Mardi 22 mars, à Paris, nous avons entendu les explosions à Zaventem puis au coeur du quartier européen.
À quelques centaines de mètres ou à 300 km des lieux du drame, nous attendions fébriles des nouvelles de proches, de collègues… Combien sont-ils à prendre quotidiennement cette ligne de métro pour aller travailler ? À partir en mission ou en vacances depuis l’aéroport international de Bruxelles ?
Alors que nous sommes restés interdits et silencieux, dans l’attente des nouvelles, avec cette impression amère de déjà-vu, sans transition ni réflexion, les snipers français de la communication politique occupaient déjà le terrain médiatique.
Contre-vérités et leçons de morale
Bruno Le Roux instrumentalisait les attentats à des fins de révision de Constitution, Laurent Wauquiez sortait sa proposition d’internement des «fiches S», reculant plus encore les limites du ridicule, et Nathalie Kosciusko-Morizet appelait au rétablissement de la condamnation à la perpétuité incompressible, mesure déjà votée le 8 mars dernier à l’occasion de la réforme du code pénal.
À l’idiot populisme, s’ajoute souvent la tradition française de la suffisante et arrogante leçon de morale illustrée avec brio cette semaine par Michel Sapin (naïveté), Anne Hidalgo (communautarisme) et Eric Ciotti (les lois de la République ont laissé la place à des lois religieuses) et les nombreux experts ès terrorisme et djihadisme (les charognards autoproclamés, dont nous tairons le nom pour ne pas leur faire plus de publicité, mais aussi les «intellectuels», Gilles Kepel et Pierre Vermeren, d’ordinaire mieux inspirés, compris).
Même dans des quotidiens parfois très sérieux, on a pu lire des contre-vérités pourtant très facilement vérifiables sur «la banlieue» Molenbeek, l’historique de l’immigration marocaine en Belgique et les liens profonds entre la contrebande de haschich et le djihadisme. Comme l’a très bien mis en évidence le journaliste David Thomson, ces «experts» servent à remplir le vide des longues heures de direct sur les chaînes d’information.
Des propos qui polluent le débat public
La diffusion publique de propos dignes du café du commerce et d’informations non vérifiées est dangereuse à plusieurs titres : elle influence l’opinion durablement, dupée par la parole de soi-disant experts et par ricochet pollue le débat public dans un incessant ballet de lois émotionnelles, sans aucune justification constitutionnelle ou morale.
Par effet de saturation, la multiplicité des commentaires empêche de prendre le temps et le recul nécessaire pour permettre l’appréhension globale des phénomènes : comme le dit si justement le dernier slogan d’une chaîne d’info continue «je suis au courant», mais le citoyen n’est plus informé.
«Être au courant» du dernier fait divers ne donne en rien le contexte pour comprendre et déchiffrer l’actualité. Mais cela doit satisfaire le matamoresque et guerrier Manuel Valls, pour qui comprendre et expliquer pourrait signifier justifier.
Vilipender l’autre pour tenter de s’immuniser
Les nombreuses polémiques autour de Molenbeek reflètent parfaitement cette dérive. Tout et surtout n’importe quoi a été dit sur la commune bruxelloise. Comme si le fait de vilipender l’autre, l’étranger (le naïf et un peu arriéré cousin de province belge) immunisait la politique française de faire face à sa réalité.
Et pourtant… même Patrice Ribeiro, secrétaire général de Synergie-Officiers reconnaissait il y a quelques jours qu’il existait des dizaines de Molenbeek en France. Est-ce que la menace du djihadisme à Trappes et Roubaix est en tout point comparable à Molenbeek ? On laisse la polémique aux experts des plateaux du dimanche.
Rappelons l’essentiel. Comme dans plusieurs villes ou banlieues françaises, Molenbeek compte une population essentiellement jeune (âge moyen de 34 ans) et fortement touchée par le chômage (28%).
Bien sûr, cela n’explique pas tout, mais il faudrait être sot pour ne pas voir les schémas similaires qui conduisent des fratries de la petite délinquance à l’enrôlement dans une secte millénariste criminelle.
Qu’est-ce qui a été mis en place ?
