Le 20 juillet dernier, Alain Cocq, atteint d’une maladie orpheline rare, adressait un courrier à Emmanuel Macron l’exhortant à pouvoir bénéficier du droit à une fin de vie dans la dignité avec une assistance active du corps médical. Sans quoi, à compter du 4 septembre prochain, il cessera toute alimentation, hydratation et prise de traitements pour retransmettre sa mort en direct sur Facebook dans le but d’alerter sur la question de la fin de vie digne en France. Pour Le Monde Moderne, je suis allé le rencontrer dans son appartement de banlieue dijonnaise, à quelques jours de son rendez-vous avec l’Élysée.
Interview réalisée le dimanche 23 août 2020
Une vie de souffrances mais surtout d’engagements
Alain Cocq naît le 22 janvier 1963 à Montargis. Sportif et rêveur, il grandit dans un milieu ouvrier avec ses difficultés mais aussi ses moments de joies. Dès l’âge de 14 ans, les premiers signes de sa maladie apparaissent. Convulsions, phases de léthargie, occlusions, malaises, pendant des années, les médecins se renvoient la balle de services en services mais personne ne comprend réellement de quel mal souffre Alain.
«Cette maladie n’a pas de nom, on ne la connaît pas, on peut juste en soigner les symptômes».
D’un naturel curieux et perfectionniste et malgré ses passages récurrents à l’hôpital, il continue à se cultiver toute sa vie en dévorant des centaines d’ouvrages de toutes sortes. Entre deux discussions autour de la sociologie, il me parle également de sa passion pour la cuisine française et de son idole en la matière.
«J’ai eu un très grand maître, dans l’art culinaire, des vins et des alcools, c’est Maître Paul. (Paul Bocuse ndlr)».
Une curiosité et une ouverture d’esprit qui le conduira rapidement à s’engager pour les causes qui lui sont chères. Pour sa maladie, tout s’accélère en 2006, lorsqu’en montant un escalier verglacé, il chute et se déboîte le genou. Quelques mois après sa chute, ce qui ne devait au départ être qu’une simple entorse le conduira finalement en urgence vitale dans un service de soins intensifs du CHU de Dijon. À partir de là, sa pathologie va sévèrement s’aggraver et son entourage va prendre réellement conscience de cette maladie qu’il avait masqué pendant 30 ans.
«Je ne voulais pas qu’ils sachent la réalité de ma situation. C’était ma merde et je ne voulais pas leur en faire bouffer».
Au fur et à mesure de ses discussions avec les médecins, Alain comprend que le couperet peut tomber à tout moment et commence alors à envisager sa vie au jour le jour.
Mais son engagement au niveau associatif pour alerter sur la situation des personnes en situation de handicap en France remonte aux années 90.
«Quand je me suis rendu compte de la réalité des personnes en situation de handicap en France, j’étais atterré».
Il décide en 1993 de relier Dijon à Strasbourg en fauteuil roulant pour aller alerter sur place au parlement européen. Ce périple marque le début d’un engagement qui durera plus de 34 ans.
«Chaque fois que j’ai déclenché quelque chose, c’est venu du fond de mes tripes».
En 1994, le jour de son anniversaire, il part pour un tour de France dans un but bien précis. Tout au long de ce raid, il présente et explicite les contours d’un projet de loi, pensé quelques mois auparavant avec quatre de ses amis. Onze années plus tard, ce «pré-projet» de loi deviendra la loi du 11 février 2005 relative à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, promulguée sous le gouvernement Raffarin.
«Pour moi ce n’était pas une victoire personnelle, je dirais plutôt que l’on a amené à la prise de conscience. Toute ma vie je n’ai été qu’une goutte d’eau et ma vie a fait que j’ai rencontré d’autres gouttes d’eau avec lesquelles j’allais un temps former un ruisseau pour faire avancer les choses».
S’enchaînent alors d’autres actions de ce type dans les années qui suivent. Outre divers raids à travers la France, il réalise trois raids en fauteuil roulant à travers l’Europe respectivement en 1998, 2000 et 2008. Lors du raid de 1998, Alain est amené à rencontrer les Commissaires Européens (à la suite de cette rencontre, le projet européen Hélios est prolongé par le programme Hélios II). Il rencontre également, toujours lors de ce même périple, Vladimir Petrovsky, directeur du Palais des Nations d’alors et sous-secrétaire général des Nations-Unies. À la suite de cette rencontre, un groupe de travail est mis en place. Les travaux de ce groupe amèneront dix ans plus tard à ce que soit ratifiée par l’Assemblée Plénière des Nations-Unies, la Convention Internationale Relative aux Droits des Personnes Handicapées (CIRDPH).
