Le Président Macron l’a annoncé, nous sommes en guerre. Contre un ennemi invisible, le virus Covid-19 qui décime les populations dans une pandémie à l’ampleur inédite.
L’utilisation du vocable martial n’est pas anodine. Elle permet au Président de faire passer une crise sanitaire de grande ampleur pour une guerre qui engage tous les français contre l’ennemi. De fait, il en appelle à l’union nationale et utilise le statut du chef de l’État pour s’installer en chef de guerre et – selon certains commentateurs – en père de la Nation.
La machine de propagande tourne à plein régime, effectivement, comme en temps de guerre
Ainsi faisant, toute tentative de critiquer l’exécutif dans son action héroïque est vue comme un travail de sape d’ennemis de l’intérieur, une sédition. La peur que suscite le virus, liée à l’élan national stimulé par le discours martial rejette ainsi tout discours critique et empêche le débat. Emmanuel Macron est le chef, ne pas être derrière lui serait être contre la Nation.
La guerre permet ainsi de réduire au silence les pacifistes, ceux qui demandent des solidarités réelles, l’arrêt des violences d’État. Les soignants ne sont pas des soldats, ils n’ont pas à aller mourir «au front» pour payer les manquements d’une gestion catastrophique d’une crise sanitaire. Pas plus que les populations devraient être sacrifiées pour des raisons d’économie budgétaire.
Cette pirouette rhétorique fonctionne d’autant mieux que l’imaginaire martial permet de déclencher la machine de propagande : les «unes» de la presse de cour se succèdent présentant les conseils de guerre, le gouvernement en confinement mais sur le pont ou encore le chef de l’État en commandant courage au cœur de la tempête. Pour assurer l’adhésion à la propagande de guerre, les sondages doivent aussi assurer l’effort de guerre et montrer le soutien retrouvé dans le chef de l’État dont la côte de popularité était au plus bas après la catastrophique réforme des retraites. La machine de propagande tourne à plein régime, effectivement, comme en temps de guerre.
Mais ne nous trompons pas. Nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes au milieu d’une grave crise sanitaire dont la gestion par le gouvernement a été jusqu’à présent calamiteuse. Il a fallu quatre longues semaines pour que l’exécutif fasse le choix, pourtant simple, de suivre les recommandations de l’OMS, et les conseils et appels à la vigilance de nos voisins italiens. Toute l’énergie du gouvernement a été de rassurer, de minimiser, avec l’avis d’experts et d’encourager les français à vivre comme si de rien n’était, évitant simplement les contacts rapprochés. La priorité était à l’économie et aux mesures minimales.
Pendant ces semaines perdues, aucune commande de masques de protection, de gel ou de mise en fabrication de respirateurs. Un attentisme et une communication rassurante faite d’éléments de langage et de dissimulations a été la seule réponse à la crise. Le 4 mars, Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement disait à l’antenne d’une radio publique qu’au stade 3 «on ne va pas arrêter la vie de la France. Si ça circule partout, on laisse les gens vivre et on protège les plus fragiles». Le choix à l’époque était donc celui de l’immunité de groupe, qui permettrait de gérer les plus fragiles et de laisser 60 à 80 % de la population s’infecter.
Or, la France ne dispose pas des moyens de traiter et sauver les malades du coronavirus dans un tel scénario. Ce gouvernement de néo managers et de DRH qui parlaient de «bed managers» pour gérer la pénurie de lits à l’hôpital n’avait pas prévu le scénario de la pandémie.
Suite au changement de doctrine en 2011 au Ministère de la Santé, dans une continuité logique, le stock de masque FFP2 a été soldé par souci d’économie par Marisol Touraine en 2013. On retrouvait, à l’époque, au cabinet de la ministre, Benjamin Griveaux, Gabriel Attal et Jérome Salomon.
Toute la logique dominante depuis des années dans la classe politique de l’État minimum et de l’hôpital de flux est tombée à l’eau et a montré au grand jour la stupidité des choix politiques de ces dernières années.
