• ÉMISSIONS
  • PODCASTS
  • OPINIONS
Le Monde Moderne
  • France
  • International
  • Politique
  • Écologie
  • Économie
  • Culture
No Result
View All Result
  • France
  • International
  • Politique
  • Écologie
  • Économie
  • Culture
No Result
View All Result
Le Monde Moderne
No Result
View All Result

Lettre ouverte à Aurora,

Samuel Dock par Samuel Dock
dans Culture, Opinion
Reading Time: 11 mins read
736
PARTAGES
3.5k
VUES
Partager sur FacebookPartager sur Twitter

Je me souviens ton surgissement. Du mouvement de mon cœur quand il rencontra ta voix. J’étais à Paris depuis quelques mois seulement. Je vivais dans un petit appartement, peut-être n’était-ce qu’une pièce unique et cachée, un recoin à l’envers de la ville. Je doutais. J’attendais. J’espérais. J’écrivais, tout le temps, et la musique unifiait la course de mes doigts sur le clavier. Des clips vidéos défilaient par-delà ma vigilance, la musique tissait autour de moi un cocon duveteux, je respirais dans l’atmosphère un air monotone. Je n’accordais aucune attention à ces murs de pierres et de bruits jusqu’à ce qu’un son s’émancipe de tous les autres, jusqu’à ce qu’une couleur inédite, plus vive, file et s’instille dans l’uniformité de la toile pour en changer radicalement la profondeur et l’éclat. Tu as repoussé l’horizon.

Tout commença par un son. Par la rencontre d’un soupir, d’un souffle et d’une mélopée, la délicate mais puissante expiration d’une fée, le signal d’argent d’un monde caché à la périphérie du nôtre. Un effleurement, une brise comme des bras, une douceur assez puissante pour saisir mon esprit et l’extirper hors des frontières de l’organisme. Si limpide était cette courbe sonore, je crus un instant à un instrument. Cette onde quitta l’écran, recouvrit le clavier, se propagea jusqu’à mes oreilles ; je chassais la page, j’ouvrais la fenêtre. Tu étais là. Tu avais dix-neuf ans et sur ton visage pâle s’inscrivait une expression grave, tes yeux bleus ouvraient en grand une porte sur ton émoi, un aveu – ton corps s’avérait trop étroit pour enclaver les émotions natives de ton chant, tu en éprouvais physiquement chaque inflexion. Il fallait que tu partages cette prière, elle débordait, tu ne la conserveras pas pour toi. La Norvège déployait derrière toi ses panoramas, la terre, le ciel, l’eau, le monde coulait dans tes mots pour en renaître bientôt, pur et brut, lavé de nos tares et de nos regrets. Tu invoquais le feu piégé dans la glace, les temps anciens et ceux qui ne viendraient jamais, la sève sous l’écorce, l’élévation des falaises. Je sentais sur ma peau s’écrire une histoire qui s’éprouve mais ne se raconte pas. Sur ma colonne vertébrale se hérissaient un million de flèches de givre. Un fil invisible tirait sur mon cœur, mes poumons, mes viscères. Ton murmure grandissait, des intonations graves précédaient de plus cristallines envolées, – tu es la seule à faire cela – ta voix éclatait bientôt dans une clarté fulgurante, soleil triomphal là, juste là, tout au fond de cette abysse secrète. Dans « Runaway », tu parlais d’un exode vital, de l’échec du songe, de la violence du mirage quand il devance l’arrachement à soi-même. Face à cet exil, je ne fuyais pas, pourtant, je me recomposais, je revenais à moi. Je t’observais. Je te suivais. Je m’élevais. Dans ta montée en puissance, pris dans l’émotion je fermais les yeux, et il m’apparut alors que c’était avec ma chair, mes os, mes cellules que je t’écoutais. C’est ce que je ressentirai à chaque fois que se déploierait ta voix. Une fois la balade terminée, je la recommençais et je m’abonnais à ta page, j’étais une oreille, une parcelle de chair, un point dans le noir parmi quelques centaines. Étourdi par cette découverte, je gardais de cette beauté le vertige sans imaginer qu’elle n’était que le prélude d’une intense odyssée, une de celles qui conduit à soi.

