Les confettis et le champagne resteront dans l’armoire cette année. Chimère, illusion perdue… «L’Europe ne fait plus rêver» comme le dit avec si peu de lyrisme le Président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker. Ce constat amer est partagé par le Président du Parlement européen qui déclarait, il y a quelques jours, «L’Europe est une promesse, mais une promesse qui n’a pas été tenue».
Pourtant, un siècle avant les pères fondateurs de l’Union, l’idéal d’unification entre les peuples inspirait déjà les plus grands penseurs. Le 21 août 1849, dans son Discours d’ouverture du Congrès de la Paix, Victor Hugo déclarait :
«Un jour viendra où les armes vous tomberont des mains, à vous aussi ! Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie. Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. – Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples».
Il faut se rendre à l’évidence, nous ne sommes pas à la hauteur de cet idéal de paix et de prospérité entre les peuples. Est-il trop tard ? Je ne le crois pas.
Comme souvent, lorsqu’un système humain dysfonctionne, il est nécessaire de revenir aux fondamentaux.
Dans le cas présent, les principes fondateurs du modèle européen sont : prospérité, démocratie, humanisme, paix et liberté de circulation.
À l’automne 2015, l’ONG Oxfam indiquait que 123 millions d’européens, soit un quart de la population européenne, présentaient un risque réel de basculer en-dessous de leur seuil national de pauvreté. En 2008, ce même chiffre était de 116 millions.
Certes, les institutions européennes n’ont aucun pouvoir décisionnaire en matière sociale et des objectifs visant à favoriser l’accès à l’emploi ou à lutter contre l’exclusion sociale et les discriminations ont notamment été fixés dans le cadre d’Europe 2020. Cela étant, ces mesures assorties de financements sont superficielles dès lors que la notion d’emploi n’est par exemple, pas associée à celle d’«emploi de qualité», et que surtout elles s’attaquent aux symptômes et non pas à l’origine du mal.
Comme le met très bien en évidence l’analyse d’OXFAM, la pauvreté en Europe ne relève pas de l’épuisement de ses richesses, mais de leur redistribution et les politiques publiques européennes aggravent cet état de fait en privilégiant l’austérité au détriment d’emplois et de services publics de qualité.
Pour que la prospérité et la justice sociale puissent encore s’incarner dans le modèle européen, il est fondamental de privilégier la croissance, l’augmentation de recettes fiscales en faveur d’emplois et de services publics de qualité, mais également la lutte contre la fraude fiscale.
Parallèlement, même si les politiques sociales constituent des prérogatives nationales, Bruxelles doit s’impliquer dans le partage de bonnes pratiques et par ricochet, ouvrir le débat sur les initiatives comme l’allocation universelle récemment adoptée par la Finlande et les Pays-Bas.
Tant les récents attentats que la crise des réfugiés ont détruit un des derniers acquis fondamentaux du rêve européen : la liberté de circulation des personnes. Plutôt que de sous-traiter l’accueil des réfugiés à la Turquie au mépris des droits fondamentaux les plus élémentaires, il est urgent de mettre sur pied une politique d’asile commune, de créer des corridors humanitaires et de lutter contre les filières mafieuses de passeurs.
De même, en matière de lutte contre le terrorisme, la mise en œuvre d’un Parquet européen, prévue par le traité de Lisbonne, permettrait de lutter de manière coordonnée contre un phénomène transfrontalier.
Le rêve européen est né d’une envie d’être ouvert aux autres cultures, aux voisins anciens ennemis devenus amis, à ceux qui de l’autre côté du rideau invisible étaient européens par leur culture et leur Histoire. Le rêve européen, c’était promettre la paix, la prospérité et le mélange des idées et des êtres sans les frontières dessinées au fur et à mesure des guerres.
Alors ce 9 mai, je ne me satisfais ni de la résignation de Messieurs Juncker et Schulz ni des mauvaises consciences rapidement soulagées par un prix offert au Pape.
Ce 9 mai, j’ai envie d’une Europe debout, qui refuse le sort réservé aux réfugiés, parqués dans des camps en Grèce et en Turquie, une Europe debout qui refuse la mise à mort financière de la Grèce aux profits d’impératifs économiques.
Démocrates, curieux, critiques et européens, nous refusons de voir l’Europe devenir un bouc émissaire pour des campagnes politiques nationalistes à la vue courte ou de stratèges d’appareil aux ambitions donquichottesques.
L’Europe doit être protégée, défendue, elle est un rêve pour tous ceux qui fuient la barbarie, la faim et la guerre. Elle est un rêve pour ceux qui aiment la liberté. Elle est aussi le seul ensemble capable d’assurer énergie, emploi, éducation et stabilité aux peuples qui l’habitent. Elle est notre rêve commun, bien plus que notre marché commun.