L’objet de cet article est d’expliquer simplement la logique bancaire du capitalisme financier et de présenter une logique alternative bénéfique pour le bien commun et la planète. L’État doit piloter l’économie non pas en fin de cycle par des politiques fiscales arbitrables, mais en amont en agissant sur les règles de crédits.
Une des explications pour légitimer les intérêts lors d’un prêt est la fameuse théorie de «prime de risque» :
– Je te prête 100, et tu me rends 105 dans un an.
– Pourquoi 105 ?
– Parce que le futur est incertain, j’estime qu’il y a 5% de chance que tu ne puisses pas me rembourser.
Selon cette théorie économique, la somme rendue doit toujours être supérieure à 100 car une probabilité est toujours positive.
Cette théorie tombe à l’eau aujourd’hui dans un contexte de taux négatifs : des États et des multinationales rendent moins de 100 quand elles empruntent.
– Je te prête 100, et tu me rends 98 dans un an.
– Pourquoi 98 ?
– Parce que… euh… mince alors, je sais pas…
Il faut alors chercher une autre explication. Je vais vous en proposer une.
Imaginons que celui qui prête de l’argent cherche l’intérêt économique de la société (dans une logique capitaliste). Son but est de maximiser la croissance lorsqu’il octroie les crédits.
Je prête 100 à une personne ou à un projet, et je m’attends à ce que ce projet crée un maximum de croissance.
– Je te prête 100, et tu me rends 105 dans un an.
– Pourquoi 105 ?
– Parce que les conditions économiques actuelles me font penser qu’on peut cibler sur 5% de croissance.
Cette théorie fonctionne aussi quand les perspectives économiques sont négatives, et qu’on veuille alors imposer des taux négatifs.
– Je te prête 100, et tu me rends 98 dans un an.
– Pourquoi 98 ?
– Parce que c’est la merde totale. Si tu me rends 98 c’est déjà bien.
Maintenant, est-ce qu’en ce moment tout le monde emprunte à des taux négatifs ? Non, sinon vous le sauriez.
Quand une PME emprunte à 2%, et qu’une multinationale emprunte à un taux négatif de 1%, c’est que le banquier estime que la PME présente un projet plus incertain. Dans ce cas, c’est un mélange des deux théories exposées plus haut qui s’applique.
Cette façon de réfléchir des banquiers est néfaste à plusieurs égards. Et peut être améliorée pour le bien commun.
Imaginons qu’un comité économique sous l’égide de l’État donne des objectifs de croissance aux acteurs économiques (banques et emprunteurs).
Par exemple 2% de croissance par an. Puis impose des malus et des bonus de taux non pas en fonction de votre profil de risque mais selon l’intérêt que présente votre projet pour le bien commun, pour l’INTÉRÊT général (et non pas l’intérêt de la banque).
Si vous investissez dans des activités polluantes vous avez un malus de 3% et donc vous devez emprunter à 5%.
Autrement dit, votre projet est tellement néfaste pour le bien commun que vous devez rapporter 5% de croissance pour que cela soit acceptée par la Nation.
Imaginez que votre projet soit écologique ou humanitaire (énergie renouvelable ou aide aux personnes fragiles). Dans ce cas, par décret, votre projet est assujetti à un bonus de 4%. Vous empruntez alors à -2%. On vous demande de rendre 98 au lieu de 102 pour vous encourager !
Imaginez maintenant une banque qui veut s’allouer une part du gâteau pour spéculer en bourse. On peut imaginer un taux à 20%. Idem pour une multinationale qui emprunte pour acheter ses propres actions : il n’y a aucun intérêt pour l’économie réelle, et le taux peut être aussi de 20%.
Et la prime de risque dans tout ça ? Il est illogique de pénaliser un projet en y imposant des taux d’intérêts élevés parce qu’il est trop risqué. S’il est risqué à 2% de taux d’intérêts, il le sera encore plus à 6% !!
Dans ce cas, la logique bancaire doit être binaire. La banque doit prendre la responsabilité de prêter ou de ne pas prêter. Ni plus, ni moins.
Qu’en est-il des bonus/malus des taux d’intérêts pour les crédits immobiliers ? Cela doit dépendre si c’est un premier logement ou pas, si c’est pour la résidence principale ou pas, si c’est un logement neuf ou pas, si le projet immobilier est écologique ou pas, social ou pas, etc…
Et comment rémunère-t-on les banques dans ce système ? Par des frais fixes qui peuvent dépendre de la réussite relative des projets. Les banques les plus performantes dans leur choix de projets pourront aussi octroyer plus de crédits dans le futur.
Ainsi, il devient clair que les banques n’investissent pas leur argent, mais octroient des crédits avec de l’argent public. Elles n’ont pas à supporter les pertes en cas de crises, ni à s’accaparer les profits en tant de croissance. Les banques retrouvent ainsi leur rôle d’intermédiaire, de relais entre l’État et l’économie réelle !
La croissance ciblée est une décision éminemment politique. Idem pour les bonus/malus de taux d’intérêts selon la catégorie d’activité. La transparence s’impose et il faut mettre en place des règles strictes pour éviter toute interférence des lobbies.
Ainsi, avec cette logique exposée dans cet article, le taux d’intérêt prend une nouvelle dimension. Les mots changent alors de sens : l’intérêt n’est plus celui de la banque et de la finance mais il devient l’intérêt du bien commun.
Encore faut-il qu’il y ait de la volonté populaire pour pousser les dirigeants politiques à agir et à mettre en place ce genre de proposition…
Anice Lajnef, Mars 2020, initialement publié dans le club de Mediapart