L’élection d’Emmanuel Macron, tel le coyote de Tex Avery, et la campagne électorale furent les métaphores d’un monde ou d’une France qui n’a plus le temps.
La France n’a plus le temps de débattre et ses élites ne souhaitent d’ailleurs plus se projeter dans le temps long puisqu’elles sont les esclaves d’une culture de hard news en mode low cost. Emmanuel Macron n’eut qu’à compter les points entre les juges du parquet et François Fillon sans même proposer un programme, juste un projet… Il déambula devant la pyramide du Louvre, empruntant la marche mitterrandienne certes à propos mais synonyme d’un monde qu’il ne veut plus.
L’ancien monde dit-il. Voici le paradoxe qu’il nous propose depuis deux ans et demi en plus de la formule centriste vide de sens du «en même temps». Nous vendre ou soumettre une France dont les symboles et les institutions seraient de retour. Les faire vivre avec un vocabulaire classique, soutenu voire trop précieux et les vider de leur sens ultime lorsqu’elles souhaitent exprimer leurs prérogatives.
Il est le gardien de ces institutions mais n’est pas Napoléon Bonaparte qui veut voire même le Général de Gaulle ou le Cardinal de Richelieu.
Il va vite. Très vite. Hors la rapidité mène au mur et au néant. Il ne voit rien d’autre qu’une réélection face à Marine Le Pen dont il prépare le scénario, les acteurs, le script et le dénouement. Il se verrait bien par la suite en Président d’une Europe Fédérale, libérale et startupisée … uberisée jusqu’à l’hallali.
Pendant ce temps, en France, on ingurgite des passes d’armes sur des plateaux de chaînes d’informations en continu, toujours aseptisées mais calculées par les directeurs de chaînes et de rédactions pour créer un semblant de contradiction tout en espérant un clash qui fera parler de lui pendant trois jours. Traits évidemment grossis d’une formule bien réelle.
Mais le débat ? Les idées et leur mode d’exécution ?
Qui peut aujourd’hui débiter ce que proposent le PS, les LR, la FI, les écologistes, les souverainistes, voire même les animalistes qui ont fait un score honorable aux européennes ? Pas grand monde car les deux acteurs du second tour de la présidentielle de 2017 confisquent ouvertement un débat politique qui a toujours été au cœur de la démocratie française.
«De bonne guerre» dirait l’autre tant la politique est un sport de combat emprunt de cynisme et de calcul. Mais toutes ces formations politiques sont inaudibles. Et de plus ne proposent plus grand-chose ou alors une mise en scène judiciaire pour certaines d’entre elles.
Nous avons la réputation de parler fort, d’être des veaux et de ne pas savoir ce que nous voulons mais tout ceci est consubstantiel d’un peuple qui chérit la démocratie et la liberté de parler !
Hors ce peuple ne peut plus débattre. Il n’aurait même plus le droit d’être de gauche ou de droite tant le «centre» se pose en un bulldozer de la synthèse, libérale économiquement et faussement progressiste d’un point de vue social. Vous mélangez tout ceci à l’hystérisation de n’importe quel sujet mis sur la place publique (voile, PMA-GPA etc…) et il n’y aurait qu’un pas à franchir pour ne plus être en démocratie. Le centre avance et enfonce tout, emmenant dans sa folle course à l’hégémonie, l’idée même de démocratie.
L’absence de débat d’idées et la nette décadence de notre classe politique, tant sur les modes d’expression et le vocabulaire que sur l’incarnation des fonctions, sont des branches parmi d’autres d’un arbre français qui meurt de ne pas avoir été entretenu. Un arbre c’est centenaire. C’est ancré et ça se cultive. Malgré le temps qui passe, il évolue, se renforce et grandit. Pour cela il faut du temps.
Et nous ne souhaitons plus en avoir. L’accélération du temps, additionnée à l’absence d’opposition et à la simplification du vocabulaire, apporte obligatoirement la violence de la parole, l’invective et la guerre des mots.
Paul Virilio disait la chose suivante :
«La vitesse c’est la vieillesse du monde… emportés par sa violence nous n’allons nulle part, nous nous contentons de partir et de nous départir du vif au profit du vide de la rapidité. Après avoir longtemps signifié la suppression des distances, la négation de l’espace, la vitesse équivaut soudain à l’anéantissement du Temps : c’est l’état d’urgence.
