Que d’encre a coulé à propos de la sinistre cérémonie des César, et de ses suites polémiques façon bataille d’Hernani contemporaine. Cette cérémonie est pourtant, à l’origine, la nécessaire et joyeuse autopromotion d’un cinéma national qui résiste à la broyeuse hollywoodienne à coup de subventions et grâce à un volontarisme culturel étatique. Mais cette année, la cérémonie des César est devenu ce lieu clair obscur, entre le monde d’hier qui ne veut pas mourir et ce nouveau monde empêché, ce lieu où surgissent les monstres.
C’est heureux de célébrer le cinéma français, c’est bien de continuer de produire, construire et développer une création libre, loin des canons de l’entertainment de masse. Mais, pour que cela reste possible, il va sans doute falloir faire exploser l’entre-soi et la déconnexion d’une bourgeoisie du 7ème art, qui ne vit que par et pour son nombril, figée dans la peur des mandarins et la vénération des idoles factices.
Vincent Cassel n’a pas compris (ou a fait semblant de ne pas comprendre) qu’il devait sa carrière pour partie à sa naissance, les personnes autorisées continuent de régner en maître sur le palmarès, et Adèle Haenel a joué sa plus belle scène devant les caméras de télé, sans être suivie de nombreux collègues, pour qui un césar à Polanski était juste et bon. La salle était glaciale, et le spectacle absent, tout comme le cinéma.
Le cinéma peut-il encore être politique ?
Oui, sans doute et plus que jamais! Le succès de Joker doit autant à la performance de Joaquin Phoenix qu’à la résonance qu’a eu ce film quant au malaise de nos démocraties.
Mais, visiblement, le cinéma français passe à côté du moment.
Pas un mot sur les violences policières, sur la glissade fasciste que nous vivons, en France et en Europe. Pas un mot sur l’explosion des inégalités, la course folle vers l’abîme des fausses politiques climatiques, non pas un mot. Seulement quelques moments gênants où deux mondes se parlaient, s’invectivaient, dans la douceur des smokings et des robes de soirées, dans un entre-soi gêné par l’éléphant au milieu de la pièce.
Il n’est pas question de puritanisme ou de la taille du talent, mais bien de la prise de conscience que le vieux monde zombifié n’a plus rien de bon à nous offrir, pas comme ça, pas dans un éternel diktat de valeurs et de violences symboliques ou réelles. Le cinéma doit rester libre, fort et curieux, il doit être le souffle de l’époque et pas un outil de revendications communautaristes.
Je ne suis pas entièrement d’accord avec Virginie Despentes. Ça ne sert à rien de se lever pour se casser, à part laisser le terrain de jeu aux petites frappes. Soit, on se lève pour aller prendre la scène d’assaut et tout retourner, soit on reste chez soi et on ferme sa gueule.
Regardez les gens bien élevés, les Frédéric Beigbeder, Lambert Wilson, Isabelle Huppert, eux ont droit à la parole, ils parlent gentiment avec de belles manières dans les médias, certains un peu gênés par leurs amitiés passées, mais ils condamnent à nouveau les victimes au silence et de manière hypocrite, par les mots de ceux qui ont le droit de faire la leçon de morale. Beigbeder vous dis-je faisant la morale, voilà l’étendue des dégats. Je ne préfère pas citer l’antisémite réformé Moix qui a été fidèle à lui même dans son instrumentalisation hideuse.
Ceux qui voudraient critiquer, dénoncer, n’ont que les marges pour le faire. Alors, tribunes contre tribunes, ça ne marche plus. Si vous voulez récupérer le cinéma, la prochaine fois, trasher la scène et rester debout et fiers, au pire ça fera de l’audience, au mieux ça changera le monde.