Par Eva Morletto
Dans certaines régions du Maghreb perdure encore la «cérémonie du drap», la tradition d’exposer au balcon, suite à la première nuit de noce, un drap taché de sang, garantie de virginité pour la jeune épouse. Une coutume similaire se retrouve dans la communauté rom : la cérémonie du mouchoir. Et même dans le Paris des beaux quartiers, certaines familles ultra-catholiques empêchent aux filles d’utiliser des tampons hygiéniques, pour ne pas mettre en danger leur pureté.
L’obsession pour la virginité peut sembler une tradition qui appartient aux oubliettes, une relique moyenâgeuse, un vestige de guerre à évacuer après des années de luttes féministes pour l’émancipation.
Et pourtant, en France, il y a encore des filles apeurées qui vont dans un cabinet de gynécologie pour demander un certificat qui prouve leur statut de vierge.
Aujourd’hui l’exécutif essaie de mettre un terme à cette aberration dans le paquet législatif «loi contre le séparatisme», mais est-ce une mesure adaptée pour en finir avec cette forme de misogynie noir sur blanc?
«On demande un certificat de virginité aux filles, et aux garçons alors?» s’interroge Amina Yamgnane, gynécologue auprès de l’hôpital Américain de Paris.
«Légiférer sur cette thématique est extrêmement délicat. L’avantage d’une interdiction officielle est le fait d’annoncer publiquement et officiellement que ici en France, ce genre de choses n’est pas acceptable, qu’ici ça ne marche pas comme ça, c’est clair qu’un certificat de virginité représente l’institutionnalisation de la misogynie» commente la spécialiste, mais la solution n’est pas si simple.
«D’un autre coté» continue Amina Yamgnane, «empêcher ces certificats risque de rendre le phénomène marginal et invisible, sans réellement le faire disparaitre. Le jour où les filles ne pourront plus aller chez les médecins pour ce document, les familles chercheront l’aide des charlatans, de faux docteurs, et ça sera peut-être pire».
Mais qu’est-ce qui pousse ces filles à demander ces certificats ? La pression familiale ?
«Bien sûr. En général, quand ces situations m’arrivent, j’essaie de faire de la pédagogie, par exemple en expliquant que de toutes les façons, ces certificats sont absurdes car, d’un point de vue strictement anatomique, il existent des filles qui naissent sans hymen, et que surtout, la valeur d’une femme n’a rien à voir avec cette obsession pour la virginité. Mais malheureusement, dans la plupart des cas, je sens le devoir moral de signer ces documents, car la vie de la fille en question est en danger».
Beaucoup de médecins en effet préfèrent exploiter ces attestations pour permettre à la fille de se mettre l’abri d’une situation dangereuse.
«Elles peuvent être reniées par la famille, se retrouver seules, sans moyens, humiliées et isolées. Elles peuvent subir des violences, elles peuvent même être objet de transactions abominables : une fille qui n’est pas vierge, dans certaines cultures, est considérée sans valeur, en conséquence la famille du futur époux considère les fiançailles comme une arnaque».
Souvent, les mariages adviennent hors de France, au Maghreb, en Afrique subsaharienne ou au Moyen-Orient. Le fameux «papier» délivré par un médecin français peut valoir de l’or, et peut être une question de vie ou de mort.
«Mais attention!» met en garde Amina Yamgnane. «Ne croyez pas que ce problème ne concerne que l’étranger! Il suffit de se rendre compte qu’en France la sécurité sociale rembourse dans plusieurs cas la chirurgie plastique qui permet la reconstruction de l’hymen (en cas d’agression sexuelle notamment, ndlr). Quel est le message caché par ce remboursement sinon que la virginité est une valeur à protéger ? Si les certificats de virginité sont interdits, je souhaite que le ministère de la santé veuille bien se pencher sur cette question également, sinon cette loi serait incohérente». En effet.
Surtout que l’hymenoplastie, proposé dans la plupart des beaux cabinets de chirurgie plastique et esthétique de la capitale, coûte entre 1500 et 3000 Euros.
Après le business du sexe, le business de la pureté ?