Qualifiée dimanche dernier au second tour de l’élection législative partielle du XXème arrondissement de Paris, Danielle Simonnet (LFI) affrontera ce dimanche dans les urnes, Lamia El Aaraje (PS) pour tenter de rejoindre ses 17 camarades insoumis à la chambre basse. Bilan de campagne, enjeux nationaux de ce scrutin, son adversaire dimanche et «les gauches» à l’aube de 2022 : à quelques heures du dénouement final de cette partielle, l’actuelle conseillère à la Mairie de Paris s’est livrée pour Le Monde Moderne au coeur d’une discussion à bistrots interposés.
Entretien réalisé le 03 juin 2021
Après une campagne de terrain dynamique et innovante, vous avez réussi à créer la surprise dimanche dernier en vous qualifiant au second tour de cette élection législative partielle en terminant deuxième avec 20,78% des suffrages. C’était assez serré jusqu’à l’annonce des résultats définitifs. Quelle a été votre première réaction à l’annonce des résultats ?
Fierté, je dirais beaucoup de fierté car nous avons mis beaucoup d’énergie pour y arriver. En réalité, au début de la campagne, nous étions complètement dépités de voir à quel point aucune information officielle n’avait été mise en place par le gouvernement ou par la ville pour informer les habitants de la date du scrutin. Y compris le dernier vendredi avant l’élection (du premier tour, ndlr). Les gens qu’on croisait dans la rue n’étaient pas au courant de la tenue de cette élection législative.
En plus d’emmener une candidature politique à une élection, vous et vos équipes avez en quelque sorte dû suppléer l’état dans sa mission d’information publique aux citoyens ?
Exactement, parce qu’entre la date initiale d’avril finalement annulée et l’annonce du report des régionales, tout était flou et les gens n’ont pas eu d’informations sur cette élection législative. Même les enveloppes avec les professions de foi n’ont pas été envoyées à tous les électeurs de la circonscription. Ce qui nous a rendu fiers, c’est que lorsque l’on a analysé les résultats, il est apparu que notre travail de fond dans les quartiers populaires et les logements sociaux, avait vraiment fortement contribué à réduire l’écart d’abstention entre les quartiers que je qualifierais plutôt de «classe moyenne» et les quartiers populaires. Et même si l’abstention est toujours record voire inégalée, on est quand même contents d’avoir contribué à l’implication des quartiers populaires dans cette élection.
Vous venez de l’évoquer et c’est important d’en parler directement. Le chiffre de ce premier tour, c’est quand même ce 15,56% de participation. Il est évidemment important de remettre ce chiffre dans le contexte que l’on connaît, qui est celui d’une élection très particulière et qui ne peut être comparée, mais qu’est-ce qu’on se dit en tant qu’élue, attachée aux institutions du pays, quand on découvre ce chiffre ?
Que c’est une honte ! C’est une honte que l’État et le gouvernement français ne fassent rien qui aille dans le sens du civisme dans cette élection. On a très bien vu qu’ils étaient capables d’envoyer une multitude de SMS par le biais de différentes administrations pendant le Covid, alors pourquoi n’ont-ils pas été capables d’envoyer des SMS informant les électeurs concernés par cette échéance démocratique ? Mais en même temps, le ton était donné puisque la Macronie avait jugé que ce scrutin n’était qu’une formalité administrative, et a fait le choix de ne même pas envoyer de candidat officiel, donc ça en dit long sur le mépris que ces gens peuvent avoir pour la représentation et la souveraineté populaire…
En 60 ans, le taux d’abstention aux élections législatives est passé de 26% au second tour en 1958 à 57% en 2017. Les études en la matière le montrent : dans la quasi-totalité des cas de figure aujourd’hui, l’abstention profite le plus souvent aux candidats de droite ou aux marcheurs. Comment vous appréhendez les choses pour dimanche sur ce point ?
Je vais vous dire, je suis très confiante pour dimanche ! Ce qu’on ressent sur le terrain va dans ce sens. Nous avons fait beaucoup de porte à porte dans les quartiers populaires, de très belles prises de parole notamment hier sur la place Saint-Blaise (quartier au coeur du XXème arrondissement de Paris, ndlr) avec la venue de Jean-Luc Mélenchon et une superbe ambiance au rendez-vous. On sent une forme de ferveur de notre côté. C’est également de notre côté qu’il y a une volonté et une aspiration populaire à envoyer par le vote un message très clair à Macron, en lui indiquant le refus et le rejet de sa politique. Finalement, je crois même que le soutien des députés d’En Marche à la candidate PS permet de clarifier le débat. Pour La République En Marche, c’est la candidate PS qui posera le moins de soucis à l’Assemblée Nationale. Pour les électeurs, les choses sont maintenant très claires : s’ils sont favorables à la politique de Macron, ils votent PS et si au contraire ils veulent une élue et une députée qui résiste et qui renforcera l’opposition à Macron avec les autres députés du groupe LFI, et bien qu’ils votent Danielle Simonnet.
