Ce 1er février, un sommet franco-belge extraordinaire est consacré à la lutte contre le terrorisme. Au vu des mesures adoptées depuis le 13 novembre dernier par nos gouvernements respectifs en la matière, on imagine aisément être les spectateurs impuissants d’une énième opération de communication sécuritaire.
Les États démocratiques ont le devoir d’assurer la sécurité de leur population ; nous ne mettons pas en doute cette évidence habilement rabâchée par nos responsables politiques pour justifier les atteintes graves et très souvent inutiles aux libertés fondamentales et à la séparation des pouvoirs, socles de nos démocraties.
France et Belgique rivalisent
Des milliers de personnes ont manifesté partout en France ce week-end pour s’opposer au projet de réforme constitutionnelle et à la prolongation de l’état d’urgence. Depuis sa mise en place, les assignations à résidence et perquisitions sur ordre préfectoral, en dehors de tout cadre judiciaire, se sont multipliées. Chaque jour, des citoyens sont contrôlés ou arrêtés arbitrairement sur base du faciès, d’une opinion politique ou d’une croyance religieuse, avec pour résultat quatre enquêtes et une seule mise en examen en lien avec une entreprise terroriste.
Sur le terrain de la dérive sécuritaire, la Belgique peut se targuer de rivaliser avec sa voisine. Les 18 mesures anti-terroristes prévues par le gouvernement Michel prévoient non seulement l’extension de la garde à vue et les perquisitions nocturnes, mais surtout un contrôle massif des citoyens grâce au fichage des déplacements internationaux ou à l’enregistrement des plaques minéralogiques.
En dépit des récents échecs à prévenir les attentats terroristes, nos gouvernements persistent dans leur acharnement à récolter toujours plus d’informations - au risque assumé de porter atteinte à la vie privée des citoyens – plutôt que d’en contrôler la pertinence.
Toujours plus de postes pour la police, la gendarmerie et les douanes
De l’analyse de plusieurs experts, il apparaît extrêmement difficile de déterminer, par les techniques habituelles de surveillance, le degré de radicalisation d’un individu. Dès lors que la majorité des jeunes en voie de radicalisation vivent en marge des infrastructures, il est fondamental d’occuper les sentiers privilégiés par les recruteurs au djihad par la présence de travailleurs sociaux ou de la police de proximité. Grâce à leur expérience quotidienne du terrain, ceux-ci sont les mieux armés à détecter les comportements suspects et à en référer aux services compétents.
Après les attentats du 13 novembre dernier, d’importants moyens publics ont été débloqués dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Une fois encore, l’obsession du faire sécuritaire a guidé l’affectation de ceux-ci à la répression et à la récolte effrénée de renseignements non-ciblés plutôt qu’à bâtir une politique coordonnée et pérenne de prévention du phénomène. En France, le président Hollande a annoncé la création de 5.000 emplois supplémentaires de policiers et gendarmes, à la police aux frontières, et plus généralement, à la sécurisation générale du pays ; 2.500 postes supplémentaires pour la justice, notamment «dans l’administration pénitentiaire», et 1000 postes supplémentaires pour les douanes.
En Belgique, une enveloppe de 400 millions d’euros sera prochainement répartie entre les différents services fédéraux et locaux actifs en matière de sécurité et de répression du terrorisme.
Quid de la prévention ?
Si, en France, les crédits attribués aux éducateurs de rue ont été récemment rabotés dans de nombreuses villes, la commune belge de Molenbeek, mondialement stigmatisée comme matrice de djihadistes, recevra gracieusement une allocation supplémentaire de 250.000 euros obtenue dans le cadre du Plan local de prévention et de sécurité, alors qu’elle évalue à un million ses besoins en prévention, comme le rappelle «Le Vif» du 29 janvier. Sur un territoire de pas moins de 30.000 jeunes, seuls 20 éducateurs de rue sont actuellement en poste.
Tenter de contrôler un phénomène sans essayer d’en comprendre les origines relève de la gageure. C’est pourtant la posture de nos responsables politiques, engoncés dans l’ornière sécuritaire, qui préfèrent, cyniquement mais criminellement, accuser d’excuser le terrorisme ceux qui essaient de donner des clés pour comprendre la société qui, en partie, a permis, voire produit, les conditions de réalisation de ces actes terroristes.
Le facteur de la relégation sociale
Expliquer le phénomène de radicalisation de manière univoque par la pauvreté serait certes intellectuellement réducteur. On peut néanmoins penser que la relégation sociale (discrimination à l’emploi, au logement…) et les contrôles au faciés participent de la haine d’une société dans laquelle on n’a pas sa place.
Selon un testing réalisé en 2013 et 2014 et publié en octobre 2015 par l’Institut Montaigne, un candidat perçu comme musulman pratiquant a deux fois moins de chance d’être convoqué en entretien d’embauche qu’un catholique pratiquant (10,4 % contre 20,8 %). L’écart est encore plus grand pour les hommes (4,7 % contre 17,9 %).
On imaginera facilement que ces écarts révélés par l’enquête réalisée avant les attentats de Paris sont aujourd’hui révisables à la hausse.
Parallèlement, toujours en France, la fondation Abbé Pierre vient de publier des chiffres accablants : «3,8 millions de personnes souffrent de mal-logement ou d’absence de logement personnel, et près de 12 millions de personnes sont touchées à des degrés divers par la crise du logement».
Face à cet état d’urgence sociale, nos valeureux gouvernements sont beaucoup plus discrets. Et les moyens n’existent, paraît-il, pas.
Nous appelons nos gouvernements à leurs responsabilités. Les atteintes répétées aux libertés fondamentales et à l’État de droit ne permettront pas d’arrêter le terrorisme. Elles continueront néanmoins à renforcer la stigmatisation d’une partie de la population et, par conséquent, à élargir le champ d’action des recruteurs au djihad. Seule une politique mêlant de manière équilibrée sécurité et prévention permettra d’agir à long terme pour éviter la contagion de la violence djihadiste au sein de nos États.