Sans en venir à crier à la dictature, cette «Adresse aux français» du 12 juillet 2021 marque un tournant dans la présidence d’Emmanuel Macron. Alors que le pays est ébranlé par une crise sanitaire sans précédent dans notre histoire moderne, le Président, dans une allocution télévisée d’une durée avoisinant les trente minutes, a profité de cet instant médiatique permis par la résurgence du virus, aidé de son variant Delta, pour dresser sa feuille de route d’ici aux prochaines élections (voire plus loin).
Découpée en trois chapitres, cette allocution fut surtout l’occasion pour Emmanuel Macron d’asseoir sa volonté de diriger ce pays d’une main de fer, la pandémie ayant bon dos pour installer un pass sanitaire visant à s’assurer de la vaccination de chacun. Paradoxal pour celui qui s’était toujours fait le chantre de la liberté individuelle. Qu’en est-il du choix de chacun ? Qu’en est-il de la responsabilité individuelle face à laquelle il aime tant placer ses concitoyens ? En souscrivant à tel système, les français acceptent de réduire un peu plus leurs libertés, combat que cette majorité mène à l’avant-garde, en atteste son agenda législatif déroulé depuis 2017. Sans chercher à rejeter la faute sur de quelconques complotistes ou anti-vaccins, cet élargissement du pass sanitaire n’est que le fruit d’une volonté liberticide dont notre locataire de l’Elysée ne s’est jamais caché.
Pourtant, à creuser dans leurs déclarations depuis le début de la crise, jamais le Président ni ses ministres ne s’étaient déclarés favorables à une vaccination, au contraire. Nombreuses de leurs déclarations télévisées allaient dans le sens inverse, préférant justement mettre les français face à leurs responsabilités individuelles. Tel revirement ne peut être le fruit du hasard. Ce n’est que la suite cohérente des tentatives de museler internautes, journalistes et autres. Sans crier à la dictature, cette action politique, celle de la menace sur sa population, n’est pas celle d’un fonctionnement démocratique sain. Si ce gouvernement n’était pas adepte de la contradiction, du revirement et de la veste flip-flap, nul doute que les français se seraient rués dans les centres de vaccination à l’ouverture de ceux-ci. Quand on tourne la tête vers nos voisins outre-Atlantique, on se rend compte qu’une parole publique libérée de toute volte-face, de tout mensonge tel que celui que nous eûmes sur les masques, permet une sortie de crise plus rapide et un lien de confiance mieux établi entre administration et administrés. Et cela sans forcément passer par une mesure aussi discriminatoire, liberticide et dont l’efficacité reste à prouver. En rejetant le pass sanitaire, et en prenant la décision d’ouvrir le pays à «la vie d’avant» à compter du 19 juillet, le gouvernement britannique démontre qu’il comprend mieux l’épidémie que notre Président, pourtant capable d’être agrégé d’épidémiologie selon certains : le taux d’incidence n’est plus le facteur déterminant pour choisir les mesures à mettre en place. Avec le vaccin, qui ne nous empêche pas d’être porteur mais protège des formes graves, les hôpitaux ne connaîtront plus les moments d’effroi des précédentes vagues. Désormais, l’immunité collective permise par le vaccin et les infections ayant déjà eu lieu permettent de retrouver ce parfum de vie qui précédait 2020, et ce, sans mettre en place un quelconque pass sanitaire, ni en menaçant ses concitoyens de leur interdire de vivre s’ils ne se faisaient pas vacciner. Il suffit simplement de placer ses concitoyens face à leur responsabilité individuelle.
Plutôt que ce dialogue apaisé, le gouvernement a préféré mettre en face à face pro-vax et anti-vax, s’assurant d’une certaine «légitimité» dans la mise en place de cette mesure liberticide, enterrant de la sorte secret médical et liberté de choisir. Cette criminalisation des indécis, population majoritaire dans les sceptiques de la vaccination, ne fait qu’accentuer la défiance vis-à-vis des vaccins. Désormais, par l’usage de la menace, le gouvernement a gagné sur les deux plans : le consentement des pro-vax à voir l’accès à différents lieux règlementés par des QR codes ; ainsi que l’assurance que les plus sceptiques se fassent vacciner dans les deux mois qui arrivent.
Toutefois, le pire se situe dans l’instauration de cette mesure dès l’âge de 12 ans. En faisant passer cette mesure comme quelque chose de normal, sans que les plus jeunes puissent s’interroger sur la pertinence de ladite mesure, le gouvernement acquiert la docilité d’une frange de la population à vivre sous ce type de mesures, au prétexte d’un impératif sanitaire qui reste encore à démontrer. Les plus jeunes consentiront aisément à la mesure, se disant que, dictée par la nécessité de freiner l’épidémie, il est normal de sacrifier des libertés. Or tel raisonnement, s’il est inscrit de la sorte dans de si jeunes esprits, peut se reproduire à l’infini sur pléthore de situations «tendues». C’est ainsi que l’on s’habitue à vivre dans des sociétés où liberté fait place à sécurité, les deux étant par nature antinomiques, le second principe appelant à sacrifier le premier.