En fait, la course surgit de l’histoire comme une sublimation de la chasse, son accélération achève l’extermination, la vitesse devient à la fois un destin et une destination. Chasseur, éleveur, marin, pirate et chevalier, conducteur de char, automobiliste, nous sommes tous les soldats inconnus de la dictature du mouvement… Nous l’avions semble-t-il oublié, à côté de la richesse et de son accumulation, il y a la vitesse et son accélération, sans lesquelles centralisation et capitalisation auraient été impossibles».
Ne voulant plus prendre le temps de construire, les politiques et certains groupes minoritaires organisés veulent accéder quasi immédiatement à la conclusion. Vouloir aller à la conclusion sans débattre c’est vouloir juger, disqualifier et éliminer son adversaire par K.O. Et pour arriver à ceci, on ne propose plus d’idées mais on choisit des mots et des concepts, valises pour la plupart, dans lesquels nous mettons l’ensemble de notre idéologie et nous cognons.
Sylviane Agacinski, qu’on ne peut accuser d’être la réincarnation d’Hitler, en a fait les frais au regard de ses prises de positions sur la PMA. Ne pouvant défendre son point de vue, on annula sa venue sur pression de groupes pratiquant une reductio ad hitlerum des plus inquiétantes. Bientôt rangée dans le camp des Zemmour and co !?!
Puisque je ne veux pas débattre avec toi car nous ne sommes pas d’accord, je t’affuble des mots les plus disqualifiants possibles pour conforter ma position, mon identité et mon idéologie, persuadé d’avoir raison.
Les Torquemada aux petits pieds, désormais légions, font régner le sentiment que la censure est en plein essor. Et telle est la France sous Macron. France qui le dépasse et dont il se passe mais qu’il utilise… Une France où le débat s’hystérise à un point que par précaution, pression et peur, on l’annule. Et ce sont toujours les extrêmes et les pouvoirs en place qui en profitent. Ils profitent du néant idéologique et de la peur pour certains de ne plus définir les mots clairement et calmement pour accaparer des valeurs qu’ils n’ont pas afin de tromper et surtout afin de mieux faire passer leurs idées.
Le dernier exemple est la laïcité. Depuis dix ou quinze ans, par manque de volonté et aveuglement, nous avons collectivement laissé au Front National, devenu Rassemblement National, l’expression et tout le vocabulaire de la laïcité qui traditionnellement était combattue par divers cercles qui composent ce mouvement.
De façon générale, la droite classique, parlementaire et bonapartiste, héritière du RPR gaulliste, s’est fait confisquer sans broncher la quasi-totalité de sa rhétorique, de ses éléments de langage et de ses fondements par l’extrême-droite devenue par conséquent policée et présentable aux yeux de l’opinion. Elle n’eut plus qu’à se ranger dans les pas de l’ancienne UDF.
Idem pour le PS et son aile gauche qui ont été siphonnés par la France Insoumise lors des dernières échéances électorales, reléguant les socialistes à des pourcentages historiquement bas.
Le constat est sans appel pour ses anciennes formations qui ont du mal à se relever.
Elles se relèveront, si tel l’arbre, elles acceptent le temps long, celui de la construction et du débat interne. Si elles acceptent de perdre plusieurs scrutins (ont-elle le choix ?). Si elles ne rentrent pas dans le jeu cynique des deux champions auto-déclarés du second tour de 2022 qui consiste à piocher sans gêne et sans vergogne dans leurs propres fondements, leurs piliers.
On ne doit pas craindre d’être de gauche et d’aimer la redistribution, le collectif, le mutualisme et les coopératives. Ce sont les bases de notre pays.
On ne doit pas craindre d’être de droite et d’aimer le bonapartisme, l’économie de marché, l’ordre et la famille traditionnelle. Ce sont les bases de notre pays.
Ces droites et gauches ont fait le pays depuis des siècles.
Nous ne méritons pas, au nom des insuffisances de leurs divers représentants depuis 40 ans, de nous soumettre à la confiscation du débat, à l’extrême centre n’étant ni raison ni vérité absolue, à la censure de petits lobbys structurés et souvent sur-urbanisés.
Le nouveau monde est une décadence qui broie l’opposition et liquide le pays à une vitesse folle.
Nous ne pourrons nous relever que par le dialogue de proximité, l’ouverture de cafés politiques, l’acceptation que l’autre existe et qu’il n’est pas un ennemi mais au pire un adversaire à combattre par les idées et le sens. Souffrir d’une saine contradiction et d’attaques structurées et non disqualifiantes.
Le monde moderne c’est concevoir que le temps doit être long et que chaque débat vaut la peine d’être promu et non censuré.
Quentin Piepszownik