Le vaccin?
Les français demandent plus de transparence et plus de pédagogie.
Plus de la moitié des français ne veut pas du vaccin. Une étude publiée il y a un mois par l’institut Jean-Jaurès affiche noir sur blanc cette révélation.
Les mouvements anti-vax était déjà présents bien avant la pandémie. Mais depuis un an, la crise sanitaire les a propulsés en avant. Elle a engendré un processus nouveau et complexe : la défiance des français envers les politiques et ses institutions a largement débordé vers la sphère scientifique. Elle est devenue elle aussi objet de méfiance, regardée comme un énième écheveau de savants à la botte du pouvoir et pour cela méprisée.
Les rangs des conspirationnistes se sont élargis de façon démesurée, et leurs théories farfelues se sont mêlées aux interrogations légitimes de l’opinion publique sur les bienfaits du vaccin, dans un climat politique et social empoisonné par le manque de transparence et par les erreurs d’évaluations stratégiques sur la crise du Covid.
Comment décrypter ce phénomène?
Au début de la pandémie, le gouvernement français a été hésitant et des mensonges ont entaché la crédibilité du discours officiel.
Le fameux «les masques ne servent à rien et puis on ne sait pas les porter correctement» de Sibeth Ndiaye restera probablement dans les archives des plus grandes gaffes politiques.
Admettre avoir géré l’hôpital comme on gère une start-up, en suivant les critères du profit, en fermant des dizaines de milliers de lits en seulement quelques années, n’était pas un discours possible pour l’exécutif. Pendant tout le premier confinement, les responsables ont donc emprunté un tunnel d’acrobaties communicatives et de messages contradictoires.
La France n’était certainement pas seule à vivre une telle situation. La quasi totalité des gouvernements de la planète n’était pas prête à faire face à un tel événement, la communauté scientifique internationale a dû gérer ce virus nouveau, inconnu, aux symptômes et aux conséquences hétérogènes et imprévisibles.
Les médias, qui ont dû à leur tour gérer cette masse d’informations, quelquefois de manière incohérente, et motivés par la course au scoop, ont parfois alimenté la confusion.
L’opinion publique a eu bien des difficultés à décortiquer le tout : à cause de la complicité de l’action perverse des algorithmes des réseaux sociaux, d’une communication schizophrénique et de la contrainte des mesures restrictives, la société toute entière a été projetée dans un vortex de doutes.
Politiques, communauté scientifique et médias se sont ainsi retrouvés sur le banc des accusés.
Dans ce théâtre chaotique, caractérisé par une mise en discussion constante du dogme scientifique, le conspirationnisme a pu proliférer.
Nous en avons parlé avec Pauline Londeix, chercheuse et co-fondatrice de l’Observatoire pour la Transparence dans les Politiques du Médicament.
«Les complotistes se sont trouvés sur un terrain fertile» commente la chercheuse, «une bonne partie de la population, face à l’opacité de la communication gouvernementale sur les questions sanitaires, s’est posée des questions et a émis des doutes légitimes, et les conspirationnistes en ont profité pour apporter leurs réponses».
La campagne de vaccination contre le coronavirus serait-elle victime du complotisme?
«Si les populations sont méfiantes, on peut en imputer la faute en partie à la mauvaise communication gouvernementale, et par conséquent, aux médias. C’est comme si les laboratoires avaient sorti ces antidotes d’un chapeau de magicien !» commente Pauline Londeix.
«Pour comprendre les failles dans la communication, il faut commencer du début» explique la chercheuse.
«Durant les premières semaines de mars, on a su que les États-Unis avaient investi un milliard de dollars pour le vaccin, et l’Europe plusieurs centaines de millions d’euros. À ce moment, c’était comme si un mot d’ordre avait été lancé : opacité.
Ces investissements ont été concédés aux laboratoires sans conditions. Depuis le début, s’est enclenchée une forte dynamique concurrentielle, et de forts intérêts géopolitiques se sont mêlés à la recherche.
Il suffit de rappeler, par exemple, que Donald Trump avait promis aux américains un vaccin avant les élections de novembre.
La concurrence entre les laboratoires a contribué à ce qu’un voile obscur recouvre les modalités de recherche et de fabrication des vaccins. Ils ont fait preuve d’une grande discrétion. Chaque laboratoire voulait se protéger d’éventuelles fuites d’informations et de facto, une discrétion s’est imposée. Ce n’est que récemment que The Lancet a publié des articles qui fournissent des détails scientifiques sur les vaccins disponibles. Avant, la règle était le silence.
Tout cela signifie que chaque pays a acheté des centaines de millions de doses de vaccins sans savoir exactement ce qu’il était en train d’acheter».
Est-ce que, aujourd’hui, les informations disponibles sur les vaccins sont suffisantes ?
«La société a plus que jamais envie d’espérer, de croire, a envie d’une solution définitive pour battre le virus et retrouver la vie d’avant, je trouve que les médias se montrent un peu trop condescendants envers ce sentiment…
Les actuels vaccins disponibles, Moderna et Pfizer, sont formulés pour réduire les formes graves de la maladie. Pour battre le coronavirus, il serait nécessaire avant tout de réduire les chaînes de transmission et aujourd’hui nous n’avons pas de certitudes absolues là-dessus.