En 2008, pensant être arrivé au terme de son engagement associatif, il s’engage dans la sphère politique. Il accède notamment au conseil national du Parti Socialiste mais réalise rapidement la quasi-impossibilité de concourir à une élection en tant que personne lourdement handicapée.
«Le code électoral ne prévoit pas les surcoûts liés au handicap dans les campagnes électorales, ce qui est contraire à l’esprit de la loi du 11 février 2005».
Il évoque également la situation de grande précarité dans laquelle il a évolué toute sa vie.
«J’ai 910 euros par mois pour vivre. Pendant 10 ans, le moindre centime que j’avais, je l’ai mis dans l’adaptation de mon appartement. Je n’ai pris qu’une fois en 30 ans quatre jours de vacances».
Sur ce sujet, dans sa lettre à l’Élysée, Alain Cocq envoie quelques jolis tacles à Emmanuel Macron, dont celui-ci : «Me maintenir en vie coûte chaque année entre 200 et 500 000 € voire plus, un pognon de dingue selon vos propres propos».
Au moment d’aborder ensemble le rapport de ce gouvernement aux plus précaires de la société, Alain constate amèrement : «Cette majorité est à côté de la plaque. Ils considèrent cette tranche de population comme un coût alors qu’il s’agit d’une énergie potentielle qui n’est pas utilisée. À force de considérer cette population comme des bons à rien, ils se sont dit, on va les maintenir sous cloche».
L’ultime combat
Perclus de douleurs, cloué au fond de son lit médicalisé, sauvé 9 fois sur le fil par le SAMU en deux ans, les conditions de santé et de vie d’Alain se détériorent d’année en année. Après une longue réflexion de plus de deux ans, il formalise la volonté de ne plus vouloir vivre dans de telles conditions il y a environ trois mois.
Pour lui, c’est la structuration même de ce qu’il analyse comme étant notre «culture judéo-chrétienne» qui engendre un véritable tabou sur la fin de vie en France. Sans pour autant s’interdire une forme d’optimisme pour la suite.
«D’une manière ou d’une autre, on finira par y arriver, c’est un mouvement de fond. Le problème, c’est que de tout temps, la politique à toujours eu un retard énorme vis-à-vis de la volonté du peuple».
Une dichotomie bien réelle quand on sait que, selon un sondage Ifop réalisé en 2017 par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), 95% des français seraient favorables à une légalisation de l’euthanasie.
Ce terme «d’euthanasie» est d’ailleurs farouchement récusé par Alain tout comme celui de «suicide assisté». Lui préfère parler de «soin ultime».
«La première fois qu’est apparu le terme d’euthanasie, c’était sous l’Allemagne nationale-socialiste pour parler des exterminations. Quant au terme de ‘suicide assisté’, il ne correspond pas à la réalité. Le suicide c’est réduire la vie, là on n’est pas dans cet état d’esprit, on est dans le soulagement ultime de toutes les souffrances, physiques, psychiques et même sociales d’un individu».
L’occasion d’aborder le cadre légal en vigueur sur la fin de vie en France : la loi Claeys-Léonetti qui a pris le relais en 2016 de la loi Léonetti, adoptée onze ans plus tôt. Selon cette loi, l’arrêt des traitements s’accompagne d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, ce que Jean Léonetti appelle «le droit de dormir avant de mourir pour ne pas souffrir». Jugée criminelle pour les mouvances pro-vie, Alain y voit lui «une vaste fumisterie».
«Le problème de cette loi, c’est que la sédation profonde ne peut avoir lieu que quand tu es dans une phase ultime et définitive, à une semaine de ta mort par exemple. Moi je peux traîner encore six mois, un an, cinq ans, avec des dégradations qui seront de plus en plus importantes, des douleurs qui vont exploser mais je n’aurai toujours pas le droit à la sédation profonde, mais quoi qu’il arrive je n’en voudrai pas».
Pour le quinquagénaire, cette loi revient à infliger des actes de torture et de barbarie à des êtres humains.
«On dépense volontairement de l’argent pour me maintenir en vie et me faire souffrir de plus en plus alors que je demande à partir. Il y a des gens qui voudront vivre jusqu’au bout, c’est leur droit et leur vie sera digne parce que c’est leur volonté. Moi ma volonté c’est de partir sans souffrir dans la dignité et les niveaux de douleurs que j’enregistre aujourd’hui sont inhumains».