Mais si le volet sanitaire était le plus attendu de l’allocution du Président de la République, il ne constituait en réalité qu’un tiers de son temps de parole.
Par la suite, Emmanuel Macron a voulu dresser un cap, insister sur le plan de relance et les réformes qui allaient suivre, comme si ces deux éléments suffisaient à faire miroiter un retour à la vie normale. S’agissant du plan de relance, le chef de l’Etat s’est gargarisé de recevoir 40 milliards d’euros de la Commission européenne, omettant les 80 milliards que la France donna en guise de contribution au fond de relance européen. Si clarté et franchise étaient les maîtres mots de toute politique, nul doute que ce qui passe pour une annonce salutaire deviendrait un scandale public. Ce plan de relance, d’ores et déjà mis en place, et dont le déploiement se poursuivra sur le reste de l’année 2021 ainsi qu’en 2022, est soumis à des conditions par la Commission européenne, dont celle d’engager des réformes structurelles, et plus précisément celles recommandées en 2019 et 2020.
C’est sans surprise que l’on retrouve parmi celles-ci les réformes des retraites et de l’assurance-chômage, futures responsables d’un déclassement social de nos compatriotes les plus démunis, délaissés par un système qui n’est là que pour favoriser les plus puissants. Ces deux réformes, qu’Emmanuel Macron a promis d’engager «dès que l’épidémie sera sous contrôle» pour la première et au 1er octobre pour la seconde, ne feront que précipiter l’appauvrissement de concitoyens déjà frappés en plein fouet par la crise. Si le «quoi qu’il en coûte» était nécessaire lorsque le pays était cadenassé, il le sera d’autant plus lorsque les premiers effets des confinements successifs se feront ressentir sur notre économie.
S’agissant de la réforme des retraites, le Président a justifié sa mesure (un impératif de Bruxelles) par le besoin de justice et d’égalité, les 42 régimes spéciaux étant pour lui vecteurs d’inégalité et d’injustice. Cette affirmation est fausse, les régimes spéciaux s’adaptant selon les différentes conditions d’exercices de l’emploi, certains prenant par exemple en compte la pénibilité de l’emploi. Il oublie pourtant honteusement avoir maintenu certains régimes spéciaux dans sa réforme, à commencer par celui des policiers. Est-ce ici une volonté de s’assurer d’avoir à ses côtés un bras armé ? Certainement, mais se désengager de la sorte de sa promesse de supprimer TOUS les régimes spéciaux pour ensuite le cacher le temps que les français l’oublient n’est pas un comportement digne ; il est celui d’un bonimenteur.
Concernant la réforme de l’assurance-chômage, celle-ci fut déjà retoquée par le Conseil d’État, arguant que ce n’était ni le moment, ni la façon pour le faire, exigeant du gouvernement qu’il se remette au travail plus sérieusement. En s’efforçant de la mettre en place coûte que coûte, le Président trace la voie pour son second mandat : il sera le Président de la droite la plus extrême que nous ayons connu jusqu’ici. Économiquement, socialement : tout est bon pour mettre tout le monde au travail, quelque soit la qualité du contrat proposé. La dette, qu’il a lui-même explosé, ne se remboursera pas à l’aide de ceux qui s’accaparent le plus de richesses, mais bien par ceux qui souffrent déjà de leur misère.
Par cette feuille de route, par cette priorisation des mesures mises sur le grill législatif, le chef d’État et son gouvernement nous montrent qu’en dépit des épreuves que nous venons de traverser, le social ne sera jamais une priorité, quand bien même des citoyens furent laissés sur le carreau par cette crise sanitaire. Aucune main ne leur sera tendue, aucune perche ne leur sera offerte. Même s’il souhaite faire croire à des possibilités d’emplois par une supposée réindustrialisation de la France, cette dernière est inimaginable en raison de nos engagements européens et de la politique qu’il mène depuis sa nomination en tant que Ministre de l’Economie en 2014, commencée par la controversée vente d’Alstom. Tout cet argumentaire sur un revirement souverainiste de sa politique, présenté pour un horizon 2022 (voire 2030 si on suit l’annonce de son plan d’investissement), fait peine à croire tant il est aux antipodes de la politique menée depuis 7 ans maintenant.
Par cette allocution, Emmanuel Macron a dressé un cap. Celui de la menace, de l’autoritarisme, de l’incitation forcée, mais aussi celui de la misère pour ceux qui ont le moins, de l’opulence pour ceux qui se gavent, des privilèges et du conflit de classes. En sacrifiant la liberté plus que de raison ; en déroulant un agenda aux allures de course contre ceux que Hugo appelait les Misérables ; en faisant miroiter monts et merveilles sans croire un mot de ce qu’il raconte, le Président dresse un portrait peu flatteur de sa politique à venir. A deux jours du 14 juillet, Macron nous présente son anti-1789. A moins d’un an de la présidentielle, il vient de nous présenter sa ligne pour la campagne : l’anti-liberté, l’anti-égalité, l’anti-fraternité.
Face à cet anti-République, les français devront faire front.