Le pays d’Asie dit non au glyphosate et défie Monsanto.
30 avril 1975 : les troupes nord-vietnamiennes rentrent dans Saigon.
La guerre du Vietnam est terminée.
Pas pour tout le monde.
Quatre millions de personnes subissent encore aujourd’hui les effets néfastes de l’agent orange, le défoliant produit par Monsanto que les avions américains ont déversé sur les forêts du Vietnam pendant une décennie, entre 1965 et 1975.
De nos jours, des milliers d’enfants vivant dans les régions contaminées souffrent de malformations graves. Les dégâts, provoqués par la dioxine contenue dans l’agent orange, ont frappé plusieurs générations et se répercutent sur les organismes encore de nos jours. Les substances absorbées par le terrain continuent de propager la mort et la maladie : des familles entières sont atteintes de différentes formes de cancer ; les victimes en appellent à la justice mais la plupart de ces malheureux ont été tout simplement ignorés par les autorités, soucieuses dans un pays en plein développement commercial de garder de bonnes relations avec les États-Unis et d’enterrer les mauvais souvenirs.
Et les victimes avec…
Plusieurs enfants contaminés par l’agent orange qui continue de polluer les nappes phréatiques et les rivières sont soignés dans l’hôpital de Hòa Bình, dans la banlieue nord de Hanoï. Ils ont quelques mois à peine et jusqu’à dix-huit ans, beaucoup sont originaires de la région surnommée pendant la guerre «le sentier de Ho Chi Minh», près de la frontière cambodgienne, là où les vietcongs transportaient armes et provisions pour les soldats qui combattaient dans le sud du pays. Dans cette province rurale, les cicatrices de l’agent orange sont encore visibles : les forêts luxuriantes laissent souvent la place à des friches recouvertes par ce que les botanistes appellent une «flore dégradée» : ronces et mauvaises herbes ont pris la place des palmiers et des plantes du riche sous-bois tropical.
Selon une étude rédigée par Le Cao Dai, ancien fonctionnaire de la Croix-Rouge au Vietnam, 12% de la surface nationale fut détruite par le défoliant produit par Monsanto. Les mammifères de grandes tailles tels que les éléphants, ont disparu, et le nombre d’animaux «nocifs» tels les rats et les moustiques, a augmenté, en faisant augmenter parallèlement les cas de paludisme et de fièvres hémorragiques dans les régions concernées.
L’ex-ministre de la santé vietnamien Nguyen Trong Nhan, m’a expliqué que l’agent orange provoque un fort affaiblissement du système immunitaire. Les habitants des zones contaminées ont ainsi subi des conséquences terribles : cancers et malformations graves, scléroses en plaques, maladies dégénératives du système musculaire. Bien souvent les familles n’ont pas les moyens financiers pour accéder aux soins.
Nguyen Trong Nhan m’a montré une vieille lettre signée par Bill Clinton où l’ex-président américain reconnaissait les dégâts causés par l’agent orange et promettait d’aider les victimes vietnamiennes. Rien ou presque n’a été fait depuis.
Bien que le Vietnam ait voulu faire la paix avec les USA pour garantir son futur économique de «tigre d’Asie», le trauma d’une nation entière et les peines infligées par les géants de la chimie américaine n’ont pas été oubliés.
Ce n’est donc pas par hasard que le pays a dit non au glyphosate depuis mars 2019.
La mèche a été allumée par les deux procès historiques qui ont placé la société Monsanto derrière la barre des accusés : d’abord celui du jardinier Dewayne Johnson et puis celui du septuagénaire californien Edwin Hardeman. Les deux sont victimes d’un lymphome non hodgkinien, pathologie que de nombreux chercheurs pensent très probablement liée à la manipulation du glyphosate.
À partir du mois d’avril la vente du glyphosate a été interdite au Vietnam.
Le secrétaire à l’Agriculture américain, Sonny Perdue, a durement critiqué le choix du pays asiatique, critique prévisible compte tenu des positions toujours maintenues par cet ancien gouverneur de la Géorgie, proche des lobbyistes de Monsanto et partisan convaincu des fermes industrielles, des pesticides et des cultures OGM. En 2009, il avait d’ailleurs signé un projet de loi pour empêcher les communautés locales de Géorgie d’imposer des normes aux fermes industrielles, normes qui auraient dû lutter contre la cruauté envers les animaux et la pollution due aux pesticides.
En suivant l’exemple du Sri Lanka qui a renoncé au glyphosate en 2015, suite à une augmentation vertigineuse de pathologies rénales chez les riziculteurs, le Vietnam prend la même route et ignore pour l’instant les protestations des américains.
Cela arrive au moment même où en France, le sénateur Pierre Médevielle (groupe Union Centriste), suscite la polémique en affirmant que l’herbicide incriminé n’est pas cancérogène, ou plus précisément : «moins cancérigène que la charcuterie et la viande rouge».
Rappelons que le glyphosate a été classé «cancérigène probable» en 2015 par l’OMS (Organisation mondiale de la santé).
L’agence sanitaire européenne EFSA est restée en revanche prudente dans ses comptes rendus, ce qui n’a pas permis au récent rapport parlementaire sur le fonctionnement des agences sanitaires chargées d’évaluer l’impact des différents produits chimiques, de trancher sur la question.
Petit souci de taille : plusieurs parties du rapport de l’EFSA qui analysent les études publiées sur les potentiels dangers sanitaires du glyphosate ont été copié-collées, mot pour mot, à partir du dossier écrit par Monsanto sur le produit controversé.
Il s’agit de pages «cruciales», celles qui traitent de la dangerosité et du potentiel cancérigène de l’herbicide.
Ce plagiat jette ainsi une lumière sombre sur le travail de l’EFSA et sur son indépendance, mais malgré cela, les parlementaires s’obstinent à rester «prudents» et refusent pour la plupart de prendre position.
On a appris entretemps, grâce à une récente enquête des journalistes du Monde et de France 2, l’existence des «fichiers Monsanto». Il s’agit d’une liste de responsables politiques, de journalistes, et de chercheurs scientifiques choisis selon leur position dans le débat épineux sur le glyphosate.
Le géant de l’agrochimie aurait ainsi en 2016 désigné des personnalités «alliées», des figures «potentiellement alliées» – à convaincre donc – et pour finir, des «classés rouges» : les personnages à surveiller, et idéalement à discréditer, à cause de leur opposition affichée à la commercialisation de l’herbicide.
Ce listing était rédigé en se basant sur des données privées et des déclarations «non officielles» des personnes concernées.
À savoir si dans cette liste apparaissent les députés qui, a deux reprises – le 15 septembre la dernière fois – ont rejeté la proposition d’inscrire l’interdiction du glyphosate dans la loi…