L’affaire Palmade n’est pas un fait-divers. Elle est le symbole éclatant d’un monde basculant dans le Moyen-Âge où rois et serfs se côtoient sans vivre ensemble. Cette tragédie est symptomatique d’une déliquescence institutionnelle qui érige pour seule valeur l’absence de véritable égalité entre ses citoyens.
L’accident provoqué par le comédien a permis de mettre en lumière la rupture irrémédiable entre des élites déconnectées des réalités et une opinion publique fatiguée de l’impunité parfois offerte par la célébrité ou le mandat.
Avant de commencer cet article, nous souhaitons avoir une pensée pour les victimes de Pierre Palmade, dont les vies ont été bouleversées et détruites par l’inconséquence d’un toxicomane multirécidiviste. À ce jour, l’humoriste n’a pas encore été interrogé par le juge d’instruction dans l’attente d’expertises. Il est mis en examen pour homicide et blessures involontaires. Son contrôle judiciaire a été allégé début juin et il reste libre de ses mouvements, sans pouvoir quitter la région Nouvelle-Aquitaine.
Que la fête commence
Dans le film de Bertrand Tavernier, «Que la Fête Commence», la scène finale d’un accident de calèche provoqué par des aristocrates au sortir d’une soirée orgiaque, annonce les ferments de la Révolution. Le film se passe sous la régence, et la mort d’une jeune paysanne, niée par les élites du moment n’est qu’un événement invisible de plus vers la lente sécession du peuple contre l’ordre injuste de l’Ancien Régime.
L’accident de Palmade peut rappeler à bien des égards cette scène, dont les conséquences ne seront visibles que bien des années après. Au coeur d’un brasier, un événement isolé peut tout faire s’embraser.
Tout est présent dans ce tragique accident pour rappeler combien le moment que nous vivons n’est synonyme que de violence pour une majorité de français. Le terme même d’accident pose problème car le mot accident apporte avec lui l’idée d’un hasard, d’une imprévisibilité. Or, que peut-il se passer quand l’argent, le pouvoir, la notoriété et l’ennui se trouvent mêlés ? Une tragédie programmée par l’idée que certains peuvent se permettre des conduites dangereuses, persuadés qu’ils sont de ne pas appartenir au commun des mortels.
Dans le drame qui a eu lieu, une famille innocente, respectueuse de la loi, protégeant ses enfants, devient victime directe des folies des nouveaux aristocrates de l’époque, stars du showbiz, ultra-riches et rentiers de la République. Devant l’indignation légitime du public se met alors en marche une machine à excuses, propulsée par les médias. Car les élites tremblent de se voir accusées pour leurs nombreuses dérives et cherchent alors à protéger la permanence de leurs vies privilégiées, préservées d’un quotidien populaire.
Comme à chaque scandale d’ampleur (pédocriminalité, comptes de campagnes, coffre-forts compromettants) apparaît alors l’allégorie du vice et du cynisme, la nettoyeuse de cet univers gangrené et malsain, la taulière de ces coulisses sordides de notre République défaillante, Mimi Marchand. Celle-ci est immédiatement arrivée à la rescousse, interrompant sa participation à la cérémonie des «Victoires de la Musique» à la minute où elle apprenait l’accident.
Pour comprendre la dérive de nos institutions et le parallèle entre la macronie et la Régence, il faut savoir qui est Mimi Marchand et pourquoi elle occupe une telle place au coeur du pouvoir élyséen.
Papesse de la presse people, condamnée pour trafic de stupéfiants, ancienne reine des nuits parisiennes, Michèle «Mimi» Marchand, d’abord amie de confiance des Sarkozy, est devenue de facto une amie intime de Brigitte Macron en étant une pièce ouvrière clef dans la campagne de 2017, pour la construction de la légende du couple Macron, où comment transformer une sinistre réalité : une professeure de français prédatrice de 39 ans qui jette son dévolu sur son élève de 14 ans, en un compte de fée des temps modernes.
Mimi Marchand a ensuite rendu de nombreux services, parfois gracieusement, dans l’organisation de la disparition du coffre-fort d’Alexandre Benalla, dans la non-publication de la condamnation pour pédocriminalité du fils de Marc Ladreit de Lacharrière, ou encore dans la manipulation du témoignage de Ziad Takieddine dans l’affaire du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy par l’argent de Mouammar Kadhafi.
