Jean Le Cam et ses cheveux en bataille sont arrivés aux Sables d’Olonne, il n’est que quatrième au tour du monde du Vendée Globe, pas de place pour lui sur le podium, mais qu’importe, sa plus grande victoire a été celle d’avoir aidé le skipper Kevin Escoffier naufragé en mer.
La solidarité entre marins est la plus grande des valeurs parmi ces hommes solitaires qui aiment les embruns et cet immense sens de liberté que seul l’océan peut offrir à qui sait l’écouter.
La vie des hommes de la mer est peut être un des derniers remparts au cynisme du monde moderne.
Finalement là, au milieu de l’Atlantique, le paysage n’a pas changé depuis la nuit des temps.
Et solidarité rime avec liberté.
En parlant de marins et en parlant de liberté, l’arrivée de Jean Le Cam dans son port de Vendée coincide avec une autre belle histoire, celle de Nathan Evans, jeune facteur écossais de 26 ans, qui a eu l’idée de poster sur TikTok, le réseau dont raffolent les adolescentes, une reprise de « The Wellerman », chanson de marins du XIX siècle, au rythme entêtant.
La chanson a été écoutée des millions de fois, a été reprise et réinterprétée par des jeunes du monde entier, et le destin a joué un joli tour au jeune facteur: un contrat pour une grande maison de disques, le label Polydor.
Mais l’histoire de « The Wellerman » n’est pas juste la success story d’un garçon doué pour la musique.
Ce qui est émouvant dans cette melodie est le fait d’avoir été reprise des milliers, des millions de fois, comme un chorus qui s’est étendu aux quatre coins de la planète, au nom de quoi, finalement?
De la solidarité, et peut-être de la liberté.
Car ces « sea shanties », ces chants de marins des XVIIIe et XIXe siècles, sont des mélodies destinées à rythmer les travaux les plus pénibles à bord des navires: évacuer l’eau de la cale, monter les ancres qui pesaient des tonnes, ramer quand les voiles faisaient défaut, supporter le froid et les caprices des vagues.
N’est-ce pas ce que les jeunes du monde entier doivent supporter et endurer aujourd’hui?
Prisonniers dans le navire « Monde », les jeunes doivent faire face aux vagues monstrueuses d’un virus qui a bouleversé le calme apaisant de leur quotidien.
Ne doivent-ils pas plier l’échine face à la solitude, face à un horizon incertain, et apprendre une nouvelle stoïcité qui les aide à surmonter un long et pénible voyage, dont on ne connait pas l’issue?
Dans ces jours tristes sans voyage et sans vie sociale, qui y-a-t’il de plus beau qu’un chant de vieux marins qui retentit dans le monde entier, qui invoque « the wellerman », ce bienfaiteur qui ravitaillait l’équipage des navires avec du thé et du rhum?
C’est quoi aujourd’hui, the Wellerman? Le vaccin? L’idée d’un meilleur monde d’après?
Comment faire renaître de l’espoir pour les jeunes d’aujourd’hui?
Sandrine Rousseau, vice-presidente de l’Université de Lille riche de ses 75000 étudiants, se confie:
chaque jour, elle reçoit au moins quatre mails où quelqu’un lui rapporte la tentative de suicide de la part d’un étudiant.
Ce n’est pas étonnant.
Et ce n’est pas une petite aide financière ou un ticket pour aller voir un psychologue qui allégera leur peine.
Car ce que vivent les jeunes d’aujourd’hui n’est pas seulement triste, mais littéralement contre-nature.
Certes, on ne va pas affirmer que les jeunes de 1915 ou de 1942 étaient plus chanceux, et que la boue de tranchées et l’éclat des obus étaient préférables par rapport aux longues soirées devant Netflix. Ce serait indécent.
Mais on va se permettre de dire une chose. Je pense particulièrement aux jeunes actifs pendant la Résistance, je pense à leurs actions chargées d’adrénaline, à leurs rencontres clandestines, à leurs façons de se réunir et d’agir. Il y avait là une energie et une vie, certes chargées de périls, certes effrayantes, mais ces jeunes agissaient et réagissaient au nom du bien être de tous, au nom de la liberté et de la démocratie.
Aujourd’hui, ce qu’on demande aux jeunes c’est exactement le contraire: on leur demande de s’auto-emprisonner, de s’isoler, de ne pas agir, surtout de ne pas se rebeller, et finalement, de considérer la liberté comme l’ennemie, bien que temporaire, du bien-être collectif.
N’est-ce pas frustrant, n’est-ce pas contraire à tout ce qu’on leur a appris jusque là?
Plus que jamais on a besoin de se serrer les coudes avec eux, plus que jamais on a besoin de The Wellerman, d’un espoir, d’un projet, d’un rêve pour supporter cette pénible traversée.
Jusqu’au jour où la vigie en haut du mat hurlera enfin « Terre! » et le cauchemar sera fini.
« Soon may the Wellerman come, to bring us sugar and tea and rum.
One day, when the tonguing’ is done, We’ll take our leave and go »
Bon courage à tous.
- Par Eva Morletto
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