Entretien avec Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et premier vice-président du groupe Les Républicains à l’Assemblée Nationale
Vous avez été le député qui a alerté sur le cas Alstom, cette vente qui aurait trahi les intérêts nationaux, est-ce que vous pouvez nous dire un mot sur l’affaire Alstom telle que vous l’avez vu ?
La vente d’Alstom à l’américain General Electric, déjà au sens politique, il y a un vrai sentiment de trahison nationale, puisqu’Alstom c’est l’entreprise qui faisait les turbines de nos réacteurs nucléaires et qu’en vendant cette entreprise aux américains, on a perdu notre souveraineté dans le secteur de l’énergie nucléaire. On était l’un des 5 ou 6 pays au monde capable de construire des centrales nucléaires intégralement, aujourd’hui on est plus capable de le faire seul. Donc c’est une trahison politique.
Au terme de la commission d’enquête, ce que j’ai découvert, c’est que Marianne s’est amusé à éplucher les MacronLeaks et a révélé un certains nombre de financeurs de la campagne électorale d’Emmanuel Macron. Un certain nombre de noms correspondaient à des gens qui sont intervenus dans cette vente. Ce sont en général des entités de type, banques d’affaires, cabinets de conseils juridiques ou autres, qui ont engrangé des millions d’euros. Donc effectivement on est quand même tenté de voir un retour entre l’intérêt qu’ils ont eu à participer à cette vente et leur mobilisation pour le financement de la campagne du président ensuite. Ça me paraît effectivement susceptible de constituer une infraction pénale.
L’OCLCIFF (Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales) et le parquet national financier ensuite s’en sont saisis, est-ce que vous savez où en est l’enquête aujourd’hui ?
Non malheureusement je n’ai aucun moyen de savoir. Mais ce qui est intéressant c’est qu’elle n’a pas été classée sans suite dans les trois mois. J’avais saisi le procureur de la République de Paris parce que j’avais un autre aspect de signalement et le parquet de Paris l’a transmis au bout de six ou huit mois au parquet national financier. C’est donc que le début d’enquête mené par l’OCLCIFF leur a paru digne d’un minimum d’intérêt.
Il y a un nouveau cas qui se fait jour, c’est celui de l’OPA (Offre publique d’achat) de Veolia sur Suez, est-ce que là aussi, il n’y a pas un problème de mélange des genres avec cette volonté de démanteler ENGIE et d’éviter qu’il y ait des champions nationaux et européens ?
La difficulté dans ce contexte c’est qu’on a un président de la République qui continue de se comporter comme s’il était encore banquier d’affaires. Quand il était ministre de l’économie, il a organisé les fusions que l’on connaît Alstom/General Electric, Technip vendu à l’américain FMC, il a entériné la vente de Lafarge ainsi que celle d’Alcatel à Nokia. Quand je dis qu’il a eu un rôle dans ces affaires je ne le dis pas à la légère. Parce qu’il s’agit en réalité de ventes qui ne peuvent se réaliser que si elles ont la signature du ministre de l’économie en place, qui autorise parce que ce sont des intérêts nationaux qui sont en cause et qui sont censés être protégés.
Depuis qu’il est président de la République, il a ouvert de nouveaux chantiers dans des secteurs où l’État est actionnaire. Ça a été la privatisation annoncée d’ADP, heureusement ça a tourné court. Ça a été la scission d’EDF qui de toute évidence est un projet qui n’a pas pu naître dans l’entreprise, ça on le sait car le président d’EDF a dit «ce n’était pas mon projet». C’est une demande du président de la République et c’est très clairement un projet qui n’a pu naître que dans le cerveau d’un banquier d’affaires. Là effectivement on a la scission, ce qu’on nous présente aujourd’hui comme une volonté d’OPA de Veolia sur Suez. En réalité, il faut remettre ça dans le contexte, c’est une scission d’ENGIE.
ENGIE est une entreprise dont l’État est l’actionnaire de référence, issue de la fusion – il y a une quinzaine d’années sous Jacques Chirac – de GDF et Suez. Ici, c’est le président de la République qui a fait part, sans aucun mystère, de sa volonté de scinder ce groupe ENGIE en plusieurs entités. C’est sur la place publique puisque Madame Kocher, la dirigeante du groupe ENGIE n’a pas été renouvelée à son poste pour la simple et bonne raison qu’elle s’opposait à ce démantèlement d’ENGIE.