Ainsi, comme le poisson, la République pourrit par la tête et la présence de Mimi Marchand dans tous ces dossiers ainsi que sa proximité avec les cercles de pouvoir devrait alerter les citoyens sur la réalité de l’imposture démocratique qui enferme les peuples dans un jeu de vote à personnalités variables tous les 5 ans, où l’argent des oligarques peut décider en amont du candidat victorieux.
Évidemment, l’affaire Palmade n’est pas une affaire politique au sens propre, mais elle l’est devenue par l’implication de Madame Marchand et par l’empressement d’une certaine scène à se distancier le plus vite possible du comédien criminel.
Une affaire politique
Cette tragédie a montré jusqu’où pouvait mener le sentiment d’impunité et la complaisance de certains cercles avec les gens fortunés. La justice a fait le choix de placer Monsieur Palmade en détention préventive à l’issue de son hospitalisation sous bracelet électronique et l’enquête sera longue, après un nettoyage en règle du domicile du comédien, préalable évident à toute perquisition compromettante.
Le sommet de l’indécence fut sans doute atteint dans les titres misérabilistes sur «les démons» du comédien et sur la défense contre un tribunal populaire fantasmé, qui aurait voulu la peau du chauffard.
Outre le volet pédocriminel ouvert en marge de l’affaire (un des protagonistes étant actuellement incarcéré pour des faits de pédocriminalité a accusé Palmade de faits similaires), les charges sont suffisantes pour révolter toute la population.
Roselyne Bachelot, en chevalier de l’ordre établi, ancienne ministre et bateleuse de foire installée sur la chaîne d’information du groupe Altice, BFM TV, voit dans les réactions légitimes des français une haine des riches, en partie provoquée par l’extrême gauche, et défend bien mal l’indéfendable, d’une façon grotesque et ridicule. Cela pourrait prêter à sourire (ou ricaner) si les faits n’étaient pas si graves.
Ce tribunal populaire qui fait tant peur aux défenseurs de l’ordre établi est en réalité la colère légitime de la majorité dépossédée du pouvoir. «Assez!» disent des millions de français qui ne tolèrent plus l’impunité d’une caste qui les sermonne et les maltraite pour le profit de quelques donneurs d’ordre.
Ce cri de ras-le-bol n’est pas entendu. D’ailleurs, le Président Macron ne juge pas qu’il y ait de la colère mais beaucoup d’inquiétude, lors de ses prises de parole au Salon de l’Agriculture. C’est évidemment un mensonge de plus dans la bouche de celui qui a fait fi de la réalité depuis trop longtemps, biberonné depuis son plus jeune âge dans les cercles du pouvoir politique ou financier, pour devenir le champion d’une oligarchie triomphante.
L’inquiétude, c’est le carburant de ces maîtres de la manipulation, dont le métier n’est plus l’intérêt général ou le bien de la nation, mais la destruction des identités et des conquis sociaux, par la peur, ou par la coercition.
Non, Monsieur Macron, il n’y a pas d’inquiétude, malgré vos efforts à imposer un climat anxiogène et des politiques de peur sur les français : de confinements en plans de sobriété, de guerres en combats contre les peuples. Tout cela est fini, depuis la carte maîtresse du confinement, une partie de l’opinion publique réalise combien ces politiques ubuesques dictées par les cabinets de conseil, McKinsey en tête, n’avaient rien de rationnel et faisaient partie d’un projet d’ingénierie sociale de gouvernance par la peur. Empêcher, contraindre et menacer, voilà les mots qui ont désormais remplacés la devise républicaine ou la liberté, l’égalité et la fraternité étaient les boussoles de l’action publique. Il s’agit d’une perversion irréversible du pouvoir, malheureusement accepté par lassitude ou par intérêt.
La colère invisible
Il y a donc de la colère. Sourde, contenue, rentrée depuis l’éruption des gilets jaunes qui a fait trembler le faible pouvoir macroniste.
Depuis 2018, cette colère n’a fait que croître. Mais conscients du déchaînement de la violence d’État contre les manifestations sociales, soucieux de ne pas perdre le peu qu’il leur reste, les français en colère se taisent et attendent. Certains ont abandonné l’idée même du vote, lassés des oppositions de façade et des promesses sans lendemains, et d’autres choisissent des votes dits «contestataires» qui laminent l’assise déjà faible des anciens partis de gouvernement, devenus partis zombies, subventionnés, sans militants et dont les projets respectifs se ressemblent en tous points pour reprendre le pouvoir dans une alternance feinte et parachever le grand oeuvre européiste d’une gouvernance technocratique débarrassée des nations, ces encombrants phénomènes.
