Le mercredi 12 février dernier, l’ensemble de la classe médiatique nous apprenait que Patrick Balkany allait bénéficier d’une remise en liberté, en raison d’un état de santé qui se dégradait, après cinq mois passés sous les barreaux. Une semaine plus tard, le mercredi 19 février, c’est le suicide d’un détenu mineur âgé de 17 ans, qui était incarcéré dans une maison d’arrêt basée en Essonne, qui y faisait tristement écho en une des journaux… Une justice à deux vitesses ?
Les affaires judiciaires qui concernent le maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany, ont fait couler beaucoup d’encre lors des derniers mois. Pour rappel : l’homme politique de 71 ans, un des barons de la droite des Hauts-de-Seine, figure du parti LR (Les Républicains), avait été condamné en octobre 2019 à cinq ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt pour blanchiment aggravé de fraude fiscale ; et sa femme, Isabelle Balkany, avait elle aussi écopé de quatre ans de prison ferme, mais elle n’a jamais été incarcérée en raison de son état de santé incompatible avec une telle peine.
Le couple Balkany avait été reconnu coupable d’avoir dissimulé pas moins de 13 millions d’euros d’avoirs au fisc entre 2007 et 2014. Alors qu’il purgeait sa peine, après six audiences consacrées à des demandes de libération ou d’aménagement de contrôle judiciaire en cinq mois d’incarcération, la Cour d’appel de Paris a finalement ordonné la remise en liberté de Patrick Balkany en s’appuyant sur une expertise médicale. Celle-ci mettait en avant l’inquiétante dégradation de l’état de santé du maire de Levallois-Perret – perte de 30 kilos, grave pathologie digestive, «état dépressif marqué» – qui s’avérait «difficilement compatible avec la détention», selon la Cour d’appel.
S’agit-il là d’un traitement de faveur et qu’est-ce qui justifie cette libération ?
D’abord, d’un point de vue juridique, cette décision est tout à fait conforme au droit. Elle s’appuie notamment sur la «loi Kouchner» du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Dans un contexte général de vieillissement de la population carcérale, cette loi permet aux détenus qui présentent une pathologie engageant leur pronostic vital, ou dont l’état de santé physique ou mental est incompatible avec la détention, de voir leur peine suspendue. Cette décision étant parfaitement conforme au Code de procédure pénale, il devient dès lors difficile de plaider pour un quelconque favoritisme. Mais qu’en est-il vraiment ?
Triste coup du sort, il n’a fallu attendre qu’une semaine après la décision de la libération de Balkany pour apprendre le suicide d’un mineur emprisonné à Fleury-Mérogis (91). Condamné seulement le 5 février dernier, le jeune incarcéré de 17 ans s’est tragiquement donné la mort dans sa cellule par pendaison. Les suicides des mineurs en détention sont, fort heureusement, inhabituels : on en compte un par exemple sur l’ensemble de l’année 2019. Mais cela ne doit pas devenir banal, mourir en prison ne doit jamais être perçu comme quelque chose d’anodin, d’autant plus dans un État de droit.
Une violente réalité à laquelle sont confrontés les détenus aujourd’hui en France
Il faut rappeler ici cette donnée alarmante : depuis le 1er janvier 2020, ce ne sont pas moins de 21 prisonniers qui ont mis fin à leur jour en France ; cela traduit une hausse significative par rapport à la même période l’année dernière où l’on comptait 11 suicides. Il faut dire que les chiffres sont constamment à la hausse ces dernières années, un récent rapport de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) indiquait que 131 personnes s’étaient donné la mort dans les prisons françaises en 2018, ce qui représente une hausse importante par rapport à l’année précédente marquée par 117 suicides. Selon l’Observatoire International des Prisons (OIP), un détenu meurt en moyenne tous les deux jours dans les geôles de France, et environ deux tiers sont des suicides. Dernier élément révélateur des conditions de détention, le taux de suicide est en moyenne sept fois plus élevé qu’en liberté.
Selon l’une des dernières grandes enquêtes portant sur la santé psychologique des détenus en France, l’«Étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues en prison», réalisée entre 2003 et 2006, la vie carcérale est loin d’être bénéfique au niveau mental : notons par exemple que, selon cette enquête, 35% à 42% des prisonniers sont considérés comme «manifestement ou gravement malades» ou encore que 8 hommes détenus sur 10 et plus de 7 femmes sur 10 «présentent au moins un trouble psychiatrique».
Pour en revenir au cas Balkany, avons-nous affaire à une forme d’injustice ? Selon l’un des représentants de l’Observatoire International des Prisons (OIP), François Bès, la disposition qui consiste à libérer des prisonniers en raison de leur état de santé reste malheureusement peu appliquée en France ; il poursuit en dénonçant ceci : «un détenu inconnu défendu par un avocat commis d’office aura moins de garanties d’être libéré pour un motif médical qu’une personnalité représentée par un ténor du barreau». Il paraît évident qu’une personnalité aussi bien placée que Patrick Balkany ne pouvait périr en prison, la couverture médiatique était bien trop forte et c’est tout le système carcéral français qui aurait pu (enfin ?) être remis en question.
Au final, le problème n’est pas que Patrick Balkany sorte de prison pour des raisons médicales, bien au contraire. Nous sommes dans un État qui se doit de respecter les droits de l’Homme et l’on exige de la justice qu’elle fasse preuve de clémence dans certaines circonstances particulières. Le problème majeur, c’est l’incarcération qui rend malade. Le problème réside dans le fait qu’on laisse d’autres prisonniers gravement malades dans ces conditions parce qu’ils ne bénéficient pas de la couverture médiatique de Balkany ni de son réseau d’avocats. Se dirigera-t-on un jour vers une remise en cause de cette justice punitive contre-productive et déraisonnée et vers une réelle politique de réinsertion des condamnés ?
Lucas Da Silva