J’ai eu la chance de vivre les célébrations du débarquement il y a 15 ans, pour les 60 ans de cette bataille capitale pour la libération du continent européen.
À l’époque, parmi les 20 chefs d’États rassemblés sur les plages du débarquement se retrouvaient entre autres Georges Bush, Elisabeth II, Jacques Chirac, Gerhard Schröder et Vladimir Poutine.
Dans un devoir de mémoire et un exercice politique post-11 septembre, il s’agissait de montrer l’union d’un occident plus large, la réconciliation au coeur des projets multilatéraux de gouvernance et l’unité des alliés d’hier.
Cet exercice diplomatique d’envergure avait été inauguré par François Mitterrand en 1984, saisissant l’occasion de la commémoration comme une réunion des puissants et une campagne discrète de promotion de la France.
Je me souviens surtout de l’émotion lors du rassemblement des vétérans canadiens, australiens et anglais, venus avec leur famille, enfants et petits-enfants, sur les lieux de la grande bataille. Le son de la cornemuse sur les plages normandes rendait un hommage intemporel aux morts et à tous les combattants qui étaient venus combattre pour libérer l’Europe des nazis.
Ils avaient 16, 17 ans, parachutistes, résistants, jeunes patriotes et soldats qui ont perdu leur innocence ce jour-là dans un déluge d’acier et de sang.
C’est pour eux que ces cérémonies existent et peu importe l’instrumentalisation de l’Histoire et les calculs cyniques des puissants qui choisissent d’inviter ou d’exclure tel ou tel pays au gré des intérêts économiques ou des jeux diplomatiques.
Recueillir le témoignage humble de ce béret rouge britannique qui avait sauté sur Pegasus Bridge vaudra à jamais n’importe quel discours de dirigeant à la tribune. Pour ceux-là, la guerre ne s’arrêta pas à cette plage normande, les combats continuèrent d’Inde en Palestine. De retour à la vie civile, le pays ne leur fit pas d’honneur et peu importe les faits d’armes, ils se mirent à reconstruire un pays en ruine, sans demander de contrepartie. Beaucoup connurent une vieillesse dans le dénuement, compte tenu des politiques sociales délétères et de l’oubli des puissants à ce qu’ils leur devaient dans leur joyeux petit jeu criminel de guerre froide.
Les grands discours choisissent de raconter une histoire parcellaire, oubliant les oubliés. Il a fallu se battre longtemps pour sortir de la vision hollywoodienne du débarquement, glorifiant des héros libérateurs, quand la réalité sinistre se résumait à des champs de ruines peuplés de cadavres de jeunes gens mutilés.
Et encore une fois, chaque pays se veut le libérateur de l’Europe opprimée, oubliant le lourd tribut des pays du Commonwealth, des partisans et de l’armée soviétique et des populations russes, sans qui une telle opération n’aurait pas pu avoir lieu.
Ainsi les autorités russes dénoncent depuis de nombreuses années l’oubli dans lequel sont tombés les 27 millions de morts soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Selon un sondage cité par l’AFP, mené après la fin des combats en mai 1945, 57% des français pensaient que Moscou avait été le premier contributeur à l’effort de guerre. En 2004, alors que Poutine représentait pour la première fois son pays lors des commémorations, seulement 20% des français plaçaient l’Union soviétique en première force libératrice.
Cette année, Vladimir Poutine choisit d’accueillir ostensiblement le dirigeant Chinois Xi Jinping à Saint-Pétersbourg pour un sommet économique, un symbole fort d’un monde multipolaire à l’heure de la nouvelle guerre économique entre Chine et USA.
Alors, oublions au plus vite les mises en scène, les commentaires et les discours de causeurs dont la langue fatiguée fourche au point de confondre «capitulation» et «capitalisation» et allons plutôt chercher les témoignages de ces anciens gamins maintenant vieillards, qui n’ont rien oublié de l’horreur d’une nuit de chaos au coeur de la campagne française.
Pour éviter les guerres à venir, il faut simplement écouter les vétérans, quelle que soit leur langue, quel que soit leur pays.