Ce désaveu puissant de la politique interroge sur le sentiment de non-représentation qui grandit dans le pays, notamment chez les classes populaires. Comment en est-on arrivé à cette situation selon vous ? Et en tant qu’élue et avec vos équipes, comment vous tentez de contrer ce désengagement massif d’une part des citoyens à la chose politique depuis le terrain ?
Tout au long de cette campagne, lorsque nous allions au contact des habitants en faisant du porte à porte, nous avons fait le choix d’aborder les choses par deux angles. Évidemment, nous arrivions d’abord en nous présentant : «Voilà on vient représenter la candidature de Danielle Simonnet, par ailleurs soutenue par Jean-Luc Mélenchon…». Pour commencer, nous mettions donc en avant, l’opposition à Macron et la dimension nationale de cette élection. On a expliqué que l’enjeu de ce scrutin était d’envoyer un signe et un message forts à toute la France, parce que le XXème sera regardé par toute la France dimanche.
Ensuite, la deuxième étape était de leur demander comment ils allaient eux, et j’ai été frappée par le nombre de personnes qui semblaient très surprises qu’on leur pose cette simple question. Ils nous disaient : «C’est vrai que c’est la première fois, d’habitude les politiques, ils ne nous demandent pas comment on va». Au lieu de faire un discours descendant, on leur demandait comment ils allaient et on embrayait souvent sur leurs conditions de vie locative, donc nous avons été amenés à soutenir un certain nombre de luttes de locataires, notamment en logements sociaux. Il y a eu la pré-campagne dans le quartier Python (cité populaire du XXème, ndlr), où se cumulent des problèmes de pollution par le périphérique, de moisissure et d’infestation de rats, cafards, et punaises de lit, dans les habitations. C’est une cité qui va faire l’objet d’un grand renouvellement urbain, mais au nom de ce projet, il y a un abandon du bailleur et de la ville actuellement. Petit à petit, nous avons réussi à créer une forme de mise en mouvement et d’auto-organisation des habitants avec beaucoup de relais médiatiques. La bataille est loin d’être gagnée, mais nous avons restauré la confiance en nous impliquant avec eux, sur leur quotidien. D’autres locataires se sont alors manifestés pour faire part de leurs problèmes. On a même fini grâce à cette campagne à développer un axe «locataires insoumis». C’est un travail de fourmi, qui repose sur le triptyque suivant : vous témoignez, on s’organise, je vous soutiens. Il y a eu une volonté réelle de réhabilitation de la parole du citoyen pour faire en sorte que la honte change de camp. Quand vous êtes dans un logement social, que vous avez des revenus modestes, voire bas, et que vous avez un logement indigne pour telle ou telle raison, c’est vous qui avez honte. Vous avez honte d’inviter vos amis, vos voisins, vos collègues… et c’est dur d’en parler. L’objet de la bataille, c’est de montrer que ceux qui doivent avoir honte, ce ne sont pas les locataires mais bien les bailleurs sociaux et la ville. Il fallait faire comprendre qu’une élue d’opposition et de combat ne peut pas être efficace s’il n’y a pas la mobilisation collective qui suit, donc c’est une grande réhabilitation politique et collective.
Au final, c’est cette conjugaison entre l’enjeu national d’opposition au gouvernement Macron et cette implication à l’échelle locale qui est à même de faire renaître la confiance des citoyens envers le politique.
Dans un discours de soutien à votre candidature prononcé à deux jours du premier tour, Jean-Luc Mélenchon s’est adressé aux militants présents sur place en ces termes : «Votre mobilisation, c’est aussi une mobilisation contre le mépris de classe». C’est aussi ce vote contestataire et de sanction que vous souhaitez incarner ?