Les soldeurs de l’État qui riaient au nez des soignants se rendirent alors compte qu’ils allaient devenir, aux yeux de l’opinion publique, des génocidaires
Emmanuel Macron appelait les français à sortir au théâtre comme lui et Brigitte le 7 mars et les exhortait à aller voter en respectant les gestes barrières, avant de changer totalement de stratégie le lendemain du premier tour des élections. Le mal était fait, la courbe des morts et des infectés suivit avec un mimétisme morbide la courbe italienne et les ordres contradictoires ne purent pas faire prendre conscience aux français de l’ampleur du danger. Le conseil scientifique n’a été mis en place que le 10 mars et les avis des médecins conseils ont vite été unanimes : il fallait agir plus vite contre la propagation du virus.
Alors, la seule stratégie possible pour ne pas passer pour le responsable du plus grave désastre sanitaire depuis un siècle a été de déclarer la guerre. La guerre a toujours été le dernier ressort de l’aristocratie financière pour se maintenir au pouvoir en temps de crise.
Mais une fois encore, c’est la communication politique qui a pris le pas sur les actes. Voilà un Président qui envoie au front ses troupes sans armes : pénurie de masques pour les soignants, absence de tests et un système de santé public mis à mal par des années d’économie forcée pour «ne pas créer de la dette».
Qu’on ne se trompe pas de guerre. D’union nationale, il n’y a pas. Il y a d’un côté les confinés en résidence secondaire qui télétravaillent ou profitent de leurs rentes et de l’autre les sacrifiés au front : travailleurs précaires du BTP, de la grande distribution, de la santé. Il y a ceux qui applaudissent aux fenêtres et ceux qui doivent choisir dans un chaos grandissant qui a le droit de vivre ou de mourir, contre leur serment initial.
Restez chez vous, sauf pour aller travailler, le pays ne doit pas s’arrêter. Or, la propagation continue et l’Italie a décidé de mettre à l’arrêt tous les secteurs non stratégiques.
Le moment orwellien est total. Avec un Président, destructeur des solidarités héritées du CNR, qui demande à tous de rester solidaires de chez soi et avec des politiques responsables de la casse des services publics qui applaudissent les travailleurs invisibles de la santé et découvrent un peu tard que la police n’est pas la seule colonne vertébrale de la République.
La guerre a ceci de pratique qu’elle permet à la classe dirigeante d’asservir encore un peu plus les populations
Le gouvernement s’est ainsi empressé avec la loi «urgence coronavirus» de revenir sur les droits aux congés, les 35 heures, et ce, sans date limite. Le gouvernement va pouvoir prendre des ordonnances ayant valeur de loi dans le domaine du droit du travail pour imposer une nouvelle limite au droit aux congés payés. Il s’agit de «modifier les conditions d’acquisition de congés payés et permettre à tout employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, des jours de réduction du temps de travail».
L’article 7 de la réforme stipule également que le gouvernement pourra, toujours par ordonnance : «permettre aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical».
Alors oui, nous sommes en guerre. Mais il s’agit d’une guerre continuelle contre le droit à la vie : guerre contre les retraites, guerre contre les salaires, guerre contre les services publics, guerre contre les acquis sociaux, guerre contre les solidarités, guerre contre les libertés individuelles.
Les mesures pour la relance de l’économie du pays demanderont encore plus d’efforts et de sacrifices aux travailleurs qu’on envoie au front avec des applaudissements ou des primes au danger de 1000 euros.
Oui il faut sauver nos entreprises, mais alors les efforts devront être consentis par tous, y compris les actionnaires ! Il serait peut-être temps de revenir sur le CICE, les largesses fiscales du président Macron aux plus riches et d’aller chercher l’argent là où il dort le mieux : dans les paradis fiscaux. Et pourquoi ne pas relancer enfin au niveau de la gouvernance internationale la taxe sur les transactions financières ? Nationaliser le secteur bancaire et revoir la politique monétaire ? Ce ne sont pas les chantiers qui manquent pour se réapproprier les moyens d’un monde meilleur où la vie sera prioritaire sur le profit.
Mais ne rêvez pas d’un jour d’après heureux, où le monde aurait changé. Non, tout continuera comme avant, en pire, si ceux qui sont responsables du massacre restent aux commandes des institutions nationales et internationales en l’état.
Les discours appellent déjà au sacrifice dans l’unité. Le monde qui se dessine est celui d’un contrôle panoptique des populations et d’une dérégulation accélérée des droits des travailleurs.
Il appartient maintenant aux peuples de faire mentir Orwell.