L’élection présidentielle de 2022 approche à grand pas, et nous serons amenés à voter pour un programme porté par un des candidats. Ce moment est considéré comme le point d’orgue de la vie «démocratique» de la cinquième République. Pour autant, le résultat de l’élection exprime-t-il au mieux la volonté politique des citoyens ?
En votant pour un programme ou un candidat, nous déléguons le pouvoir exécutif pour cinq ans, c’est dire l’importance de cette décision.
Au-delà même de l’idée de signer un chèque en blanc pour un candidat pendant cinq ans, le mode de scrutin pose un problème qui touche à notre essence même.
L’homme est doué d’une capacité de jugement qui lui est propre, qui est faite de nuances, de zones grises, fruit de sa réflexion, entre la raison intelligente et la raison du cœur, entre l’expérience intelligible et l’expérience sensible.
Durant la campagne électorale, il est du devoir de chaque citoyen de se renseigner sur les programmes des candidats. Pour construire son opinion, l’électeur sera aidé ou influencé par des médias plus ou moins indépendants.
Après avoir accumulé des informations partielles, plus ou moins assimilées et exploitées, sur les programmes des candidats, l’électeur est appelé à se prononcer sur le choix du candidat à qui il déléguera une part de son pouvoir démocratique.
Cependant, le mode de scrutin lui propose au premier tour de ne choisir qu’un seul candidat, c’est-à-dire un seul programme. Cette binarité est dénuée de toute nuance, elle est contre nature.
Pour bien comprendre de quoi il s’agit, il est demandé à chaque électeur de voter pour un seul candidat, de le placer au-dessus des autres, ce qui revient à donner sa voix à un candidat, et à placer tous les autres au même niveau, celui de l’indifférence.
Si nous mettons de côté pour l’instant le vote blanc, lorsque nous votons, il nous est demandé de donner une note de 1 à un candidat, et de 0 à tous les autres, sans faire de différence, sans être dans la nuance, sans être en accord avec notre nature profonde.
Si nous nous plaçons dans un contexte scolastique, seuls les anges cités dans les Livres monothéistes sont dans la binarité, dépourvus de libre-arbitre, exécutant les ordres du Créateur, sans jamais s’en écarter. Le mode de scrutin nous impose la binarité propre aux anges, or nous sommes loin d’être des anges, tout comme les candidats que nous choisissons d’ailleurs…
Le fait de devoir trancher sèchement par un vote binaire sous-entend qu’un candidat concentrerait sur lui une pureté dont les autres candidats seraient dépourvus, comme si son programme était porteur d’une vérité absolue. Est-ce vraiment raisonnable ?
De façon consciente ou pas, avant d’aller voter, notre esprit place chaque candidat dans une sorte de spectre de sentiments, allant de la teinte la plus chaude (nos candidats préférés), en passant par les teintes les plus neutres (les candidats pour lesquels nous sommes indifférents), aux teintes les plus froides (les candidats pour lesquels nous sommes animés d’une forte opposition).
Pourtant, il est nous est demandé de trancher et de n’en choisir qu’un seul. Si nous nous plaçons dans un contexte mathématique, cette binarité exigée est discontinue, à l’opposé des lois naturelles régissant la vie.
Au contraire, l’homme et son environnement cohabitent dans un monde continu, idéalement lisse, sans rupture, et tout modèle qui néglige ou s’oppose à cette nature humaine, est un modèle imparfait.
Tout modèle imparfait est arbitrable, et peut même conduire au désordre, voire au chaos. Le mode de scrutin de la cinquième République est un modèle imparfait, qui repose sur une décision binaire des électeurs, une décision discontinue, brutale, et sans nuance. Ce modèle est donc imparfait, il est arbitrable, et donc non exempt de failles.
Est-ce la raison pour laquelle les médias et le monde politique actuel favorisent les hommes et les femmes aux idées binaires, et pénalisent les hommes et les femmes conscients et imprégnés du monde complexe dans lequel nous vivons ?
Pour illustrer ce qui précède, qui peut paraître pour certains théorique, nous allons essayer de prouver pourquoi le mode de scrutin est un modèle imparfait, dans son but de mesurer l’expression du vote citoyen.
Prenons l’exemple de la dernière élection présidentielle. Pour un sympathisant de gauche, il peut apprécier le programme des deux principaux candidats proches de sa pensée politique, qui étaient représentés par Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Mais en votant pour l’un, il pénalise l’autre, au profit d’Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen.
