Il neige. Nous tombons malade. Premier réflexe : consulter notre médecin généraliste. De là, une multitude de cas sont possibles… Et de nombreuses questions concernant le système de santé français assaillent notre cerveau.
S’il y a bien un domaine que le monde entier envie à la France, c’est son système de santé. À l’étranger, le nombre d’heures de sommeil d’Emmanuel Macron ou l’investissement de l’élégante Brigitte envers de nobles causes sont en réalité bien loin de la préoccupation des expatriés, qui regrettent souvent la prise en charge de leurs soins «comme on a chez nous». Dans d’autres contrées, lorsqu’arrive l’heure de régler les frais de dentiste, la moutarde monte au nez, la nostalgie submerge le cœur, les larmes aux yeux, on réalise la chance que l’on avait… Ce vieux pays-qui-polémique-pour-rien redevient vite «chez nous». Et pour cause : la rapidité des rendez-vous, la prise en charge, la qualité du travail des professionnels de santé estampillés bleu-blanc-rouge dépassent de loin bon nombre de pays de la planète.
Pour autant, le niveau d’excellence et d’intransigeance au sein de notre système de santé n’a de cesse de baisser. L’obsession de la rentabilité induite par une politique économique qui se métastase de partout, les changements de mentalité des jeunes praticiens (calculant leurs nombres d’heures de travail tandis que leurs aînés s’épuisent avec rigueur et passion), les aberrations gouvernementales en matière de santé qui se sont succédées (on dira merci aux têtes pensantes qui s’obstinent à mieux savoir, de leurs bureaux, ce qui est bon ou non pour les acteurs de terrain) font présager des situations de blocage qui arrivent à grand pas. Nous sommes bientôt en 2020. Dans les années 90, cette date paraissait si loin. Aujourd’hui, c’est 2050 qu’il faut imaginer. Anticiper ce qui adviendra au système de santé français.
Grâce à l’expertise de Valérie Paris, économiste travaillant sur l’analyse des systèmes et politiques de santé au sein de la Division Santé de l’OCDE depuis 2005, avec comme appui le Traité d’Économie et de Gestion de la Santé, dans lequel elle a collaboré, nous avons pu déceler une moins bonne perception de l’état de santé chez les français entre 2007 et 2015 (1). Parmi les nombreux nuages qui se profilent sous le ciel du système de santé en France, le vieillissement de la population est l’un des plus importants : «les plus de soixante ans étaient plus de 12,6 millions en 2005 et ils seront deux fois plus nombreux en 2050. D’ores et déjà, les dépenses de l’assurance maladie sont concentrées sur la prise en charge de pathologies dont l’incidence augmente fortement avec l’âge, les affections de longue durée. Cela représente un défi considérable pour l’hôpital, qui représente 60% des dépenses en affection de longue durée» (2). Aussi, les inégalités qui se creusent empêchent un accès aux soins de façon sereine. On parle d’une «sous-consommation» qui «trouve principalement son origine dans les inégalités d’accès à une couverture complémentaire. Les personnes ayant de faibles revenus sont le plus souvent celles qui ne souscrivent pas à des contrats, ce qui limite leur recours au système de santé (…)» (3). Pour Valérie Paris, «tous les pays cherchent des solutions face à ces problématiques. Penser que l’on peut réduire les dépenses de santé est contre-nature, il faut en revanche se pencher sur les moyens de financer ces dépenses de santé».
Parallèlement à ces constatations, avec les visions éclairées d’Olivier Véran (neurologue, député LREM et rapporteur général de la Commission des Affaires Sociales à l’Assemblée) ainsi que Stéphanie Rist (rhumatologue, députée LREM du Loiret), nous avons pu commencer un zoom sur ce qui se profile à l’horizon de notre parcours de soin.
Le rôle du médecin généraliste
Avec sa fonction pivot, le médecin généraliste oriente vers le confrère qui saura prendre en charge la suite du parcours de soin. Quel sera son statut et ses conditions d’exercice dans les années à venir ?
Stéphanie Rist : Il devrait rester le pivot de la prise en charge du patient, au centre des maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) et de la coordination entre les professionnels de santé. Au centre de la prise en charge, en étant le responsable du parcours du patient, de la prévention jusqu’aux soins et à l’accompagnement de fin de vie qui devrait se faire à domicile de plus en plus. Le médecin généraliste aurait un rôle plus important avec cependant des tâches qu’il effectue aujourd’hui et qu’il va déléguer aux infirmières, voire aux aides-soignantes, aux agents administratifs… Au sein des MSP, l’ensemble des médecins ne serait pas obligé de prendre ce rôle de pivot, celui-ci pourrait être délégué à un seul s’il le souhaite.