Tout à fait ! J’ai déjà dit que je souhaitais être la candidate de la dignité retrouvée parce que Macron incarne le mépris de classe. Sa première mesure a été de supprimer l’impôt sur les grandes fortunes, tout en supprimant les APL. C’est un signal politique très clair qui consiste à faire des cadeaux aux plus riches du pays, tout en piétinant les plus précaires. C’est cela même le mépris de classe, et tout ce quinquennat est marqué par ça, on le voit encore aujourd’hui avec l’explosion des dividendes reversés aux actionnaires du CAC 40 et l’offensive contre les allocations chômage. Pour faire le lien, ce que vivent les gens dans certains quartiers, et ce que subissent les gens, c’est du mépris de classe au quotidien. D’ailleurs, j’ai beaucoup insisté sur le fait que la candidate PS compte sur l’abstention massive des quartiers populaires pour être élue. Elle a été présente sur Gambetta, sur Saint-Fargeau, sur Plaines, les quartiers qui sont beaucoup plus peuplés par les classes moyennes. J’invite donc les habitants de catégories populaires, à «leur faire à l’envers» et à aller massivement voter au second tour pour leur montrer qu’ils peuvent tout à fait faire basculer une élection. Évidemment, je m’adresse aux écologistes, aux communistes, mais je m’adresse aussi et surtout à ceux qui ne sont pas allés voter pour qu’ils décident du message que le XXème envoie dimanche soir. Veulent-ils faire le choix d’une députée socialiste «Macron-compatible» avec la candidate du PS, ou bien le choix d’une députée combattante, et qui résistera, avec moi.
Vous venez d’en parler, vous êtes opposée pour ce second tour de l’élection législative partielle de la #circo7515 à la candidate PS Lamia El Aaraje soutenue publiquement par Anne Hidalgo et des personnalités politiques LREM. Beaucoup y voient un simple derby des gauches dans l’un de ses bastions, pourtant vous vous inscrivez en totale rupture avec le programme et la ligne politique de votre adversaire.
Le problème, c’est que le mot gauche, plus personne ne sait ce qu’il signifie. Par exemple, le bilan du PS sur le XXème, ça a été de privatiser le crématorium du cimetière du Père-Lachaise : est-ce que c’est de gauche ? Cette candidate est soutenue, comme vous le disiez, par Anne Hidalgo qui est en train de mettre en place la réforme de la fonction publique et de supprimer 8 jours de congés aux fonctionnaires de la Maire de Paris : est-ce que c’est de gauche ? La candidate est allée, comme Anne Hidalgo, soutenir les syndicats factieux de policiers, lors de la manifestation du 19 mai dernier, aux côtés de Darmanin, du RN, de Zemmour : est-ce que c’est de gauche ? Non, je ne crois pas que tout ça soit de gauche. Aujourd’hui, on ne sait plus ce que veulent dire tous ces logos et beaucoup de gens ne se reconnaissent plus à travers eux, car le PS a brouillé l’idée même de gauche.
Vous vous êtes publiquement indignée du projet de fusion des hôpitaux Bichat et Beaujon pour le futur hôpital Nord et de la cession à une entreprise privée, d’un tiers de l’Hôtel-Dieu, plus vieil établissement hospitalier de Paris. Plus largement, que reprochez-vous à la Mairie de Paris, dans la vision et les choix des politiques publiques qu’elle impulse ?
La Maire de Paris préside le conseil de surveillance de l’AP-HP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris), donc elle aurait pu taper du poing sur la table, et exiger la défense de l’hôpital public. Or, elle a à chaque fois suivi les projets de Martin Hirsch – pilotés par son ministère de tutelle – les projets de casse de l’hôpital et des services publics. La privatisation d’une partie de l’Hôtel-Dieu, j’étais la seule à me battre contre, depuis 2014, sans relâche. On voit bien aujourd’hui avec la pandémie que l’on vient de subir, que l’urgence est de réhabiliter les hôpitaux de proximité, et non de les transformer partiellement en restaurant gastronomique. Quelle aberration ! Concernant Beaujon-Bichat, on sait très bien que la fusion dans l’hôpital Nord occasionnera la suppression d’au moins 300 lits et plus de 1000 postes. Après l’année qu’on vient de passer sur le plan sanitaire, c’est une catastrophe.
Depuis des années, on vous a beaucoup vu vous engager dans des domaines comme la défense des services publics, l’écologie, la justice sociale, le féminisme ou encore la lutte contre les discriminations, depuis votre siège au Conseil de la Mairie de Paris.Souvent seule d’ailleurs, comme c’était déjà le cas l’an passé lorsque je vous avais interrogée sur le scandale de pollution industrielle de la Seine par le groupe cimentier Lafarge par exemple. Quelle marge de manœuvre vous donnerait ce mandat de députée pour agir concrètement et quotidiennement dans ces domaines, à l’échelle de la circonscription comme à l’échelle du pays ?
À l’échelle du pays, je renforcerais le travail du groupe parlementaire à l’Assemblée Nationale, qui à la fois s’oppose, et à la fois est force de proposition, notamment sur le plan législatif. Maintenant, on est lucides sur le fait que la majorité ne respecte absolument pas le débat parlementaire et bafoue les institutions, en votant systématiquement et par principe, contre les amendements de LFI, mais on poursuivra ce travail. Dans le même temps, je souhaite continuer à m’inscrire en soutien et en relais des luttes quotidiennes sur le terrain. Avec cette campagne, dans les logements sociaux, pour certains habitants, je suis devenue «la dame à qui les bailleurs répondent», et je sais pertinemment qu’en étant députée, j’augmente aussi ma capacité à être entendue par les élus de la mairie, par les organismes, les institutions et les médias, et le rapport de force s’équilibrera. C’est comme ça que l’on pourra expérimenter le programme alternatif que l’on souhaite mettre en place à partir de 2022.