Mathématiquement, les deux candidats de gauche présentaient une colinéarité forte des programmes, c’est-à-dire que ces derniers avaient de nombreux points communs : ils tiraient tous les deux dans une même direction, avec quelques différences tout de même. Voter pour l’un, plutôt que l’autre, a eu pour conséquence de disperser les voix de gauche, et de favoriser les deux candidats finalistes.
Cette situation s’est produite aussi en 2002, avec l’élimination au premier tour du candidat officiel du parti socialiste, Lionel Jospin, qui a été pénalisé par la présence des candidats dissidents de gauche au premier tour de l’élection, Christine Taubira et Jean-Pierre Chevènement.
En outre, le mode de scrutin actuel a un autre travers, car en votant pour un candidat, non seulement nous le plaçons au-dessus des autres, mais en plus nous plaçons tous les autres sur le même plan, sans faire de différence.
Pourtant, si on se replace dans le contexte de l’élection de 2002, il est fort à parier que les électeurs ayant voté pour Christine Taubira ou Jean-Pierre Chevènement, préféraient Lionel Jospin à Jean-Marie Le Pen.
Cependant, la note finale attribuée par le mode de scrutin binaire qui est en vigueur a donné en leur nom la même note finale à Lionel Jospin comme à Jean-Marie Le Pen, à savoir 0. Cela a-t-il été le reflet réel de l’expression de leurs sentiments politiques envers ces deux hommes ?
En poussant la réflexion, si on avait demandé en 2002 à un électeur de Christine Taubira de donner une note entre 0 et 100 à tous les candidats de l’élection présidentielle, il aurait sûrement attribué une note proche de 100 à sa candidate favorite, suivie de près par les candidats de gauche (Jospin, Chevènement et Mamère). Le candidat de l’extrême droite aurait sûrement récolté auprès de cet électeur, une note plus proche de 0.
Ainsi, nous pouvons en déduire que les candidats misant sur la polarisation de la vie politique sont pénalisés dans un mode de scrutin plus nuancé, comme celui décrit dans le paragraphe précédent, alors qu’ils arrivent à tirer leur épingle du jeu dans le mode de scrutin binaire de la cinquième République. Certains ont avancé qu’il a été conseillé à François Mitterrand de pousser sur le devant de la scène le Front National, pour diviser le RPR de Jacques Chirac.
Un mode de scrutin plus proche de la nature humaine et de notre mode de pensée consisterait à prendre en compte le spectre des sentiments politiques de chaque individu, fait de nuances, allant des plus chaudes au plus froides. Il lui serait demandé d’exprimer son sentiment politique en attribuant une note entre (-100) et (+100) à chaque candidat, ou encore entre 0 et 100. Dans le premier cas, la neutralité politique se situe à 0, dans le second cas, elle se situe à 50.
Il suffit alors de récolter toutes les notes, et de procéder à la moyenne. Le candidat élu serait alors celui ayant la meilleure moyenne. Cela réglerait le problème de l’abstention et du vote blanc, puisque chacun peut exprimer son point de vue, même le plus catégorique, celui de donner la pire des notes à tous les candidats, c’est-à-dire 0, s’il pense que le système politique est inefficace dans son ensemble.
En outre, le Président élu avec une faible note, se sentira obligé de conduire une politique d’ouverture, étant donné que la note qu’il obtient est censée refléter d’une certaine manière un consentement citoyen faible autour de son programme.
Enfin, les notes obtenues par les candidats les responsabiliseront, car d’une part des notes trop basses pour tous les candidats remettront en cause la classe dirigeante dans son ensemble, voire même le besoin de changer de Constitution.
Rien n’empêche de penser à des seuils de notes en-dessous desquels le peuple serait amené à se prononcer sur la nécessité de changer de Constitution ou pas. Si le vainqueur est élu avec une note trop basse, cela donne une idée du rejet des institutions par l’ensemble des citoyens.
De nombreuses personnes et associations ont réfléchi à changer notre mode de scrutin, c’est le cas de l’association «Citoyens pour le Vote de Valeur», dont le site est le suivant : http://votedevaleur.org/co/votedevaleur.html.
Ce sujet, au combien essentiel, doit prendre la place qui devrait être la sienne, et être discuté collectivement et démocratiquement, même s’il va à l’encontre des forces politiques en place, et même au-delà. C’est une urgence, à une époque où la confiance envers les institutions est au plus bas, surtout auprès de notre jeunesse désabusée.
- Anice Lajnef