Petite mélodie familière : Noël, Saint-Sylvestre, Épiphanie… Les sapins nus jonchent les trottoirs gelés et l’épidémie de grippe cueille les français fatigués des fêtes. Comme les années précédentes, les premières plaques de verglas et le décès d’un SDF anonyme placent la question de l’hébergement d’urgence pour quelques jours en une des médias.
Tant le président de la FNARS que celui du Samu Social ont pourtant pointé l’urgence : un appelant sur deux au 115 ne recevra pas de solution d’hébergement. Ces dernières années, la misère explose en France. Selon les chiffres de l’Observatoire des inégalités, entre 2004 et 2014, le nombre de personnes concernées a augmenté d’un million. En 2016, la Fondation Abbé Pierre dénonçait 3,8 millions de personnes mal logées dont 900 000 sans logement personnel.
À cette réalité sociale, il faut ajouter la situation dramatique de certains migrants. Près de deux mois après son ouverture, le premier centre d’accueil parisien est déjà saturé.
Au vu de son parcours personnel et politique, on aurait pu espérer un changement de ton de la part de la Ministre du Logement. Interrogée par le Parisien ce 6 janvier dernier, celle-ci met en évidence les efforts faits par le gouvernement pour déclarer dans un second temps : «cet hiver n’est pas plus difficile (…)».
Circulez, y a rien à voir !!! MSF demande à la police de cesser de confisquer les couvertures des migrants qui dorment dans la rue à Paris, sans grand succès.
Le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait un appel déchirant sur les ondes de Radio Luxembourg : «Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant tant d’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !…». À l’époque, ce cri de détresse déclenche un élan de générosité sans précédent et une prise de conscience politique.
62 ans plus tard… L’appel du fondateur d’Emmaüs fait résonner des sentiments d’injustice et de colère chez les plus endurcis d’entre nous. Et pourtant des milliers de «sans toit» continuent à dormir sous le gel dans la résignation généralisée des responsables publics.
Comment l’expliquer ?
Par le fait que l’empathie n’a jamais fait place au respect.
Du 1er novembre au 31 mars, les SDF les plus chanceux ou persévérants pourront bénéficier d’une place dans un centre d’hébergement d’urgence, un dortoir ou une chambre d’hôtel. Dans bon nombre de cas, ceux-ci devront appeler inlassablement le 115 pour espérer pouvoir dormir une nouvelle fois au chaud le lendemain.
Dans un tribune publiée dans le journal le Monde à la veille de la période hivernale, le président du Samu Social pointait le fait que sur les 2870 places annoncées en Île-de-France, il ignorait encore combien seraient réellement disponibles et sur quel sites.
Sous-budgétisation structurelle des dispositifs d’urgence et d’accueil des migrants, recours massif aux nuitées d’hôtels témoignent de la négligence de nos responsables politiques face à la grande précarité.
Les associations le répètent depuis des années, des solutions justes et structurelles existent en matière d’hébergement d’urgence : réquisition de bâtiments inoccupés, régularisation des familles sans titres de séjour hébergées depuis des années dans les hôtels, mise à disposition de logements très sociaux pour les travailleurs pauvres, construction de centres d’accueil supplémentaires pour les primo-arrivants…
On le sait, l’espérance de vie des personnes à la rue est de 30 ans inférieure à celle de la moyenne française. Ce n’est pas le froid qui tue les SDF, c’est la rue : le manque d’hygiène, de sommeil, l’hypervigilance, la solitude…
Dans son entretien au Parisien, Emmanuelle Cosse disait également : «Ce n’est pas le tout de créer des places, il faut aussi convaincre les sans-abri de les accepter».
On le sait, certains SDF refusent en effet l’offre d’hébergement proposée par les associations. Les raisons sont multiples : refus de se séparer de son animal, insécurité et manque d’intimité dans les grands dortoirs…
Chez les très grands précaires, on assiste aussi à ce que le psychiatre Jean Furtos a qualifié de phénomène d’auto-exclusion qui parallèlement à une anesthésie du corps conduit la personne à refuser l’aide. Chaque jour, des travailleurs sociaux et des équipes mobiles de soignants s’échinent à créer un lien avec ces personnes. Malgré la complexité de la tâche, eux aussi sont souvent confrontés à un manque structurel de moyens et à des contrats précaires.
Pourquoi devient-on SDF ? Perte d’emploi, histoire familiale disloquée, addiction, troubles psychiatriques, sortie de prison… Si les facteurs de risques sont multiples, ils renvoient dans la très grande majorité à l’échec de nos structures publiques, à leur incapacité à prévenir.
Mettre en place des politiques structurelles et courageuses d’hébergement et de sortie de rue constituent un devoir de la puissance publique, non un geste de bonté. Lors de la prochaine campagne électorale, la précarité sera un sujet de plus sans aucun doute manipulé de toutes parts par les candidats. La gauche fera semblant de découvrir l’urgence, l’extrême droite se servira de la pénurie de places d’accueil contre les migrants et le candidat de droite organisera la pénurie de places et le tri des personnes.