Donc pour revenir à votre question, l’OPA de Veolia s’inscrit complètement dans ce cadre. Veolia y va parce que Veolia sait que l’État actionnaire va le laisser dépecer et démembrer ENGIE. Ce qu’il y a d’un tout petit peu gênant et qui fait aussi mélange des genres c’est que le candidat que Veolia présente au rachat des activités «eau» de Suez est un fond d’investissement dont le propriétaire est quelqu’un qui s’est engagé très fortement dans la campagne d’Emmanuel Macron. Il a d’ailleurs déjà participé à un débat en son nom, sur les partenariats publics/privés. Il aurait également pu faire une table ronde sur les conflits d’intérêts. On est encore une fois dans ce type de mercato qui paraît assez gênant parce que l’intérêt national semble passer au second plan.
La fusion Veolia Suez si elle se fait fera de la casse sociale dans notre pays, c’est une évidence. Aujourd’hui ce sont deux groupes géants, il n’y a aucune urgence à ce qu’il y ait une fusion. L’un fait 27 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, 160 000 salariés dans le monde. L’autre fait 18 milliards et 80 000 salariés de mémoire. Veolia a déjà annoncé 500 000 millions d’euros de synergie, ça veut dire que demain il y aura un plan social qui touchera probablement plus d’un millier de salariés dans les secteurs de la recherche et du développement, l’un des deux sièges social sera devenu inutile, tous les réseaux commerciaux etc…
Je pense que dans une période où tant de plans sociaux s’annoncent dans notre pays avec la crise que l’on connaît, ce projet n’a aucune raison d’être et est très mal venu.
Est-ce que ça ne pose pas une question aussi en terme de politiques publiques, on parle beaucoup des territoires sur la gestion de l’eau, quand on voit la crise de l’eau qu’il y a en Martinique notamment, est-ce qu’il n’y a pas non plus un souci de gestion du bien public qu’est l’eau ?
Oui c’est dommage de déstabiliser ce marché. Le fond d’investissement qui rachètera les activités «eau» de Suez n’aura pas de toute évidence la même connaissance dans le monde de la gestion de l’eau. Surtout à un moment où on veut faire de la relance «verte», et bien finalement on va neutraliser nos deux entreprises leaders sur ce sujet-là pour des questions de restructuration interne, qui font qu’elles seront beaucoup moins disponibles pour se mobiliser sur les chantiers de relance même au niveau européen. Je ne suis peut-être pas totalement objectif dans ma présentation, mais cette opération me paraît vraiment inopportune et si Monsieur Macron l’a conçue avant la crise du Covid, il devrait tenir compte des circonstances. Il va y avoir suffisamment de plans sociaux et de méga plans sociaux à gérer dans notre pays pour que l’État actionnaire n’en provoque pas un supplémentaire à l’avance.
Un dernier mot sur le haut commissariat au plan mené par François Bayrou, qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce qu’il existe ou est-ce que c’est encore une fois de la communication ?
De toute évidence c’est la nécessité de trouver un boulot pour Monsieur Bayrou, il fallait le satisfaire. Vous le savez, LREM a perdu sa majorité absolue à l’assemblée nationale donc le MODEM devient un peu plus encombrant. Commencer à avoir besoin de s’appuyer sur le MODEM c’est dangereux car ce ne sont pas des alliés fiables, Nicolas Sarkozy est bien placé pour le savoir. Donc effectivement, je crois que Monsieur Macron a commencé à avoir peur et c’est au moment où il n’a plus de majorité à l’assemblée nationale qu’il y a un besoin impératif et urgent de trouver un emploi à Monsieur Bayrou, je pense que ça ne va pas au-delà. Ça me fait un peu de peine à titre personnel parce que je crois quand même à la nécessité pour l’État d’avoir cette vision à long terme, cette vision stratégique mais je pense que Monsieur Bayrou est le plus mal placé pour le faire.
- Entretien réalisé par Alexis Poulin.