Dans les semaines et les mois qui suivaient, je prolongeais l’exploration de ton territoire. J’écoutais tes premiers singles, puis ton album « All My Demons Greeting Me As A Friend ». A chaque fois ta voix filait, serpentait, avançait, se rétractait, tonnait, s’adoucissait et transperçait ce voile de nuit que ta plume jetait sur le monde. Tu conviais dans chacune de tes chansons ces ténèbres rampantes que l’on préfère reléguer à la bordure de notre société, les croire étrangères à notre humanité. L’homicide, la folie, la solitude, le deuil, si hautes qu’étaient les cimes, si rugueuses les aspérités, je glissais, je volais, cette insaisissable poésie appelait la rêverie, des visions, tellement de paysages, de cimetières sous les étoiles, de déserts sous-marins, de paisibles champs de bataille. « Enroulés dans un cocon fait de chair et d’os. L’endroit d’où tu viens n’a pas vraiment d’importance. Nous sommes à la maison ». J’avais trouvé dans l’enchevêtrement de l’aube et du crépuscule une heure à jamais dorée, une lueur pour éclairer ma voie. Je l’emportais avec moi. Pelotonné dans l’ombre la plus glaciale, fragmenté dans la lumière la plus brûlante, j’étais heureux d’être hanté. Que tu sois là.

Deux ans plus tard, tu sortis ton album en diptyque « Infections Of A Different Kind – Step 1 » et « A Different Kind Of Human (Step 2) », nous étions à présent bien plus nombreux, à suivre ton voyage, à t’appeler dans celui de notre existence, des milliers, oreilles et âmes mêlées. Je consacrais maintenant ma vie à l’écriture et au soin, à chercher du sens, j’en trouvais à tes côtés, un signe entre les manques, une indéfectible présence. Ta musique devenait une langue à part et je ne la partageais qu’avec les êtres les plus aimés, comme un cadeau, une chance, une main tendue. La sensation emportait l’identité et comme toi je me scindais pour que chaque découverte, pour que chaque rencontre soit une occasion de grandir, de me sentir vivant. Je devenais un animal capable d’aimer dans une jungle de béton, une rivière où noyer le chagrin, une lune pour abriter la solitude, la proie de l’emprise, l’averse pour abreuver la terre, un rêveur à jamais, un bel amour retrouvé. Je croyais moi aussi que le langage pourrait cicatriser même les plus profondes écorchures, combler la béance, que de la parole adviendrait un jour un univers plus doux. J’ouvrais et terminais un livre par les mots de « Soft Universe » pour que d’autres que moi s’en emparent. J’étendais le chemin.

Je ne suis pas parvenu à obtenir de place pour le concert à Paris mais je voulais célébrer avec d’autres cette vie supplémentaire, la doublure musicale de nos quotidiens. Je suis venu te voir au Parque della Musica à Rome. J’étais assis au centre de la salle mais lorsque tu es apparue sur la scène que les premières notes ont filé et retenti dans la pénombre irisée de bleue de l’auditorium, elles éclatèrent la surface du temps et j’étais maintenant des années en arrière à la toute première écoute, à ce premier contact, à cette grandiose exaltation dans le minuscule appartement. Je volais à nouveau, au-dessus du public, au-dessus de l’Italie, de moi-même. Je demeurais en plein corps pourtant, souffle brûlant, artères chargées d’affects. Où commençait la pulsation de mon cœur, où donc terminait celle de ta voix ? Mais je ne voulais pas être assis là. Tu le sais bien, c’est trop, trop d’émotions pour un seul corps. Je n’étais pas le seul puisque la foule a fini par se lever, repousser les sièges pour rejoindre les abords de la scène. Je me rappelle ta surprise face à ce groupe qui ne formait plus qu’une seule silhouette, un autre océan. La gorge serrée, je t’ai crié quelque chose, en français, bouleversé, je ne réfléchissais pas, ma gratitude je crois. Tu m’as regardé, il me semble, en disant qu’il y a toujours dans la musique un foyer. J’y étais. J’ai pensé que ta générosité suffirait, que j’étais rassasié de magie, abreuvé de couleurs, qu’il faudrait plusieurs mois pour que les attentes et les défaites de la vie ordinaire me déprennent de cette joie vivace que j’avais débusqué dans ton aura. Cependant, quelques mois plus tard, l’appel retentissait en plein manque, le désir revenait, brut, intact. Je revenais te voir, à Manchester cette fois. Comme à Rome, j’ai vu ton corps recueillir toute la foudre de ta ferveur, tes danses devenir transes, ton sourire éclater, magistral, au zénith de l’exultation, de la fusion entre le sens et le son. Guerrière ou magicienne, princesse Mononoké ou Freyja, esprit électrique et chair incandescente, tu délivrais tous les aspects de ta psyché, ils tournoyaient autour de l’épicentre de ta voix. Tu n’interprétais pas tes chansons, tu incarnais leurs états, de l’atome jusqu’à l’ange, tout était vrai, tout était vécu lorsque tu appelais leurs histoires à travers toi. Et à nouveau nous étions nombreux, dans l’ombre où s’étoilait ta lumière, à accorder les soubresauts de nos cœurs avec le tien.

