Alors que les résultats des élections américaines seront connus dans moins de deux semaines, les Européens jettent un regard de plus en plus anxieux vers leur vieil allié de l’autre côté de l’Atlantique. Entre Joe Biden et Donald Trump, le choix des Européens est clair, ce sera Joe Biden.
Une étude menée par YouGov dans plusieurs grands pays européens montre une nette préférence de ceux-ci pour une victoire du candidat démocrate. Le rejet de Trump n’est guère surprenant au regard du mépris de ce dernier pour tout ce qui a trait de près ou de loin au Vieux Continent. Trump a largement malmené la relation transatlantique tout au long de son mandat. Au-delà des critiques acerbes sur l’OTAN, celui-ci a imposé en juin 2018 des tarifs douaniers sur certains produits européens, notamment l’acier et l’aluminium, accusant l’Union Européenne (UE) et la Chine de miner la puissance des États-Unis. En encourageant le Brexit, en se retirant de l’Accord de Paris ou en humiliant publiquement certains dirigeants européens (on a en tête son refus de serrer la main à Angela Merkel lors d’une rencontre à la Maison-Blanche en 2017), Trump n’a cessé de creuser le fossé, déjà existant, entre les deux rives de l’Atlantique. Dès lors, une victoire de Joe Biden aux élections pourrait-elle renverser la tendance ? Outre une cordialité retrouvée au sein des grands sommets internationaux, une présidence Biden peut-elle vraiment remettre la relation transatlantique sur les rails ?
Le résultat des élections américaines n’est pas un enjeu mineur pour l’Europe dans la mesure où l’issue de ces dernières déterminera pour une bonne part l’avenir de sa sécurité, en particulier au sein de l’OTAN, dont l’existence même est de plus en plus contestée par le président Trump qui n’en voit tout simplement pas l’utilité. C’est peu dire que l’alliance militaire a été la pomme de discorde entre les deux continents tout au long de son mandat. En juillet 2020, la décision de Trump de retirer 10 000 soldats d’Allemagne a provoqué une énième mini crise transatlantique, mettant de nouveau les européens face au problème récurrent de leur dépendance militaire vis-à-vis des États-Unis. Le Brexit a aggravé cette situation dans la mesure où le départ britannique de l’UE – soutenu par Trump – signifiait également pour l’Europe la perte d’une grande partie des capacités militaires sur lesquelles elle pouvait s’appuyer en cas de besoin. Ces tensions ont très logiquement relancé le débat en interne de la pertinence d’une armée européenne qui permettrait à l’UE de s’émanciper de la tutelle américaine en matière de défense. Par conséquent, l’issue des élections déterminera ce qu’il adviendra de la sécurité européenne.
Une victoire de Joe Biden au prochain scrutin rétablirait un certain alignement transatlantique sur de nombreux dossiers internationaux, et pas des moindres. Dans un premier temps, il semble acquis que Biden rejoindrait l’Accord de Paris sur le climat comme il s’est engagé à le faire dès «le premier jour de sa prise de fonction». Un retour des États-Unis dans cet accord est un acte crucial, le seul à même de faire perdurer l’accord et d’en garantir la viabilité, le pays étant le deuxième plus grand émetteur de gaz à effet de serre du monde. De même, le candidat démocrate a promis de renégocier l’accord sur le nucléaire avec l’Iran si les iraniens se montraient prêts à se conformer pleinement aux mesures de contrôle. Une reprise des discussions sur ce sujet permettrait de réduire les tensions entre les deux pays et permettrait également aux européens de jouer pleinement leur rôle d’allié, ces derniers ayant réussi à temporiser avec les autorités iraniennes pour éviter que celles-ci ne prennent des mesures de rétorsion trop hâtives. Dans l’attente, vraisemblablement, d’un potentiel changement d’administration américaine.
Ces deux grands dossiers montrent qu’un changement de leadership à la Maison Blanche en faveur de Joe Biden permettrait de relancer le multilatéralisme que Trump exècre mais pourtant si cher aux yeux des Européens. Joe Biden sait par ailleurs comment leur parler, lui qui a promis «des mesures immédiates pour renouveler la démocratie et les alliances des États-Unis». Une relation transatlantique renouvelée et revitalisée assurerait ainsi une meilleure coopération au sein des institutions internationales nécessaire pour relever les défis qui s’annoncent dans un monde post-pandémie. Elle réduirait également l’instabilité du système international que les impulsivités et l’impéritie de Trump ont considérablement accrue.
Les 27, que quatre ans de trumpisme ont largement exaspérés, espèrent qu’une victoire démocrate permettra de bâtir un nouveau partenariat et de réinitialiser les relations transatlantiques. Toutefois, il serait illusoire de croire que Biden renversera la table au-delà de ce tronc commun minimal avec l’UE. Il faut rappeler que l’Europe se sentait déjà négligée sous l’administration Obama, lui reprochant d’être un allié de seconde classe alors que les États-Unis pivotaient vers l’Asie. La question de l’apport financier des pays européens à l’OTAN était déjà un sujet de désaccord structurel entre les deux continents. Mais surtout, il est temps pour les européens de reconnaître que le monde et les États-Unis en particulier ont profondément changé et qu’une victoire de Biden ne signifiera pas un retour au monde d’après Seconde Guerre Mondiale. L’intérêt des américains pour une politique étrangère interventionniste a largement diminué et n’a pas la même popularité auprès des millennials qu’auprès des boomers qui ont connu la guerre froide.
Le «tout sauf Trump» ne doit pas occulter les circonstances qui ont amené celui-ci à remporter les élections en 2016 et le fait que le monde a profondément changé. Ainsi, les dirigeants de l’UE doivent faire le deuil d’une Amérique qu’ils ont connue. S’il y a bien une chose que ces quatre dernières années ont mise en évidence, c’est que Trump n’est pas une parenthèse dans l’histoire américaine. Et que même dans l’hypothèse où Biden est élu, la fin de la présidence Trump ne signifiera pas la fin du trumpisme. Le «America First» scandé par Trump marquera encore pour un certain temps la politique étrangère américaine. Biden a ainsi rappelé à l’électorat populaire, qu’il souhaite ravir à Trump, qu’il sera dur en négociations commerciales, que ce soit avec l’Europe ou avec la Chine et ne manque pas de souligner que sa «politique commerciale commence à la maison», laissant penser que ses décisions en matière de politique étrangère se mesureront à l’aune de l’intérêt national et des classes moyennes américaines avant tout.
S’il sort vainqueur, Biden aura surtout fort à faire pour réorienter – pour ne pas dire réparer – la politique étrangère américaine. Et l’Europe ne fait pas partie des priorités. Même la Russie ne figure au mieux que deuxième dans sa liste des préoccupations… après la Chine. Une nouvelle ère s’ouvre pour les États-Unis et la confrontation avec la Chine est dans toutes les têtes. Pékin s’érige en véritable concurrent à la puissance des États-Unis et défie la suprématie américaine et pas uniquement en Asie. S’il gagne, Biden sera peut-être le président qui devra gérer le début du déclin relatif des États-Unis face à la puissance chinoise. L’appui de l’Europe peut certes lui permettre de constituer un front commun pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales chinoises mais chaque dollar investi en Europe est un dollar qui n’est pas investi pour contrer l’émergence de la Chine en Asie. Ainsi, même s’il est conscient qu’il sera crucial de ménager ses alliés historiques européens partageant les mêmes valeurs dans la confrontation avec la Chine, Biden devra fixer ses priorités… s’il est élu.
- Amandine Charley, diplômée en Sciences Politiques, spécialiste des relations internationales.