Olivier Véran : Le médecin généraliste est un maillon essentiel de notre système de santé. Il faut laisser le choix au médecin de sa façon d’exercer : salarié, libéral, en maison de santé, exercice regroupé ou individuel. Il faut préserver tous ces modes d’exercice, en libérant du temps médical et fournir à ceux qui le souhaitent, un accès aux innovations comme la télémédecine.
Le copinage médical
Aujourd’hui, le «copinage médical», soit le fait de demander autour de soi quel spécialiste est le meilleur dans son domaine, nous sauve souvent la mise. Or lorsque nous n’avons ni médecin dans la famille, ni personne pour nous guider, que faire ?
Olivier Véran : Une plateforme unique d’information de santé claire et transparente comme service public serait une solution pour fournir à tous un accès direct à des données de qualité, et les aider à s’orienter dans le système de soins. Elle pourrait permettre non seulement de recenser l’offre de soins à côté de chez soi, de prendre un rendez-vous, ou de promouvoir l’éducation à la santé par exemple.
L’entrée en jeu du spécialiste
Nous voici donc avec une complication qui nécessite l’expertise d’un spécialiste. Quelle place leur sera faite à l’avenir ?
Stéphanie Rist : Le spécialiste devrait exercer davantage en ville (ils sont actuellement trop hospitaliers). Il interviendra dans un parcours de prise en charge coordonné par le généraliste et lui aussi devra travailler en coopération avec des infirmières, des secrétaires mais aussi des techniciens d’imagerie… Il sera facile pour un patient de trouver son spécialiste soit par son généraliste soit par une plateforme informatique qui devrait lui donner – en fonction de sa situation géographique ou de sa situation médicale – les possibilités de rendez-vous. Qu’il pourra prendre en ligne d’ailleurs. Ou alors il pourra passer aussi par son assurance complémentaire qui pourra l’intégrer dans le réseau prévu en fonction de son contrat.
Être soigné en fonction de sa situation géographique
Que faire contre la différence de prise en charge entre les différentes villes et pire, entre la ville et la campagne ? Pourquoi un test DPNI (Dépistage Prénatal Non Invasif des trisomies 13, 18 et 21) est-il systématiquement proposé dans certaines régions et non dans d’autres ? Un mélanome est-il aussi bien traité au fin fond de la Creuse qu’en Île-de-France ?
Stéphanie Rist : À l’heure actuelle, on peut affirmer qu’il existe des inégalités sociales (connues depuis longtemps), mais aussi des inégalités géographiques. En ce qui concerne les inégalités sociales, des études montrent que plus les personnes sont défavorisées, plus les taux de morbi-mortalité sont augmentés. Pour les inégalités géographiques, les études montrent des délais de prise en charge différents. La qualité des soins est elle aussi différente, des études sont en cours pour montrer le retentissement de cette prise en charge retardée ou insuffisante sur la morbi-mortalité.
Olivier Véran : Aujourd’hui, il n’existe pas de territoire où il y a trop de médecins. Il faut travailler sur deux fronts à la fois : l’offre et la répartition. Concernant la répartition, la Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a lancé à l’automne un plan de lutte contre les déserts médicaux, autour de quatre axes. Il propose par exemple des aides à l’installation pour les médecins dans ces zones essentiellement rurales, des simplifications administratives et une réorganisation de l’offre médicale pour encourager les maisons de santé et l’exercice regroupé ou encore le recours à la télémédecine.
Les déserts médicaux
On n’a de cesse de dire qu’il y a assez de médecins en France. Or, en regardant le site de l’Ordre National des Médecins, on peut constater que sur 290 000 praticiens, seuls 197 859 sont décrits comme étant «en activité régulière». La proportion des professionnels en activité régulière recule donc de 10 points depuis 2007 pour atteindre 68% en 2017 (2). La réforme demandée par vous, Monsieur Véran, concernant le numerus clausus prend donc tout son sens. Quel(s) commentaire(s) à ajouter à cette prise de décision ? Que dire face aux personnes qui craignent un abaissement du niveau ?
Olivier Véran : Nous avons un réel problème d’offre de soins dans notre pays, pas uniquement de répartition des praticiens. Le numerus clausus est un dispositif périmé, et il y a urgence à le réformer pour faire face au vieillissement de la population et au boom des maladies chroniques. À l’heure de la libre circulation, le numerus clausus est un instrument qui peut empêcher des jeunes français de faire médecine en France, avec une formation potentiellement inégale de celle dispensée sur notre territoire. Le corollaire à cette réforme serait d’adapter l’offre de formation à l’offre de soins, plus le contraire, et donc de créer davantage de lieux de formation, dans les universités, les hôpitaux et en médecine libérale.