Lors de ces partielles, on a également vu les communistes et les verts faire de jolis scores au premier tour, en récoltant respectivement 10% et 18,5% des voix, mais depuis votre qualification au second tour, certains observateurs s’étonnent du silence des candidats PCF et EELV qui n’appellent pas à voter pour vous, face à une candidate soutenue entre autres par LREM. Êtes-vous surprise par cette configuration ?
Là où je suis satisfaite, c’est que les sections locales du PCF et d’EELV, – et je les en remercie – ont refusé de se soumettre à l’injonction d’Anne Hidalgo qui voulait absolument qu’ils soutiennent le PS. Donc déjà, je les remercie pour ça, ils laissent la liberté de vote à leurs électeurs, et je pense qu’en grande majorité, ils voteront pour moi. Nous sommes ensemble avec les militants communistes dans tant de combats, dans la défense des services publics, et la défense de salariés en lutte, avec les écologistes dans tant de batailles écologiques, qu’il n’y aura pas de doute dans la tête des électeurs au moment de voter.
Ce contexte électoral local est-il révélateur du climat de dislocation du spectre politique de gauche, à l’échelle nationale, à l’aube des présidentielles ? Je pense notamment à la dernière grosse fracture en date causée par la présence de certains représentants politiques de gauche à la manifestation des syndicats de police du mercredi 19 mai.
Nous sommes dans une période de clarification politique ! On voit bien le choix du Parti Socialiste, qui est de s’aligner beaucoup plus sur une ligne politique proche de celle de Manuel Valls et «Macron-compatible», donc inexorablement ça clarifie les choses. Je le rappelle, mais il faut quand même se souvenir que c’est le PS qui a créé la loi El Khomri, c’est le PS qui a signé un bilan catastrophique sur la déchéance de nationalité et le recours à l’article 49.3. Il faut se souvenir également qu’Anne Hidalgo, tout comme la candidate qu’elle soutient face à moi dans ce second tour, Lamia El Aaraje, ont participé à la manifestation du 19 mai avec les syndicats factieux et d’extrême droite de la police. Il y a une forme de cohérence au long cours dans tout ça. Beaucoup d’anciens socialistes ont grossi les rangs des députés marcheurs, Olivier Faure avait apporté sa confiance à Emmanuel Macron en 2017. Donc, je dirais que c’est les vases communicants entre le PS et LREM aujourd’hui, et cette clarification est importante pour les électeurs. L’issue face à cela, si on ne veut pas que le débat s’enferme entre Macron et Le Pen, c’est d’incarner l’unité populaire. Je sais qu’il y a beaucoup de débats chez les écologistes et les communistes à l’approche de 2022, et beaucoup auraient préféré qu’il y ait un appel plus clair à me soutenir, donc les choses vont avancer.
Ce que vous dites va dans le sens des déclarations de Jean-Luc Mélenchon à propos de ce second tour. Un vote de sanction et d’avertissement à Emmanuel Macron d’un côté et une façon positive de dire à la gauche traditionnelle de changer de camp de l’autre. La stratégie pour laquelle vous avez opté, qui consiste à exploiter la symbolique nationale de ce scrutin ne peut-elle pas s’avérer risquée au cœur d’un territoire où l’électorat – qui ne s’est majoritairement pas déplacé au premier tour – semble a priori peu sensible aux logiques militantes et de partis ?
Je pense que l’électorat est très sensible à ce qu’il subit des politiques macronistes, et la rhétorique qui consiste à dire «ras-le-bol de Macron, il faut qu’il parte», on l’entend de manière très forte, et de plus en plus dans les quartiers populaires. Donc oui, je leur dis : donnez un signe national de référendum anti-macron à travers ce scrutin, en choisissant celle qui résiste, et non celle qui est compatible, ça peut être un signal fort qui est envoyé.
Dans quel état d’esprit rejoindriez-vous vos 17 collègues parlementaires insoumis à la chambre basse, si le résultat à la sortie des urnes dimanche soir vous était favorable ?
Je serais déterminée à honorer cette confiance qu’on m’aura faite et à redoubler d’énergie pour renforcer le travail magnifique qu’a pu faire le groupe parlementaire de La France Insoumise depuis 2017, tout en restant une élue de terrain.
- Écrit et réalisé par Léo Thiery, journaliste reporter pour Le Monde Moderne.