de la fragilité de leur système de soins. À cette crise sanitaire, se juxtaposent d’autres crises : économique, sociale, politique. Du côté de l’économie, nous sommes en pleine récession comme l’a affirmé Bruno Le Maire récemment. Le PIB français (produit intérieur brut) a chuté de 6% au premier trimestre. La consommation ralentit compte tenu du confinement. L’achat des produits de première nécessité ne suffira pas à lui seul pour doper la croissance. L’après confinement sera très difficile selon les prévisions des économistes. Le FMI table sur un recul de la croissance mondiale de 3% pour cette année 2020. Aucun continent ne sera épargné. Les États et institutions supranationales essaient de chercher des pistes pour éviter un nouveau krach mondial : faire fonctionner la planche à billets, des politiques massives d’investissements pour doper les économies après le confinement. Cela ne suffira pas pour regagner la confiance des acteurs économiques qui craignent le pire après le confinement.
À cette mauvaise conjecture, s’ajoute une crise sociale qui pointe déjà le bout de son nez. En effet, cette période de confinement révèle au grand jour des inégalités criantes qui accentuent la fracture sociale au sein de notre pays. Nous ne sommes pas égaux sur les territoires de la République et en premier lieu en matière d’accès à un logement digne et décent. Comment peut-on vivre un confinement lorsqu’on est une famille de 5 personnes hébergée dans un 45m2 avec deux chambres et un petit salon ? En temps normal, le mal-logement est oublié et mis de côté par les pouvoirs publics qui laissent la main libre du marché régler tout. Depuis le 17 mars et le début du confinement, les associations de droit au logement et de solidarité alertent sans arrêt le gouvernement sur cette problématique en expliquant que beaucoup de ménages vont souffrir pendant cette période du fait du mal-logement. Ce dernier n’apporte pas de solutions claires et précises pour ces familles qui vivent dans ces situations indignes et précaires. Le ministre du logement, Julien Denormandie, se fait très discret, se contente de déclarations vagues et s’en remet aux choix opérés par le Premier ministre en cette période. Par ailleurs, une autre inégalité est révélée par cette crise sanitaire : l’accès pour tous les élèves au numérique avec la fermeture des établissements scolaires. Cette fracture concerne l’ensemble de notre territoire et notamment les «zones blanches», régions où l’accès à Internet est compliqué voire quasi-impossible par manque d’implantation de câbles électriques. Des élèves ne peuvent pas suivre correctement leur programme scolaire soit par absence de connexion Wi-Fi soit par absence de matériel informatique dans leur foyer. Je pense, par exemple, aux familles avec plusieurs enfants à un niveau scolaire différent, où l’organisation des cours et le partage de l’outil informatique sont un véritable parcours du combattant, pour ne pas dire une plaie. Cette école à la maison s’avère être plus un sport quotidien pour ces milliers de familles privées d’une connexion Internet ou d’un ordinateur. Là encore, le ministre de l’éducation se contente de propos brefs et s’en remet, comme son collègue du logement, aux choix dictés par le Premier ministre qui applique les directives du chef de l’État. Ces inégalités sociales sont rendues visibles par cette crise pandémique. Elles sont révoltantes et le pouvoir n’apporte pas de mesures pour rassurer la population.
Enfin, à ces difficultés socio-économiques quotidiennes pour les ménages, s’ajoute une crise politique. Je dirais même une crise de la confiance en la parole politique. Depuis des années, et ça ne date pas du Covid-19, on ne croit plus en la parole politique dans notre pays. Nous ne croyons plus l’exécutif. Celui-ci ne se montre pas du tout à la hauteur de la crise sanitaire, opte pour les mauvais choix et préfère se murer dans une communication inaudible. Le Président de la République a effectué 4 allocutions en un mois : les 12 mars, 16 mars, 25 mars et 13 avril. Il aurait pu se montrer rassurant vis-à-vis de la population et faire preuve de compassion. Il a préféré, comme à son habitude, s’en remettre à de longs monologues creux. Ses allocutions durent en moyenne 25 minutes. Responsables politiques, syndicats et citoyens attendent des actes concrets. Au final, j’ai bien peur que rien ne change : les soignants attendent des masques et des blouses depuis des mois, la population souhaite une véritable stratégie pour gérer cette pandémie, et non cette «guerre», ainsi qu’avoir un cap clair pour la sortie. L’incohérence de ce pouvoir nous inquiète alors que nous respectons les consignes du confinement et les gestes barrières mis en place depuis un mois. Pour ne citer qu’un exemple de cette communication loupée : le sujet des masques. Le 26 février dernier, Jérôme Salomon, directeur général de la santé, affirmait devant une commission parlementaire qu’il n’y avait pas de pénurie de masques et que la France disposait de stocks stratégiques en cas d’épidémie. Pourtant, dès les premiers cas et décès liés au Covid-19 sur le territoire et en Outre-mer, les personnels soignants alertaient sur la pénurie de masques. Cette parole politique est faillible et les interventions répétées de l’exécutif, à commencer par celle d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe, ne sécurisent personne.
