Par paresse et facilité, une majeure partie de nos concitoyens se satisfait de l’offre médiatique actuelle, mais une part grandissante de la population cherche de nouvelles sources d’informations.
Et pour les curieux, l’offre est florissante, mais faute de guide de lecture, les sites de désinformation et de propagande pullulent et se taillent une part non négligeable dans le marché de la nouvelle de flux.
À la désinformation, s’ajoute un autre écueil d’importance pour les lecteurs en mal de sources : l’infotainment, un mélange des genres qui traite une certaine actualité sous un angle parodique ou caricatural, prompte à hystériser et simplifier les débats, à rendre stupide ce qui nécessite réflexion.
Concernant les médias classiques, une récente étude réalisée en France dans le cadre d’un partenariat entre le Laboratoire Interdisciplinaire d’Évaluation des Politiques Publiques (LIEPP) et Reporters sans Frontières (RSF), stipule que la moitié des actionnaires de la presse exercent dans le secteur financier ou de l’assurance. La moitié des actionnaires n’ont donc pas pour métier l’information, mais la finance, et les titres de presse sont considérés comme des variables d’ajustement sur les comptes annuels de résultats.
Face aux médias propriétés des investisseurs milliardaires où la liberté rédactionnelle reste limitée, et contre les vendeurs d’hystérie collective, il est nécessaire de proposer un espace de liberté pour les journalistes, les lecteurs, les curieux.
Dans l’hystérisation, la parole pondérée, raisonnable, ne peut se faire entendre. Il s’agit d’un combat de deux opposés ou de communautés qui ne veulent pas s’écouter ni débattre sereinement. L’effet «bulle de filtres» peut faire croire à un phénomène d’ampleur quand il s’agit d’une hystérie locale, particulière et limitée.
On assiste à une mise en scène de l’actualité, qui a évolué, devenant multimédia, complexe et orchestrée par les méthodes du marketing de la consommation de masse. À l’ère des fake news, la mise en scène précède la perception du réel, qui ensuite oriente le débat démocratique.
Il n’est plus question de débattre sur les mécanismes qui fondent notre réel, mais sur le sentiment de réalité. C’est le moment populiste de la politique, parfaitement maîtrisé par Donald Trump par exemple, qui a compris les ressorts de la téléréalité et du feuilleton.
Paradoxalement, ces dérives de l’information de masse peuvent être une chance pour les médias traditionnels. On entend à loisir, de ce côté de l’Atlantique, les derniers mohicans de l’âge d’or de la presse écrite se plaindre de leurs pertes dues à la concurrence déloyale des algorithmes de Facebook et Google. Dans cette optique où c’est le clic qui devient l’unité de mesure qui intéresse les publicitaires, on peut changer son fusil d’épaule en fonction des fausses modes imposées et jouer avec sa main-d’oeuvre ou on peut emprunter deux chemins forts sur le long terme.
Le premier, c’est de verser dans le journalisme «de solutions» où l’on se focalise sur les initiatives inspirantes et individuelles plutôt que sur les problèmes à résoudre. Selon Christian de Boisredon de Sparknews, cité par le Figaro, ce nouveau journalisme peut en partie sauver la presse :
«[Ce journalisme] répond à un besoin réel du public. On l’observe avec les médias partenaires de Sparknews ; ils ont de très bonnes audiences lorsqu’ils le pratiquent», affirme Christian de Boisredon. Plus d’audience, plus de rentabilité. «C’est plus valorisant pour les annonceurs de placer leurs pubs à côté des articles de solutions. Lors du dernier IJD, El Heraldo (Honduras) a vendu sa pub 50% plus cher que le reste de l’année», confie-t-il.
Le deuxième chemin, c’est celui de l’ambition et de la qualité. Pourquoi ne pas oublier les publicitaires et revenir à un format qui paraît désuet mais pourtant si évident : donner envie au lecteur/téléspectateur/auditeur de payer pour consommer de l’information de qualité ? De plus en plus de médias en France se sont lancés sur ce modèle et il peut être viable. Saluons par exemple les initiatives d’Explicite, des Jours ou encore AOC.