Cette colère peut parfois se voir et s’entendre auprès des humiliés, des «riens» selon Macron, de ceux qui, à bout, dépassent la sidération de la litanie permanente des mensonges pour hurler et demander justice.
Car cette colère n’a qu’une source : l’injustice. Le mépris de ces élites, leur sentiment de toute-puissance, protégées derrière les écrans des médias de désinformation et derrière les boucliers des compagnies de CRS. Ce mépris est même devenu personnifié, par la caricature vivante de certains politiques, capables de dire une chose et son contraire en mois de 24 heures, pour ne pas briser le récit de contre-vérité du pouvoir.
Ce mépris qui se transforme en politique de l’humiliation, lorsque la sobriété devient un objectif national pour masquer la paupérisation et les faillites. Humiliation supplémentaire, quand la famille Macron, Monsieur et Madame, critique allègrement l’usage de la violence et dit craindre pour leurs proches sans jamais n’avoir eu un seul mot d’excuse ou de compassion pour les mutilés des gilets jaunes, pour les victimes de la violence de leurs choix politiques et de leur défense féroce de leurs privilèges.
La fin des privilèges?
Mais que faudrait-il pour abolir les nouveaux privilèges et surtout stopper l’imposture perverse du gouvernement par la peur d’une minorité sur un peuple contraint ?
Dans le cadre démocratique, le jeu bi-partisan trouve ses limites dans l’obéissance des politiques élus aux règles d’airain de la finance, qui oblige les États à assurer la course en avant de l’endettement par des mesures de violence sociale, garantissant le droit à l ‘endettement perpétuel. Ce modèle est devenu le modèle dominant des démocraties libérales, emmenées dans l’abîme de la dette-dollar par l’empire américain.
Rien ne semble remettre en cause cette suprématie, faisant de la politique le lieu de l’illusion du pouvoir, alors que le pouvoir est tout entier concentré entre les fonds voraces de Wall Street et la FED, banque centrale américaine, qui donne le tempo obligatoire à la banque centrale européenne.
Faudrait-il que les peuples jouent alors les règles du jeu financier, et par la masse, créent un fond pirate capable de rivaliser avec les tyrannosaures de la finance ?
Faut-il pousser à revoir les règles de financement des partis politiques et des campagnes présidentielles ? Campagnes systématiquement entachées de malversations ou d’approximations, tant la commission des comptes de campagne n’a que des moyens dérisoires face à l’ampleur de la tâche de contrôle qui devrait être la sienne.
Faut-il proposer une nouvelle offre politique, sur les bases d’une souveraineté retrouvée, en opposition au diktat de la dette toute-puissante, avec à la fois des fonds nationaux et des politiques de nationalisation des services stratégiques, dont le délitement est un danger pour la cohésion sociale et aussi pour la sécurité nationale ?
Les pistes ne manquent pas, mais les bras et l’argent, oui. Les privilèges restent l’apanage de ceux qui ont pour luxe le temps et pour béquille l’argent. Forts de cette supériorité, il est alors possible de fermer les champs des possibles et de contraindre, dans la douceur et le divertissement, les masses à accepter, valider et désirer un ordre injuste, sous couvert de mythologie de la réussite personnelle et de la liberté individuelle.
Les libertés, nous en avons fait l’amère expérience, sont fragiles et menacées systématiquement par la minorité maltraitante. La réussite personnelle, concernant les plus riches, ne repose principalement que sur l’héritage, privilège donc, de naissance. Oui, c’est le nouvel Ancien Régime. Seuls les noms ont changé et le roi est devenu un acteur en CDD, pour occuper et divertir, tout en concentrant les frustrations sur sa personne publique.
Il s’agit donc de retrouver une liberté plus grande qui permette des marges de manoeuvre et la construction des alternatives politiques et économiques à l’ordre des chevaliers de la dette-dollar.
Un chemin est possible, reste à le parcourir, et trouver enfin les clefs de nos cellules virtuelles, mais pourtant bien réelles.
Article initialement publié dans la revue Le Banquet