Dans les années qui suivirent, je te retrouvais dans des bandes-originales, dans un grand nombre de morceaux non édités – j’espère que ces merveilles formidables, que tous les démons amis et tous les satellites brisés, ne le resteront pas – et des reprises. Est-ce le bon terme ? Peut-on parler de reprise lorsque le canevas est décousu puis rebâti avec les fils d’or de la plénitude et de la mélancolie ? Dans le sillage de ces révolutions successives apparut ton nouveau single, frappé du sceau de cette volonté instinctive de réinvention, un engagement indissociable de la créativité véritable. Dans « Exist For Love » tu chantais doucement la puissance des retrouvailles avec cet être perdu que l’on nomme amour : il ne sera jamais possible de pleinement se combler, de se guérir, mais comment vivre en dehors de cet unisson, sans la chaleur de cette fable pourtant authentique ? Peu après, dans « Cure For Me » tu célébrais le portrait d’une génération, étendard d’une époque fracturée, certes, consciente de ses vulnérabilités comme de ses impostures, mais aussi de son inventivité dans la redéfinition de son individualité et de ses liens, qui n’a nul besoin qu’un autre la guide, la soigne, lui enseigne comment vivre ou aimer. Ce plaidoyer s’est poursuivi avec « Giving in to the love », révolte de soi, forcément amoureuse, face aux ternes injonctions contemporaines, et surtout avec « Heathens » Bifröst jeté entre la tradition et la modernité, un vestige mystique débusqué à la lisière des normes et des modèles, dans la matrice du présent tu révélais une cellule immortelle, intemporelle. Dans le dernier « A Dangerous Thing », tu décrivais les relations d’emprise, la tension écarlate entre la séduction et la destruction, le savoir que l’on accorde parfois à un cerbère qui nous aliène, mais tu ne concédais rien à la destructivité : ce n’est pas de l’amour, à la fin, mais il demeure possible de vivre la peine, de danser la rage, d’abandonner l’esprit pour que jubile le corps. A chaque morceau mon impatience grandissait comme ma fascination pour ces métamorphoses successives qui ne conservaient dans leurs transitions radicales que ton exigence devenue grâce, une volupté nécessaire. J’étais redevenu un enfant, fébrile d’émotions et d’espoir, je jouais avec la vague, dans l’écoute de ce chant je me sentais grand, je provoquais l’océan, puis je m’y abandonnais tout entier. Tu serais l’artiste capable de conjurer le triste et périlleux danger du tout déjà dit, du tout déjà créé. Que reste-t-il à détruire après tout ? Que reste-t-il à enchanter ?

Nous y sommes. « The Gods We Can Touch » est là, la musique retentit et recouvre chaque chose, les murs, les meubles, les pensées, et sur ce nouveau décor je t’aperçois. Te voici debout, funambule à la frontière d’un monde effondré et d’un autre, trop frénétique, rien n’y tient. Le politique a trop courtisé l’image, a fini par s’y consumer, l’opinion a englouti la pensée, les religions inquiètent, la nature succombe et la science finit par décevoir, tout s’engloutit dans rien, le vide fait la loi. Où trouver encore la beauté pour réchauffer le jour, un sens pour accorder un cap à l’existence ? Comment subsister dans le maelström du nihilisme et de l’absurdité ? Quelle divinité reste-t-il à implorer ? Pour hisser le présent hors du néant, tu tournes le regard vers le passé, vers la Grèce et ses antiques croyances, Narcisse, Œdipe, Perséphone, Artémis, tous les dieux, tous les héros et tous les otages de la fatalité, sont là, à tes côtés, puissantes chimères qui créent ce qu’elles illustrent, premières unités de sens. Pour briser la répétition des jours, étendre l’espace d’un paysage trop étroit, tu t’empares d’innombrables inspirations, de l’Asie aux années 80, Western et voix française, de l’électronique jusqu’aux cordes, tu mêles toutes les références, tu les fractionnes, tu les sculptes à nouveau, ce ne sont jamais que des matériaux, l’essence nouvelle du rêve. Pour démentir l’individualisme contemporain, tu ne parles jamais que d’amour, de toutes les possibilités de se lier, de quitter l’orbite du Moi pour rencontrer l’autre, s’y attacher pour se libérer. Tout est profane. Tout est sacré. Tout est vain. Tout a du sens. Tout est ancien, tout est perdu, cependant dans nos sentiments, de la passagère sensualité à la symbiose éternelle, tout est à venir, tout est à réinventer. Il est possible de croire, de s’émerveiller encore, de trouver nos étrangetés plus familières, de reconnaître enfin nos silhouettes dans cette cosmogonie humaine. Chaque épreuve peut anéantir mais chaque tourment peut être surmonté, nulle solitude ne saurait durer. Pourvu qu’il y ait un autre à aimer. Les dieux véritables sont ceux qui s’éveillent dans une étreinte pleinement vécue, qui chuchotent à la lisière de peaux qui se touchent, qui scintillent dans des regards qui se reconnaissent enfin, qui assurent leur bénédiction à des mains liées. Ce n’est pas parce que le rythme de nos sentiments évolue que ceux-ci ne sont pas sérieux, pas parce que nos couples résistent et se dérobent qu’ils ne comptent pas. Il faut de la bravoure pour s’unir encore dans un univers délié et c’est le dernier espoir qu’il nous reste pour le réenchanter. Tu les convies, tu les deviens, ces dieux qui n’ont ni sexe, ni genre, ni norme, ces dieux que l’on crée, ces dieux que l’on peut toucher.