Après les attentats de «Charlie» – et déjà lors des émeutes de 2005 – Manuel Valls avait dénoncé l’existence d’un «apartheid social» . Qu’est-ce qui a été mis en place par son actuel gouvernement pour lutter contre les discriminations à l’embauche, les contrôles aux faciès, une meilleure représentativité des personnes résidant dans les banlieues au sein des administrations ? On cherche toujours…
En Belgique, on le rappelle, alors que Molenbeek était pointée du doigt après les attentats de Paris, 400.000 millions d’euros ont été débloqués en faveur des services de police, de renseignements et de justice. Les travailleurs sociaux de la commune devront se contenter d’une maigre enveloppe de 150.000 euros alors qu’ils estiment leurs besoins à plus d’un million d’euros.
Un «belgian bashing» inquiétant
Autre réservoir de palabres médiatiques, l’inefficacité des services de renseignements. D’aucuns s’insurgent… Le pire aurait pu être évité. Les éléments d’informations dont les services disposent sont tellement parcellaires et nébuleux qu’il serait périlleux d’avoir un avis tranché sur la question.
Au niveau international, alors que le nom des victimes n’est pas encore révélé, que la sidération est forte et que le deuil se vit lentement, les critiques fusent dans un «belgian bashing» aussi surprenant qu’indécent, vu comment les différents pays tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, la Turquie ou encore la France ont pu éviter les attentats sur leur propre sol sans connaître jamais de dysfonctionnements.
Une insulte à la mémoire des victimes
Le temps de l’explication viendra sans doute, des responsabilités également. Mais pour le moment, que les donneurs de leçons passent leur chemin. Ils insultent la mémoire des victimes et la douleur de leurs proches.
En Belgique, on annonce qu’une commission d’enquête parlementaire abordera les failles des renseignements. Écran de fumée ? Curée contre des lampistes ? Dans quelles conditions, un contrôle extérieur d’accès à l’information sensible serait-il possible alors que les affaires judiciaires sont encore en cours ?
En France, depuis l’affaire Merah, les problèmes de collaboration entre les différents services de police sont mis en évidence. Près de cinq ans plus tard, quelles sont les réformes apportées par le gouvernement pour lutter contre le phénomène de guerre des polices ?
Une réflexion commune et supranationale
Les attentats parisiens et bruxellois ont mis en évidence le caractère supranational des réseaux djihadistes. Pourtant, des terroristes munis de faux passeports continuent de se déplacer en Europe par manque de coordination d’informations et d’équipements.
Le débat sur les PNR, pour lequel Manuel Valls a une nouvelle fois instrumentalisé les attentats de Bruxelles, se joue sur le ton de l’Europe contre les nations. Mais, outre que les PNR n’auraient pas empêché des terroristes, non encore enregistrés, ou même avec une fausse identité, de se mouvoir dans l’espace non contrôlable de l’entrée d’un aéroport, ce qui est surtout frappant, c’est le refus réitéré, même si irresponsable, des états de collaborer en échangeant de manière plus que bilatérale leurs renseignements, pourtant clefs fondamentales de toute lutte préventive.
Au-delà des coups de menton de nos politiques désemparés, les populations de nos deux pays attendent des réponses justes à de nombreuses questions essentielles.
Pour être efficaces, celles-ci devront être le fruit d’une réflexion commune et supranationale avec les acteurs de terrain, indépendamment des courtes échéances électorales sans quoi on retombera dans les stériles effets d’annonce.
Ces réponses ne pourront plus faire l’impasse sur les responsabilités des gouvernements de l’UE ainsi que de la Commission en matière de politique européenne de sécurité.
Prendre exemple sur la décence bruxelloise
La nouvelle religion de l’économisme ne laisse pour seul projet européen que l’idéal des moins de 3% de PIB de déficit, projet assurément plein du sens que les citoyens cherchent à donner à une entreprise de vie, projet exaltant s’il en est, qui ravale les valeurs de garantie et de respect de tous les droits fondamentaux pour tous au rang de cache-sexe et de publicité mensongère.
Projet qui a jeté des centaines de milliers, voire des millions de citoyens dans la pauvreté et l’exclusion sociale au nom du sauvetage de quelques-uns, projet qui a entraîné des coupes sombres dans tous les budgets des services publics, services sociaux de prévention, services de justice et de police, notamment de proximité, services de renseignements sous-encadrés, écoles… tous ces services à qui l’on reproche maintenant d’avoir dysfonctionné, alors qu’ils travaillent avec les maigres moyens du bord qu’on leur a laissés.
Invitons Michel Sapin et consorts à prendre exemple sur la décence de leurs voisins bruxellois. Quelques jours après les attentats, la vie a repris, sans état d’urgence. Parce que chez ces gens-là, on reprend le métro, on boit des bières et on a un sens de l’humour qui permet de rester humble.