Au moment où l’église de scientologie s’apprête à ouvrir son plus grand centre européen aux portes de Paris, un ancien officier du mouvement sectaire nous livre son témoignage.
«Je pense à cette fille peut-être morte en cellule, ce garçon disparu, cet autre enfermé depuis des mois avec une horrible brûlure au bras qui s’est laidement infectée et pas une once de soin. Je pense aux douches polaires alors qu’on m’attachait à une chaise et tandis que la climatisation était réglée si fort que ma peau devenait bleue. Je pense aux trognons de pomme et aux croûtons de pain pendant des semaines, aux privations de sommeil, d’uriner, de m’asseoir. Je pense aux journées que j’ai passé debout en plein soleil, celles à dessiner dans le sol un rectangle de 8 mètres sur 2 à force de repasser sur mes propres traces. J’ai compris de David M. et de sa garde rapprochée qu’ils iraient jusqu’au bout. Que, fuyant, je ne devrai pas être retrouvé.
Je précise ici : je n’invente rien, n’exagère rien. La scientologie, les sectes, c’est cela».
Le récit de Lucas Le Gall est glaçant.
Il avait dix ans quand ses parents sont entrés sous l’emprise de la scientologie. Il en avait dix-huit quand il a réussi à s’évader. Le témoignage nous révèle huit ans de privations, d’horreurs, des techniques bien testées pour priver tout être humain du libre arbitre et de ses capacités critiques.
Son livre autobiographique est paru la semaine dernière aux éditions du Cherche Midi.
Le timing est parfait car en même temps, à Saint Denis, l’église de scientologie s’apprête à ouvrir les portes de son plus grand centre européen. Un bâtiment de 7000 m2, un projet de 33 millions d’euros.
Peu importe l’avis contraire de plusieurs membres de la municipalité de Saint-Denis, comme le relate ci-dessous l’article de Libération 🙁https://www.liberation.fr/france/2019/04/18/saint-denis-les-scientologues-lancent-le-siege-les-elus-resistent_1722247)
La force de frappe de la scientologie est telle que ce centre ouvrira.
«L’église de la scientologie s’était fait discrète pendant plusieurs années, mais là ils reviennent en force. Le conspirationnisme ambiant, les mouvements anti-vax, la recherche vaine de l’homme fort, du gourou, qu’on a pu constater pendant la phase de confinement ne sont pas étrangers à ce regain. Quand il y a une peur, une crainte qui n’a pas de réponse, les mouvements sectaires gagnent. Les gourous ont réponse à tout», dit Lucas.
À propos de gourou, le leader actuel de la scientologie, David Miscavige, meilleur ami de l’acteur Tom Cruise, est décrit par l’auteur dans le livre comme un infaillible calculateur, un arriviste «à l’allure d’un vendeur d’aspirateur» qui ne résisterait pas au plaisir d’assister personnellement aux tortures infligées aux «brebis galeuses», aux membres de la secte qui s’égarent l’espace d’un instant, qui commettent un erreur anodine, qui émettent l’ombre d’un doute.
«Il existe dans la scientologie un véritable protocole, le RPF, Rhabilitation Project Force: travaux manuels dégradants, horaires débilitants, tâches humiliantes, tortures», raconte l’auteur.
«Aujourd’hui en France, 80000 enfants sont dans les mains des sectes», dénonce-t-il. «La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) n’existe plus depuis un an, elle a été rattachée au ministère de l’intérieur – peut-être par souci économique – sans budget et sans moyen. Que vont devenir ces enfants, comment les défendre ?»
Quand il a fui le jour de ses 18 ans, dans son avion pour Berlin, Lucas avait reconnu depuis le hublot la Gold Base de Scientology dans le désert californien. «Cet endroit me semblait d’un coup si petit, si ridicule. Et pourtant, combien d’âmes sont broyées là-dedans, combien d’hommes et de femmes se sont pliés à ses diktats absurdes et complètement fous…».
Aujourd’hui, Lucas a peur. Car selon lui, la scientologie n’aime pas qu’on mette des bâtons dans les roues de son projet, et n’oublie pas qui a trahi. «La scientologie considère qu’il y a plusieurs ennemis à combattre. Premièrement les psychiatres, les médecins… La secte s’oppose aux traitements médicaux traditionnels. J’ai souffert de maux de dents atroces pendant des années, j’ai eu des problèmes gastriques depuis que je suis enfant, et je n’ai jamais été voir un médecin».