L’Élysée a répondu au courrier d’Alain Cocq en lui proposant un rendez-vous fixé au mardi 25 août, avec Anne-Marie Armenteras (conseillère en charge des solidarités et de la santé) et le Professeur Vincent Morel, en charge du plan national Développement des soins palliatifs et accompagnement de fin de vie. Les représentants des associations ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité), Ultime liberté et Handi mais pas que ainsi que François Lambert, avocat, grand spécialiste de la loi Claeys-Léonetti, qui n’est autre que le neveu du tristement célèbre Vincent Lambert, ont également pris part à la discussion. Mais peu importe la décision du président vis-à-vis de sa requête, l’homme âgé de 57 ans ira au bout de sa démarche.
«Ça se passera sans douleurs ou dans la souffrance, ce n’est pas moi qui ai les cartes en main, c’est le Président. Est-ce qu’il va m’accorder ce droit ? Je n’en sais rien. Mais de toute façon, ma décision est prise, je diffuserai ma mort sur ma page Facebook s’il ne me donne pas le cachet».
Ce choix il l’explique très simplement.
«Les français ignorent ce qu’est une fin de vie dans notre pays. 98% des citoyens qui meurent, ne meurent pas dans le cadre d’une procédure de sédation profonde. Le but est d’imposer dans le débat public cette réalité car actuellement la dignité humaine est piétinée sur cette question».
L’idée même de la mort au sens philosophique du terme ne lui fait pas peur.
«Je suis détendu et serein. Depuis que j’ai pris ma décision, une de mes AVS m’a dit ‘Alain, ton visage irradie la paix’, ça résume tout».
Au moment de terminer cet entretien, je ne résiste pas à l’envie de savoir ce à quoi un homme ayant fait de sa vie un combat pour les autres pouvait aspirer pour les générations futures.
«Ce que je leur souhaite, c’est que le peuple mondial cesse de fonctionner selon les préceptes de l’individualisme mais se remette à penser collectivement».
Avant de quitter les lieux, je prends quelques minutes pour converser avec Cyril, AVS d’Alain depuis plus de dix années. Pour lui, qui considère l’homme de 57 ans comme son père spirituel, son combat est d’intérêt public.
«Son combat non seulement je le comprends mais je le soutiens. Ça va dans le sens de l’Histoire que nos législateurs se penchent sur cette question. C’est inacceptable pour un pays qui se dit être celui des droits de l’Homme de laisser mourir les gens comme ça dans l’indignité la plus totale en 2020. Peut-être que je ne l’utiliserais pas cette loi si elle arrive, mais peu importe, ce que je voudrais c’est que l’on puisse avoir le choix».
Pour autant, cette fin sera dure pour tout son entourage.
«On l’appréhende car ce ne sera pas simple, on va y perdre, mais j’espère que ça se passera du mieux possible pour lui».
Pour finir, en ce qui le concerne, Cyril ne se fait pas d’illusions quand à la décision à venir du Président de la République.
«Même si je l’espère profondément, je ne pense pas qu’il acceptera car ce serait ouvrir la boîte de Pandore».
N.B : La réunion qui a eu lieu hier (mardi 25 août) entre les différents protagonistes n’a donné lieu à aucune prise de décision. Celle-ci avait pour vocation une récolte complète d’informations transmises dans la foulée au Président de la République, qui statuera en son âme et conscience sur le dossier qui lui est soumis. Cette décision présidentielle devrait être rendue publique dans les jours à venir, mais peu importe son issue, nul doute que l’Histoire saura se souvenir de ce soldat pour la vie digne qui, jusqu’à son dernier souffle, n’aura trahi aucune de ses convictions.
- Propos recueillis par Léo Thiery.
EDIT du 4 septembre 2020
Un peu plus d’une semaine après son rendez-vous avec l’Élysée, Alain Cocq a reçu par écrit ce jeudi 3 septembre une réponse du Président de la République concernant sa requête. Comme nous pouvions nous y attendre, la réponse d’Emmanuel Macron est négative. Il justifie cette décision notamment en expliquant ne pas se situer au-dessus des lois. Ainsi, conformément à ce qu’il avait annoncé dès le départ, Alain Cocq cessera toute alimentation, hydratation et prise de traitements puis diffusera son décès en direct sur sa page Facebook à compter du 5 septembre à minuit.
La réponse complète d’Emmanuel Macron à Alain Cocq :