L’urgence d’inventer une société nouvelle
Comme je le disais en introduction, cette parenthèse du confinement, et j’espère qu’on en sortira rapidement, nous permet de nous poser et de réfléchir sur ce que nous voulons pour la suite. Cette crise a des répercussions multiples : moral en berne pour les acteurs économiques, des ménages confrontés à des difficultés financières et techniques, une parole politique qui se révèle complètement mensongère. Cette crise peut être longue et douloureuse et nous risquons de cravacher et d’y perdre gros tant financièrement que moralement. Mais, elle est une excellente opportunité à saisir pour dessiner une société nouvelle résolument tournée vers l’humain et non vers le profit. Depuis plusieurs jours, j’ai lu des articles qui nous expliquent que plus rien ne sera comme avant. Et de l’autre, je vois la couv’ de certains journaux et des plateaux TV qui donnent la parole à des personnes de ce monde fini. En quoi Thierry Breton, Daniel Cohn-Bendit ou Jacques Attali peuvent-ils se permettre de nous donner des solutions et susciter de l’espoir pour le monde d’après ? Outre le peu de sympathie que j’éprouve à l’égard de ces gens-là, ils représentent tout ce que rejette la population : l’opportunisme, le népotisme, le conservatisme. Le fossé est largement creusé depuis des années entre le peuple et ses dirigeants, qui sont des élites qui nous gouvernent dans le seul but de protéger des intérêts privés et non de prendre des mesures dans le sens de l’intérêt général. Le système oligarchique, nous n’en voulons plus.
En outre, nous observons les limites du modèle néolibéral à travers cette crise du Covid-19. Celui-ci a déstructuré notre système de soins, réduit les capacités d’accueil en milieu hospitalier et créé d’énormes tensions parmi les personnels soignants. La sixième puissance mondiale, dont le modèle de santé et de recherche scientifique est pris en exemple à travers le monde, n’arrive pas à faire face à une telle pandémie. Les choix dictés par les gouvernements successifs depuis trente ans ont été faits dans un seul but, à savoir réduire la dette de l’hôpital public par la compression des salaires, le non-recrutement de soignants et le non-renouvellement du matériel médical. Comment cela se fait-il que nous manquions de tests, de blouses, de masques ou de respirateurs artificiels ? Pourquoi certains soignants, témoignant à visage couvert, arrivent à dire aux journalistes, faute de places suffisantes en réanimation, qu’ils doivent choisir quel patient sera intubé en réanimation ou non ? Ici, nous avons atteint le point sensible à savoir trier les personnes contaminées afin de préserver celles qui ont plus de chances de survie. Pour les autres, c’est la mort ou des séquelles à vie qui les attendent. Et c’est triste. Dans un système de soins avec des investissements massifs en matériels et des personnels correctement rémunérés, nous n’aurions pas à avoir de telles interrogations et serions armés pour faire face à une crise pandémique. La doxa libérale et austéritaire, nous n’en voulons plus.
Enfin, la confiance en la parole politique s’effrite jour après jour dans notre pays. Notre modèle institutionnel repose sur les choix d’un personnage, seul à la tête de l’État et qui décide dans un coin de son bureau. Ce modèle est obsolète et archaïque. Il n’a plus d’avenir. Le peuple, en tant que corps politique, ne peut se satisfaire d’avoir un Parlement comme simple chambre d’enregistrement où les débats législatifs sont quasi inexistants. Le milieu politique a eu la fâcheuse tendance de s’entourer de communicants et de managers ces dernières années et les orateurs politiques sont devenus une espèce rare.
Avec cette crise sanitaire, la Macronie se retrouve confrontée aux problèmes réels du pays : le manque de moyens pour nos hôpitaux publics, une population qui n’est pas du tout rassurée sur la propagation de ce virus et qui recherche s’il y a eu des manquements par le pouvoir dans les décisions prises. Renouer ce lien de confiance entre le peuple et ses responsables sera un travail long et périlleux. Il ne se créera pas en un jour. Cela passera certainement par un renforcement des droits au profit du Parlement, véritable émanation de la souveraineté populaire et la proclamation de droits nouveaux pour les citoyennes et citoyens. On ne peut continuer tête baissée à voter tous les cinq ans pour un candidat gestionnaire qui essaiera de maintenir les comptes publics à un niveau correct, dans le seul but de faire plaisir aux observateurs financiers internationaux, et qui n’aidera en aucun cas les gens à sortir la tête de l’eau. L’élection d’un monarque républicain à la tête d’un régime archaïque, nous n’en voulons plus.
Ainsi, nous devons saisir l’occasion de cette crise sanitaire et de ce moment de confinement pour chercher des pistes pour ce monde d’après. Il faut explorer tous les champs des possibles. Une alternative existe et nous sommes des millions à le penser. Utilisons ce temps précieux pour ébaucher une feuille de route nouvelle, solidaire et humaniste qui devra être mise en débat. Je conçois qu’il n’est pas facile de porter un tel discours dans une période pleine d’incertitudes. Les ménages font face aux tracas du quotidien : nourrir leurs enfants, payer les factures et les loyers et essayer de finir le mois quand cela est possible. Ils n’ont que faire de penser au futur. Personne ne sait quand nous serons définitivement débarrassés de ce virus. Or, il y a urgence à réfléchir à ce moment d’après afin de poser les bases d’une société nouvelle qui devra s’articuler autour de l’Humain.