Je plonge dans le romantisme déchu mais trépidant de « Temporary High », je recueille ton cri sur « Blood In The Wine », j’écoute tout l’album, je franchis les étapes comme Ulysse les îles, je ressens, la collision des époques, l’hybridité des mythes, les visages surnaturels tournoient comme des planètes, je me décolle à nouveau, je m’arrache à la terre pour ta singulière Olympe. Lorsque je quitte ton royaume postmoderne, que je reviens à moi, j’emporte une conviction : tu as réussi, tu t’es hissée à la hauteur des enjeux de ton époque pour y bâtir un nouveau refuge. Je t’écoute oui, encore et encore, et je le sais comme je le sens, les alcôves de nos intimités sont indestructibles.

Je n’ai pas réussi à obtenir de places pour venir te voir à Paris mais j’irai à Londres et à Amsterdam. Dans la nuit multicolore peut-être qu’à nouveau je te dirai ma gratitude. Tu seras là, face à nous, dans tes millions d’incarnations, fugitives et authentiques. J’espérerai, comme tous les autres, que le temps se suspende. Je serai un atome ou un ange, un point parmi des centaines, oreilles, cœurs et âmes mêlées. Je serai heureux, dans cet écart entre l’aube et le crépuscule, en apesanteur dans cet unisson, une unique pulsation. Il est loin, le minuscule appartement, il devient caveau de ma mémoire, l’interminable attente et les blessures y reposent. J’ai poursuivi le chemin balisé par tes chansons, nimbé de ta voix, et cela en valait la peine, je suis à ma place, dans l’écriture et le soin, j’ai trouvé une maison à la croisée des époques. Demain ne fait plus qu’un avec maintenant, l’horizon que tu repousses est devant et derrière moi. Tu as toujours été là. Je souris déjà. Je me souviens ton surgissement.

La rédaction a souhaité publier également le présent texte en anglais. Il est disponible au lien suivant.

Share294Tweet184
Previous Post

La guerre, encore.

Next Post

An open letter to Aurora,

Samuel Dock

Samuel Dock

Samuel Dock est Docteur en Psychopathologie, psychologue clinicien et écrivain . Il est l'auteur de plusieurs ouvrages. Son site web: https://samuel-dock.com/.

RelatedArticles

ursula guerre
International

Qui est prêt à mourir pour le Donbass ou la Crimée?

3 février 2023
Fabien Roussel, le communiste qui plaît à la droite
France

Fabien Roussel, le communiste qui plaît à la droite

26 janvier 2023
ursula von der leyen
France

Mesdames, Messieurs les censeurs, bonsoir

20 janvier 2023
finance banque
Économie

Les Uber Files et la corruption académique

23 décembre 2022
Pour 15 minutes de défilé dans le désert, quand Yves Saint-Laurent montre la voie de la sobriété écologique.
Écologie

Pour 15 minutes de défilé dans le désert, quand Yves Saint-Laurent montre la voie de la sobriété écologique.

28 juillet 2022
vaccins
Opinion

Le rapport de l’Office Parlementaire sur les effets indésirables : une étape nécessaire mais très insuffisante de la fin du déni

28 juillet 2022
Next Post
aurora

An open letter to Aurora,

Laisser un commentaire Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

I agree to the Terms & Conditions and Privacy Policy.

PODCAST

S'inscrire à la newsletter

* = Champ requis
  • France
  • International
  • Politique
  • Écologie
  • Économie
  • Culture

© 2016-19 / Le Monde Moderne / mentions légales / ISSN 2646-2109

No Result
View All Result
  • France
  • International
  • Politique
  • Écologie
  • Économie
  • Culture

© 2016-19 / Le Monde Moderne / mentions légales / ISSN 2646-2109

This website uses cookies. By continuing to use this website you are giving consent to cookies being used. Visit our Privacy and Cookie Policy.