Lundi matin, Café du Commerce. «Une campagne pleine de surprises», «La mort du PS, la nuit des longs couteaux chez les Républicains». Ces phrases on les a dites, entendues, répétées.
Ce lundi matin, j’avais la désagréable impression d’être un spectateur coincé devant le 127èmeépisode d’une telenovela. Effets secondaires du binge-watching : anesthésie, somnolence, mal de crâne…
Comme dans chaque soap opéra, on y trouve un casting proche de la caricature, avec les méchants, les héros, les cocus, les seconds rôles.
Marine Le Pen, en premier lieu évidemment, tient le rôle de la «méchante». À lire son programme, on comprend difficilement les raisons qui ont poussé nombre d’éditorialistes à qualifier son mouvement de «droite populiste ou décomplexée» pendant la campagne. Taxation des entreprises qui embauchent des étrangers, octroi des minimaux sociaux aux seuls nationaux, expulsion de tous les étrangers condamnés … Ces idées sont bien celles de l’extrême droite et contraires à nos valeurs républicaines.
François Fillon aussi. Celui-ci s’est illustré par son mépris vis- à vis de ceux qui lui demandaient des comptes mais aussi de ses concitoyens. Il est difficile en effet d’oublier la séquence diffusée par France 2 où il expliquait au personnel soignant épuisé la nécessité de travailler plus pour ne pas produire plus de dette. Cela ne se fait pas de tirer sur une ambulance, alors on va s’arrêter là.
Et puis il y a le jeune premier, Emmanuel Macron avec sa jeunesse, son dynamisme, son programme évolutif. Rien de très original pourtant chez le probable futur Président de la République : un profil de jeune loup de la finance, un programme social et économique libéral assez classique. Baisse des cotisations patronales, gel du SMIC, réduction des dépenses publiques. Le candidat semble n’avoir tiré aucun enseignement des répercussions sur les populations des politiques d’austérité menées par la Grèce, l’Espagne et le Portugal.
La victoire de ces deux personnages de fiction, Marine Le Pen et Emmanuel Macron, est celle du storytelling outrancier sur l’information. L’un comme l’autre sont les deux faces d’une même mécanique qui a permis à Donald Trump d’être élu. La force de la campagne, c’est de convaincre, non pas d’un programme (réalisable ou non) mais d’un courant (la Vague bleue Marine, En Marche) qui doit fédérer les consciences pour se réapproprier le roman national.
À quelques voix près, les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon pouvaient réussir cette prouesse.
Chez les marcheurs, il y a eu le bonheur d’un pari réussi, l’enthousiasme de rejoindre un personnage qui incarne le mieux l’instant présent : ouvert, libéral, consensuel, synthétique. Que son livre confession s’appelle «Révolution» choqua si peu, la marche a été pour beaucoup une bouffée d’air dans un paysage politique confiné.
Pour les partisans de Marine Le Pen, il y a aussi en filigrane l’idée d’un renouveau. Le FN, bien que n’ayant pas renié ses fondamentaux, n’est plus le parti de papa et peut sérieusement se projeter en parti de pouvoir sans risquer le ridicule.
Mais dans les deux votes, la peur agit comme moteur : peur du monde ouvert contre peur du monde fermé. Deux conceptions s’affrontent : croire qu’on a les moyens de survivre et bénéficier de la mondialisation ou bien la fuir à tout prix dans un labyrinthe de murs. Dans les deux cas, l’urgence écologique est oubliée dans les programmes et le mensonge sous-tend la logique du vote. Je vote pour continuer d’exister dans une fable. Le fossé semble si large entre ceux qui croient encore à la promesse de la démocratie de marché (American Dream) et ceux qui attendent le pire, protégés par la Nation toute-puissante et barricadée. Deux leurres qui servent de programme.
Il est malheureux qu’Emmanuel Macron ait été le seul candidat à être identifié comme pro-européen durant la campagne. Car quelle est l’Europe qu’il propose ? Celle de la politique des 3% de déficit public, celle de l’austérité assumée, celle de la concurrence et du marché comme force de progrès, bref, l’Europe qui déçoit depuis maintenant 30 ans. Car en quoi créer un ministre des Finances européen aidera les populations en difficulté dans les pays où la solidarité évoquée par le candidat fait défaut ? La refondation démocratique promise après les élections allemandes ne risque-t-elle pas de passer au second plan ?
Mais pour moi, le choix est clair pour le second tour. Commettre l’erreur britannique de quitter l’UE ou bien proposer à la France d’être au coeur de la refondation européenne.
Le spectateur fatigué peut aussi choisir de s’abstenir de voter, mais à lui le risque de se retrouver bloqué au cœur d’un très mauvais scénario pour les cinq prochaines années.