Et ceux qui comme lui décident de les défier ? De partir ? De dénoncer les abus ?
«Ils sont prêts à tout, ils peuvent utiliser tous les moyens pour intimider les adversaires. Et parfois on ne se limite pas à l’intimidation. Ils peuvent arriver jusqu’à la procédure nommée R245, 45 étant le calibre de la balle. En gros, ils peuvent envisager de tuer».
Si Lucas n’a pas eu le choix en intégrant la secte à dix ans, la plupart des adeptes adhèrent à ses principes sciemment. Comment est-il possible que des célébrités internationales telles que Tom Cruise ou John Travolta, des hommes d’affaires, des universitaires, se laissent tenter de la sorte ?
«C’est une question de faille, tout le monde en a une. Tom Cruise a beau être une star mondialement connue, il n’est qu’un être humain. La scientologie a certainement su trouver une faille dans sa personnalité, une ancienne blessure…».
Le récit de Lucas révèle que parmi ces «apprentissages», il y a le dessein d’aplatir toute volonté, de transformer les adeptes en bons petits soldats fidèles, prêts à débourser des fortunes pour atteindre la libération de l’âme, la connaissance suprême .
«Il y a ce fameux parcours du bonheur. Pour arriver au summum, vous avez des échelons à gravir. Il y a tout un tas des choses à apprendre. Et ce n’est jamais gratuit. Les cours, les livres…tout est payant. Le plus grotesque parmi ces outils est peut-être cet instrument censé reconnaître la pureté de votre âme : l’électromètre. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un banal ohmmètre – un appareil pour mesurer les résistances électriques que vous pouvez acheter pour cinq euros – bidouillé avec des antennes et des boutons pour avoir une allure plus technologique. Cet appareil «magique» pourra vous coûter ainsi autour de 10.000 euros».
On accepte aisément de payer ces sommes ?
«Vous êtes isolés, les enfants sont déscolarisés très tôt, à treize ou quatorze ans, comme ce fut mon cas, avec parfois la complicité des organismes de cours en ligne qui acceptent les inscriptions tout en sachant que les enfants du mouvement ne suivront pas les cours. La scientologie et ses adeptes deviennent votre société, votre seul univers. Vous êtes corvéable à merci et prêt à tout accepter, y compris de gigantesques mensonges. Il suffit de regarder le CV du fondateur Ron Hubbard : la plupart de ses diplômes vantés sont inexistants».
Des reproches aux autorités politiques, Lucas ? «Parfois les autorités se sont montrées trop souples. En 2004, Sarkozy recevait Tom Cruise à Bercy. Sous son mandat, Arnaud Palisson, agent des renseignements généraux et auteur d’une thèse sur les dérives de ce mouvement sectaire a été limogé de manière incompréhensible. Des pressions ? On ne peut pas savoir».
Les rescapés de la scientologie qui ont décidé de livrer publiquement leur témoignage ne sont pas légions.
«Les ex-adeptes ne parlent pas pour plusieurs raisons. Ils ont bien souvent encore de la famille et des amis dans la secte, ils ont peur qu’ils puissent subir des répercussions. Et puis, il y a la culpabilité, cette sensation permanente de s’être fait avoir. Comment votre employeur va-t-il digérer la nouvelle ? Comment pouvez-vous lui dire que vous faisiez parti d’un mouvement sectaire ? C’est extrêmement difficile. Et bien évidemment, il y a la crainte qu’on vous retrouve».
Lucas a peur. Et d’ailleurs, Lucas n’est pas son vrai prénom. Il l’a choisi en pensant à la fameuse chanson de Suzanne Vega «My name is Luka», histoire d’un petit garçon, abusé, qui vivait au deuxième étage et qui voulait juste «ne pas être seul, ne pas être brisé».
«Un milliard d’années, dans les secrets de la scientologie», de Lucas Le Gall. Éditions Cherche-Midi.
Propos recueillis par Eva Morletto
Le point de vue de la scientologie
Dans un droit de réponse qu’elle nous a adressé, l’Église de scientologie réagit à notre article et aux propos de l’auteur du livre :