Les vaccins comme celui produit par Pfizer sont certainement très utiles, surtout pour la partie la plus fragile de la population, les seniors, en réduisant les évolutions graves de la pathologie, mais il faut les considérer comme faisant partie d’une palette plus vaste d’instruments nécessaires à enrayer le virus.
Le vaccin seul n’est pas la solution, il faudrait expliquer de manière plus approfondie, plus pédagogique, à la société, que toute une série de dispositifs doit être maintenue pour freiner la pandémie, on doit continuer à expérimenter des traitements efficaces pour les malades, développer des vaccins pour les différentes exigences sanitaires… Il faut un plan cohérent qui puisse sortir de la dynamique de l’effet d’annonce».
Il y en a qui dénoncent les manoeuvres des grands laboratoires pour s’enrichir ultérieurement…
«Même les syndicats des laboratoires, comme la CGT de Sanofi, admettent que le coût de fabrication d’un vaccin est très bas, et que les coûts pour la recherche sont déjà en partie financés publiquement.
Le prix moyen d’un vaccin mis sur le commerce jusqu’ici est à peu près de 40 euros (pour la double dose). Comment justifier ce chiffre? Si la recherche a déjà obtenu des fonds publics, nous demande-t-on de payer deux fois?
Notre observatoire a demandé des clarifications aux laboratoires mais les réponses restent vagues ; une partie du budget va très probablement à des activités de lobbying ou de marketing, mais ces sujets restent tabous, on ne veut pas parler de manière explicite.
Il est vrai que parfois les grands laboratoires raisonnent en termes de profit et non pas en se basant sur les réels intérêts de la santé publique.
On peut penser par exemple aux maladies qui frappent massivement certaines régions pauvres de la planète, comme l’Afrique qui subit depuis des décennies les effets dévastateurs de la malaria, ou d’autres pathologies comme la maladie du sommeil : on utilise les mêmes médicaments depuis une éternité, on n’investit pas suffisamment, car les bénéfices seraient limités.
Avec la Covid, il est clair que les bénéfices vont être plus élevés.
La responsabilité des géants pharmaceutiques va tout de même être partagée avec celle des gouvernements qui n’ont pas négocié de manière adéquate, en laissant carte blanche à l’initiative des laboratoires.
Dans les rapports entre ces derniers et les institutions publiques, ce sont toujours les industriels qui sont favorisés».
Que pensez-vous de l’actuelle stratégie vaccinale?
«La stratégie vaccinale prend en compte différentes tranches d’âges pour hiérarchiser les personnes à vacciner en priorité. Cela se justifie d’un point de vue scientifique, dans la mesure où les personnes les plus âgées sont les plus susceptibles de développer des formes graves de la maladie, et également en l’absence de suffisamment de doses pour vacciner l’ensemble de la population. Mais la pandémie impose également de cibler des personnes plus jeunes, pour s’attaquer à un élément essentiel de la réponse au Covid : faire diminuer le taux de reproduction du virus et sortir des cycles confinement-déconfinement-reconfinement».
Que pensez-vous de l’idée d’organiser un conseil citoyen tiré au sort pour accompagner la campagne vaccinale?
«Le gouvernement a annoncé la mise en place d’un comité citoyen à la fin du mois de janvier 2021, soit 11 mois après le début de la pandémie en France. 11 mois pendant lesquels un tel comité aurait pu et aurait dû être mis en place. La mise en place d’un comité citoyen après le début du lancement de la campagne vaccinale pose de nombreuses questions sur le rôle réel du comité : s’il est seulement question d’étudier la réticence des français face à la stratégie vaccinale, on se demande pourquoi il n’a pas été mis en place plus tôt. Un comité citoyen mis en place tôt aurait par ailleurs pu permettre une réflexion plus précise sur l’adhésion au vaccin et d’être prêt au moment du lancement de la campagne vaccinale. Cela aurait pu permettre de réfléchir aux populations à cibler en priorité, aux manières pour les atteindre, et aussi quels étaient les vaccins candidats les mieux adaptés pour telle ou telle population.
Par ailleurs, on sait déjà en grande partie ce qui explique cette réticence des français : le manque de transparence, et l’absence totale de pédagogie nécessaire pour créer les conditions de l’adhésion. Tout cela est doublée par l’impression justifiée d’une impréparation du gouvernement depuis le début de la crise dans tous les domaines : pénuries de gel hydroalcoolique, de masques, de dépistage et de médicaments. À cela s’ajoutent les débuts catastrophiques de la mise en place de la campagne vaccinale, avec seulement quelques centaines de personnes vaccinées jusqu’ici, et une mise en scène ridicule de la colère présidentielle à l’égard de son ministre de la santé, alors qu’on sait que les pouvoirs ont rarement été autant concentrés dans les mains d’une même personne que sous la présidence d’Emmanuel Macron».
Y a-t-il une contribution utile que les médias puissent apporter dans une telle situation?
«Exiger la transparence de la part de nos gouvernements et des groupes pharmaceutiques. Éviter les effets d’annonce et recourir à plus de nuances, à plus de pédagogie. C’est un chemin difficile mais essentiel pour la communauté scientifique, politique, les médias et tous les acteurs de la société».
Propos recueillis par Eva Morletto