Aux États-Unis, l’aventure récente du New York Times, magnifiquement documentée par Liz Garbus, confirme le modèle avec force. Face aux mensonges de Trump et à la propagande diffusée sans filtre sur Facebook, l’information honnête et transparente attire ! Le modèle économique du prestigieux titre américain repose désormais avant tout sur les abonnements numériques et plus sur la publicité. Le nombre d’abonnés a dépassé le cap des 3 millions cette année et la direction financière du Times table sur un revenu numérique de 800 millions de dollars en 2020.
L’un des produits d’appel de cette stratégie est le podcast d’information quotidien The Daily, que l’on voit régulièrement dans le documentaire de Liz Garbus diffusé par Arte. Il est gratuit mais sa qualité donne envie à ses auditeurs de consulter le reste du travail de la rédaction (c’est-à-dire le reste de la «marque»). Comment a-t-il réussi ce coup de génie ?
The Daily est disponible à l’écoute autour de 6h du matin. Il se concentre sur un seul sujet d’actualité brûlant et le traite en 20 à 30 minutes. Chaque épisode est une histoire racontée à l’auditeur avec une progression logique, des rebondissements et une mise en son soignée (extraits de chaînes d’info, ambiances). L’histoire peut être racontée par les journalistes du New York Times qui ont travaillé sur le sujet, en lien avec la version écrite du journal. Par exemple, au moment où le Times a sorti son enquête sur les fraudes de la famille Trump lors de l’héritage du père de Donald, c’est l’équipe qui a travaillé dessus pendant de longs mois qui est venue au micro. L’histoire du jour peut aussi être racontée sous forme de reportage. Un spécialiste tech a suivi la trace du couple derrière «Mad World News», l’un des plus gros dealers de haine en ligne aux US. L’équipe a terminé le reportage pour le diffuser quand un supporter de Trump radicalisé en ligne a envoyé des bombes par courrier à des démocrates et des journalistes. Timing parfait.
Au Royaume-Uni, The Guardian a lancé son Daily le 1er novembre avec un épisode passionnant sur l’élection de Bolsonaro au Brésil. La version britannique, intitulée Today in Focus, se distingue par quelques originalités en fin de programme mais les similarités sautent aux oreilles. En France, Binge Audio s’est lancé le 12 novembre. On vous encourage à écouter et soutenir l’évolution de cette émission, Programme B. C’est audacieux de la part d’une startup du podcast qui n’a sans doute pas les moyens du New York Times. Et c’est un réel défi – que nous ne remettons certainement pas en cause – de réussir à produire une quotidienne. Sans doute à cause de ces différences de moyens, les premiers épisodes, malgré de nombreux points forts, manquent fatalement de ce qui fait les plus grandes forces de The Daily et de Today in Focus.
La première c’est de s’extraire des codes classiques de l’interview radio pour raconter des histoires et avoir de l’ambition dans la narration et la production. Une ambition qui coûte cher mais peut rapporter gros. La deuxième force c’est de s’adosser à une rédaction, qui se mobilise en fonction des sujets. Les intervenants racontent aussi la façon de fabriquer l’information, rigolent au micro avec leurs collègues même si le sujet est grave etc… Imaginez avoir suivi cet été l’affaire Benalla avec les journalistes impliqués qui vous la racontent chaque matin pendant votre trajet au bureau.
Un podcast quotidien ambitieux est donc une vraie nouveauté éditoriale, qui peut fédérer et attirer de nouveaux abonnés numériques en plus de fédérer une rédaction. Est-ce LA solution aux problèmes des médias français ? Sans doute pas. Est-ce une piste qui a fait ses preuves et mériterait d’être expérimentée par un grand titre de presse hexagonal ? Certainement ! Ses points forts évoqués précédemment (qualité, expertise, histoire immersive) peuvent aussi être mis à profit sur d’autres formats.