Stéphanie Rist : La densité médicale en France est de 18% inférieure aux pays de la zone euro. La problématique du numerus clausus est donc un vrai sujet à traiter à l’heure où les lycéens français peuvent partir faire leurs études en Europe et revenir pour exercer en France, que les diplômes européens sont reconnus et qu’il est donc difficile de réguler d’un point de vue juste économique les installations futures. Au travers du sujet du numerus clausus, il faut envisager une régulation éventuellement européenne, retrouver une densité médicale nationale homogène avec les pays de la zone euro, et travailler sur l’ensemble de la formation des étudiants en santé, sans oublier d’aider les bons élèves des lycées défavorisés, de façon à ce qu’ils puissent accéder à ces études. Cependant la «libéralisation» du numerus clausus ne règle pas le problème des déserts médicaux, il faut, en parallèle, rendre les territoires attractifs, sortir les étudiants des hôpitaux, leur proposer des parcours où la formation répondra à leurs attentes ainsi que mettre en place des incitations pour qu’ils s’installent dans ces territoires. Le niveau des médecins n’est, à mon sens, pas lié au numerus clausus mais à la formation qu’ils ont dans la suite de leur cursus et à leur motivation. On pourrait imaginer un numerus clausus ouvert avec une meilleure prise en considération de la motivation réelle pour exercer ce métier…
La prise en charge
La médecine moderne en France, c’est cette schizophrénie entre le médicament déremboursé et cette bonne vieille Sécu, qui supporte encore de porter sur ses épaules tantôt des reproches tantôt des éloges. Ce «privilège que l’on a ici et nulle part ailleurs». Pourtant, insidieusement, le système de santé de notre douce France a basculé dans une matrice capitaliste où il faut «pouvoir payer ce soin, réfléchissez, il n’est pas donné». La Ministre de la Santé Agnès Buzyn considère que 30% des dépenses de l’assurance maladie ne sont pas pertinentes. Elle a établi comme feuille de route l’augmentation de 2 euros du forfait journalier hospitalier, la baisse de prix des médicaments (par exemple si les hôpitaux mutualisent certaines dépenses), le renforcement de la lutte contre la fraude à l’Assurance maladie, ou encore d’établir un tiers payant généralisable. Par ailleurs, la Ministre ne souhaite pas que «les français renoncent à des soins pour des raisons financières». Quelles sont les décisions prises en ce sens ?
Olivier Véran : L’un des points forts du programme présidentiel en matière de santé, et il me tient particulièrement à cœur, c’est la réforme du reste à charge zéro (RAC 0) pour les ménages, sur les soins prothétiques optiques, dentaires et auditifs. Ils restent le poste de dépense le plus important en santé pour les français, et demeurent une grande source d’inégalité. C’est donc une priorité de santé publique et la réforme reste à mener. La concertation des acteurs est actuellement en cours, et devrait aboutir sur des propositions en juin prochain.
L’avenir
On voit de plus en plus fleurir ici ou là des articles liés à la télémédecine, la téléconsultation, la téléchirurgie… Un rapport de l’HAS (la Haute Autorité de Santé), daté du 24 novembre 2017 (3), fait état d’un souhait d’«amélioration de la qualité de vie des patients» et d’un «accès à l’innovation». Quelle sera la place des robots dans le système de santé ? À quelles technologies innovantes devons-nous nous attendre ? Comment la santé et l’Intelligence Artificielle vont fusionner dans les mois/années à venir ?
Olivier Véran : Le monde de la santé est certainement l’un des secteurs où l’apport de l’IA sera le plus important, pour guérir demain des maladies qu’on pense aujourd’hui incurables, grâce notamment à l’émergence de la médecine prédictive et personnalisée ou au care-management. Les Êtats généraux de la bioéthique, ouverts depuis le 18 janvier dernier, témoignent d’une volonté de développer une IA maitrisée, réfléchie et éthique. À nous de trouver un équilibre entre précaution et progrès pour que cette technologie soit acceptée et justement utilisée.
Propos recueillis par Pegah Hosseini
(1) http://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=HEALTH_STAT&lang=fr
(2) Traité d’Économie et de Gestion de la Santé, de Pierre-Louis Bras, Gérard De Pouvourville, Didier Tabuteau, Éditions de la Santé, p112
(3) Traité d’Économie et de Gestion de la Santé, de Pierre-Louis Bras, Gérard De Pouvourville, Didier Tabuteau, Éditions de la Santé, p118
(4) https://www.conseil-national.medecin.fr/node/2365
(5) https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2792656/fr/amelioration-de-la-qualite-de- vie-des-patients-et-acces-a-l-innovation-deux-priorites-dans-les-evaluations-des- dispositifs-medicaux-24-novembre-2017