Lettre ouverte à Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement
Chère Sibeth Ndiaye,
Les résultats n’étaient pas encore définitifs, hier à la fin du scrutin européen, que déjà face au score des Verts, sur le plateau de France 2, vous n’hésitiez pas à définir votre parti LREM comme «un parti qui a l’écologie comme priorité».
Seriously ?
Je comprends l’agilité de caméléon nécessaire à tout animal politique qui se bat dans l’arène électorale, mais une telle hypocrisie affirmée avec une telle désinvolture a quelque chose de sidérant.
Chère Madame, est-il vraiment nécessaire de vous rappeler les cadeaux faits par le Président Macron et son gouvernement au lobby des chasseurs ? Est-il nécessaire de rappeler le refus d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate, ou le délai de trois ans accordé aux producteurs de ce pesticide néfaste, ou encore la décision de placardiser le CNPN (Centre National de Protection de la Nature) ? On peut aussi parler du soutien indéfectible au nucléaire, malgré la dette colossale d’EDF (37 millions d’euros) et les faramineux coûts de rénovation du parc nucléaire (100 millions d’euros ) prévus d’ici 2030. La future nationalisation partielle d’EDF pour éponger cette somme fera peser ce coût sur la dette publique, et donc sur les citoyens. Et vous cautionnez ceci quand bien même des centaines de scientifiques annoncent que les mines d’uranium, indispensables à cette forme d’énergie, seront épuisées d’ici 2040.
Bonjour la vision à long terme !
Ou alors vous préférez peut-être que l’on discute de la suppression des aides au maintien de l’agriculture biologique, aujourd’hui plus que jamais nécessaire si on veut véritablement motiver nos agriculteurs, déjà en difficulté, à opérer cette transition fondamentale pour l’avenir de la planète. Surtout quand on sait que parmi les principaux responsables de l’émission de gaz à effet de serre, et donc du réchauffement climatique, on retrouve l’agriculture intensive et l’élevage industriel.
L’agriculture intensive épuise nos minces ressources en phosphore (90% des extractions sont dévolues aux engrais à base de phosphates).
Passer au bio n’est donc pas un choix, mais une nécessité et il faut TOUT mettre en oeuvre pour réussir ce pari.
En Italie, en 2018, 15% de la surface agricole cultivée était déjà destinée aux cultures biologiques.
Le plan Ambition bio 2022, avec son investissement de 1,1 milliard d’euros et son intention de passer de 6,5% à 15% de surface destinée au bio est donc… peu ambitieux.
Supprimer les aides au maintien n’a certainement pas été une décision judicieuse, surtout quand on voit «en même temps» la souplesse accordée aux géants de l’agroalimentaire.
J’aime toujours à rappeler que Lactalis n’a pas publié ses comptes pendant longtemps, sans que le ministre de l’Agriculture ne s’en offusque plus que cela.
Ma chère Sibeth Ndiaye, vous avez montré à maintes reprises que ce gouvernement est très libéral, et le libéralisme n’est pas compatible avec un modèle de société écologique.
Ce gouvernement ferme la porte aux migrants, refuse la cinquantaine de désespérés qui se trouvait à bord de l’Aquarius, se fait réprimander par un rapport de l’Oxfam qui dénonce les agressions subies par les migrants mineurs à la frontière de Vintimille par la gendarmerie française.
Savez-vous, Sibeth Ndiaye, que si on ne s’engage pas sérieusement dans une nouvelle démarche écologique, les migrants qui frapperont aux portes de l’Europe seront de plus en plus nombreux ? Comment allez-vous gérer ce phénomène ?
Un rapport de la Banque mondiale de mars 2018 évoque 143 millions de migrants climatiques d’ici 2050. L’ONU parle d’un milliard de personnes sur la même période.
Le bouleversement climatique et l’épuisement des ressources des pays en voie de développement sont LA cause qui porte les fameux «migrants économiques» à abandonner leurs maisons et à choisir l’exil.
Quand Emmanuel Macron va au Kenya et se félicite des 3 milliards de contrats qu’il a réussi à obtenir pour la France qui se chargera de construire des autoroutes dans le pays africain, sait-il que le Kenya n’investit que 300 millions par an contre la sécheresse, qui fait des ravages et des morts dans plusieurs régions du pays ? Est-ce vraiment un succès dans l’intérêt collectif de la planète ? Ne serait-il pas venu le temps pour lancer une «mondialisation positive» ? Un dessin politique où ce mot controversé signifierait des politiques responsables à l’échelle planétaire et non seulement nationale ?
Madame Sibeth Ndiaye, il ne suffit pas de dire que vous avez renoncé à la montagne d’or en Guyane (est-ce vrai, d’ailleurs ?) pour vous définir écologiste.
Il va falloir être plus convaincante, ou sinon la fête est finie, ou comme vous auriez pu le dire : «la teuf is dead».
Eva Morletto