Jacques Chirac est mort.
Au-delà de l’animal politique français qui a modelé la vie politique hexagonale, il laisse l’héritage d’un homme d’État à la stature internationale et l’image d’un véritable animal diplomatique.
Inspiré par la philosophie gaullienne, Jacques Chirac Président n’a eu de cesse de défendre la position particulière de la France dans le concert des nations. Derrière le bulldozer de la politique, se cachait un fin diplomate, amoureux des cultures et des civilisations du monde.
Une certaine idée de la diplomatie à la française
Le début de son premier mandat est marqué par la reprise des essais nucléaires, qui valent une campagne internationale de protestations contre la France, mais qui ont permis de montrer la détermination de la France de moderniser et sécuriser son arme de dissuasion. Après l’isolement, Jacques Chirac met fin aux essais nucléaires et ferme le centre de Mururoa. Le message était clair dès ces premiers mois : la France était de retour sur le devant de la scène internationale, et Chirac alliait les actes à la parole, en optant pour une politique interventionniste en Yougoslavie.
Nation historique aux grandes ambitions, c’est sans doute au Proche et au Moyen-Orient que la politique internationale de Jacques Chirac a marqué le plus les esprits. Tout le monde se souvient de la remontée chaotique de la via Dolorosa à Jérusalem, où Chirac, furieux, sermonne les forces de sécurité israéliennes qui l’empêchaient de rencontrer les habitants. Une anecdote qui souligne la position conciliatrice française dans la résolution du conflit israélo-palestinien, mais aussi l’intérêt de Chirac pour la cause palestinienne, seul dirigeant occidental a en être le porte-parole malgré les échecs successifs des négociations de paix. Ce soutien diminua avec le temps, la fin du deuxième mandat étant davantage consacrée à la réconciliation avec Israël et les États-Unis.
L’opposition à la guerre en Irak
Jacques Chirac n’a pas pu empêcher la guerre pensée et voulue par les néo-conservateurs américains, mais l’alerte et le refus français de participer à une coalition internationale contre l’Irak et Saddam Hussein a été le point culminant de la diplomatie élyséenne.
Le constat lucide du Président français s’est vérifié : la guerre d’Irak a été le fiasco annoncé, plongeant la région et le monde dans davantage d’instabilité, relançant le terrorisme international et accentuant le fossé et l’incompréhension entre le monde arabe et le monde occidental.
Cette résistance française utile à l’hégémonie américaine a permis de faire entrer le monde dans un configuration multipolaire, là où certains avaient voulu arrêter l’Histoire.
La France a été garante du droit et des institutions internationales, là où d’autres grandes nations se sont comportées en bandits.
Notre maison a-t-elle brûlé ?
Jacques Chirac, c’est aussi l’homme du discours sur notre maison qui brûle au sommet de la Terre de Johannesburg en 2002. Un discours précurseur sur l’alerte climatique, qui a conduit à une accélération de la prise de conscience, sans pour autant multiplier les actes forts contre le réchauffement climatique. La diplomatie écologique est hélas, trop souvent déclarative, comme en témoignent le peu de pays respectueux des engagements pris lors de la COP21.
Le contorsionniste européen
Rarement un homme politique aura aussi radicalement changé de position au cours de sa carrière sur la construction européenne !
De l’appel de Cochin en 1978, où Jacques Chirac condamne une Europe supranationale à la solde des intérêts germano-américains, au référendum de 2005, le candidat permanent devenu Président passera du souverainisme gaulliste à un européisme militant en fervent promoteur du moteur franco-allemand.
De «l’Europe mollusque» à la «grande aventure» de la constitution européenne, Jacques Chirac aura incarné les divisions de la société française sur le projet européen, étant parfois loin de son camp politique ou allant jusqu’à renier son héritage gaulliste. La victoire du NON au référendum pour une constitution européenne de 2005 marque sans doute la fin de la carrière politique de Jacques Chirac et son retrait progressif de la scène internationale.
Il restera de lui l’image d’un homme d’État, soucieux des équilibres géopolitiques, respectueux des cultures et du dialogue, et porteur d’une certaine diplomatie de rupture. Et finalement, bien peu de ses successeurs auront repris l’héritage diplomatique de ce gaulliste contrarié, qui referma le XXème siècle.