Greta Thunberg se définit comme la messagère des thèses scientifiques du GIEC. Au-delà de sa parole, irréfutable, la jeune activiste est devenue une icône planétaire, miroir de la mauvaise conscience et incarnation du monde-plateforme.
Il n’est pas nécessaire de tenter de commenter ce que dit l’enfant irascible de la révolte écologique : il y a d’abord une contradiction étymologique qui rebute le linguiste attaché au sens de la grammaire. En effet, par définition, une «enfant» c’est une petite personne qui n’est «pas dans la parole, qui est privée de parole». Le mot dérive, mais on l’oublie, par emprunt étymologique du latin classique infantis «qui ne parle pas», terme où l’on reconnaît la racine fari «parler». Être enfant, c’est donc être dans l’âge où l’on écoute et où l’on n’est pas écouté. Quel renversement de situation quand on regarde les images récentes de Greta à l’ONU !
Puisque nous ne pouvons pas parler de ce qu’elle dit, intéressons-nous alors à ce que l’on nous donne à voir. Et à bien la regarder, il y a chez Greta Thunberg quelque chose d’encore plus frappant, qui ne parle pas mais qui fait sens.
À travers l’expiation feinte des leaders, ce sont les peuples qui sont mis en scène en train d’être sermonnés
Sa révolte légitime est paradoxalement invalidée par le crédit que les adultes lui apportent : ils se mettent en scène en train d’écouter ses reproches, comme les pénitents noirs d’autrefois se mettaient en scène en train d’expier – avec la certitude qu’une fois l’expiation passée, ils seraient encore plus forts, encore plus légitimes et mieux écoutés. Mais il y a une différence entre les pénitents de l’ONU et les pénitents médiévaux : c’est que les pénitents d’autrefois expiaient pour eux-mêmes, alors que les politiques expient pour nous. C’est un tragique à l’envers, où à la fin, c’est le public venu assister à la mort de Phèdre qui est exécuté. À travers l’expiation feinte des leaders, ce sont les peuples qui sont mis en scène en train d’être sermonnés. Ces hommes et ces femmes à qui l’enfant adresse ses remontrances ne sont rien d’autres que nos représentants, au sens théâtral de la chose. Ils nous représentent, au sens où «ils nous mettent en scène», en train de nous faire gronder à longueur de journée de sorte que nous serons bien en peine de refuser la politique qu’ils voudront imposer au nom du simulacre puisque «nous y étions représentés». N’ont-ils pas trouvé là le moyen de demander au peuple de supplier pour plus de taxes ? On n’ose le croire. Mais à voir le succès grandissant de ces injonctions à payer pour nos crimes sans discuter, il y a de quoi douter.
Et plus la pièce avance, plus il apparaît que le discours résumé en deux lignes par les médias laisse la place très rapidement à des images dont beaucoup ont déjà commenté le caractère iconique. Mais les chroniqueurs ont tort d’orienter leur analyse du côté de l’image sainte ou magique, car l’enjeu est ailleurs. Que voit-on en effet dans ces images ? Y voit-on une enfant avec ses amies ? Une enfant avec ses parents ? Une enfant avec ses idées ? Une croisée du climat ? Une expression d’une sainte dévotion ?
Le visage de Greta, émoticône politique, est un marqueur sémiotique, un like de la pensée globalisée
Non, rien de tout ça : on y voit un visage. Un visage seulement. Un visage expressif, très expressif, qui alterne sans cesse les traits du courroux et ceux de la détente juvénile. Ces deux images se succèdent dans la presse en contrepoint de titres ou d’images qu’elles semblent commenter. Comme les émoticônes semblent donner un visage universel à certains sentiments très primaires, les portraits de l’enfant alternent pour donner un visage d’approbation ou de désapprobation à des idées très simplistes que personne ne prend la peine de lire. Il suffit de constater que «la petite maman» très raisonnable a donné ou non son accord à ce qui est dit pour indiquer l’orientation du jugement sur la scène politique. Trump passe-t-il sur scène ? Aussitôt sort le visage courroucé de l’enfant. Tel acteur soutient-il la juste cause ? Le visage radieux est alors exhibé à la foule en liesse qui condamne tout discours de la complexité, préférant relayer le sticker émotionnel de sa pensée.
Elle est l’image même du maternalisme : une présence silencieuse, qui approuve ou désapprouve les agissements du monde à qui elle fait la leçon. Elle est à elle toute seule une sémiotique en acte de l’émoticône qui prend en charge une forme de communication universelle fondée sur l’ostentatoire, comme les réseaux sociaux offrent en permanence à travers le like ou le dislike les moyens d’exprimer non pas une idée, mais une adhésion à un clan dont les algorithmes tracent en permanence les contours : j’adhère ou je réfute.
Le visage de Greta, émoticône politique, est un marqueur sémiotique, un like de la pensée globalisée : tu souris avec elle ou tu ne souris pas contre elle. De là découle ce sentiment partagé, en la jugeant en bien ou en mal, de participer à une guerre idéologique plus grave de conséquences que ce que les discours laissent entendre.