De nouveau dans le paysage politico-médiatique au lendemain du drame de Conflans-Sainte- Honorine, la loi Avia revient peu à peu sur le devant de la scène. Pour bon nombre de responsables politiques, l’émoi national qu’a suscité l’assassinat effroyable du professeur Samuel Paty s’est avéré être une opportunité inespérée pour engager une nouvelle rhétorique liberticide. Vers une refonte de la loi Avia ?
Contre la haine en ligne, la loi Avia proposée par la députée LREM Laetitia Avia a été adoptée mi-mai par l’assemblée nationale à la suite d’un cheminement parlementaire catastrophique. Ce texte, dont le contenu est taillé en pièces par le conseil constitutionnel pour atteinte à la liberté d’expression, vise à retirer les contenus haineux, terroristes et pédopornographiques des principaux réseaux sociaux et moteurs de recherches sous 24h. La députée étant à l’initiative, elle-même accusée de harcèlement, aurait tenu des propos à connotations sexistes, racistes et homophobes ; un projet illégitime ?
Ravivant d’importantes polémiques sur la liberté d’expression et le rôle à jouer des réseaux sociaux sur cette question, le drame, vendredi 16 octobre, de l’assassinat de Samuel Paty, professeur en histoire-géographie s’est révélé tomber à propos pour une partie de la classe politique française, qui, surfant sur l’effroi national, a relancé la controverse.
Ce texte s’inscrit dans la lignée de l’engagement d’Emmanuel Macron suite à la diffusion en direct sur les réseaux sociaux de l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande en 2018.
Bien qu’il visait à agir contre le terrorisme violent en ligne, la loi Avia, elle, couvrait les propos haineux sur une échelle beaucoup plus large. Texte légiférant ou bien outil écrasant toute contestation sociale et non limité au terrorisme ? L’attentat de Conflans-Sainte-Honorine est-il le bon prétexte pour envisager une refonte du texte de loi ?
Assassiné par un terroriste pour avoir fait son travail et montré lors d’un cours sur la liberté d’expression les caricatures du prophète Mahomet, la mort tragique de Samuel Paty remue les débats de censure sur les réseaux sociaux : une opportunité qui tombe à point nommé pour le gouvernement qui, fâché de la censure quasi-intégrale du conseil constitutionnel plaide pour un réaménagement de la loi Avia.
Avant même la cérémonie d’honneur en hommage au professeur dans la cours de la Sorbonne mercredi 21 octobre, et une période de deuil, le sujet de la loi Avia était déjà en débat.
Les responsables politiques en faveur de ce texte, dénoncent la passivité et la «responsabilité» des réseaux sociaux censés censurer les contenus. Gérald Darmanin a annoncé lundi 19 octobre dans la matinale d’Europe 1 «le gouvernement a essayé d’avoir les armes pour lutter contre la haine en ligne. Mais la proposition de loi de Madame Avia qui aurait permis de faire retirer et de poursuivre ce père de famille a été censurée par le conseil constitutionnel». Jean Castex s’est exprimé à son tour le lendemain devant l’assemblée nationale «c’est bien parce qu’il a été nommément désigné par les réseaux sociaux que Samuel Paty a été assassiné».
Jusqu’où sera poussée la refonte de cette loi ? Car si l’on en croit la vidéo incriminée par Darmanin faite par le père d’une collégienne et diffusée sur les réseaux sociaux, l’unique terme de «voyou» aurait été utilisé contre le professeur. Or, si l’on regarde la définition de ce terme il s’agit d’un «individu qui ne respecte pas les lois». Alors, selon les disposions présentes dans cette loi, la vidéo postée par le parent d’élève n’aurait pas pu faire l’objet d’une suppression ni même de poursuite judiciaire. Quelles vont être les limites du remaniement de cette loi ? Jusqu’où porterons-nous atteinte à la liberté d’expression (déjà bien altérée) ? De plus, Xavier Bertrand et Jean-Christophe Lagarde réclament la suppression de l’anonymat en ligne. Une attitude désintéressée et hors propos lorsque l’on sait que le père de famille ayant posté la vidéo n’était pas en anonyme et clairement identifiable. Les protagonistes de la suppression de nos libertés fondamentales utilisent une fois de plus un prétexte inopportun afin d’envisager la refonte d’une loi liberticide.
La loi Avia propose une censure immédiate sans recours à la justice. Un bon moyen anti-démocratique de servir des valeurs capitalistiques. Des acteurs privés vont donc s’improviser juges pour déterminer ou non l’illicité d’un contenu. Les plateformes vont supprimer des contenus par peur de payer une amende. Qui allons-nous croire ? Qui aura raison ? Le juge a priori impartial et garant constitutionnellement des libertés fondamentales que l’on ne pourra plus consulter ou l’entreprise qui pense à sauver sa peau ? Nous assisterons à une confusion sans précédent entre services publics et privés.
La Quadrature du Net, le conseil national du numérique et la commission nationale consultative des droits de l’homme qui défendent les libertés individuelles dans le monde du numérique s’accordaient à dire qu’il s’agissait de donner davantage de pouvoir aux GAFAM ( Google, Facebook, Amazon, Microsoft). Les algorithmes vont continuer de nous imposer un système d’exploitation sous la protection et l’égide du gouvernement et des dirigeants. Un contrôle social standardisant et conformant qui prône la «bonne» pensée sur des questions démocratiques, d’éducation, de gouvernance, de santé, de communautés, etc…
Depuis 2009, la majeure partie de la lutte contre les propos haineux en ligne repose sur la plateforme Pharos («plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements») mise en place par le ministère de l’intérieur et à disposition du grand public. La plateforme signale les contenus illicites sur les réseaux sociaux, sites internet, blogs, forums… Relativement démocratique car gérée par les internautes eux-mêmes, cette plateforme semble suffire pour garantir un contrôle de la haine en ligne. En attendant, à sa tête pour enquêter lors d’un signalement, seulement 28 personnes.
Emmanuel Macron a pourtant proclamé, non sans honte, à propos de la crise de l’hôpital public «ce n’est pas une question de moyens, c’est une question d’organisation».
À son tour, la plateforme Pharos ne mérite-t-elle pas une réorganisation globale ? Un nombre plus important d’enquêteurs ? Permettant un contrôle plus actif et simplifié garantissant alors une liberté d’expression saine. Malheureusement, il semble que le gouvernement ait opté pour la seconde option : instauration et refonte d’une loi liberticide.
Comme le rappelle le député et président du groupe UDI à l’assemblée, Jean-Christophe Lagarde «on avait voté sans difficulté le texte en mai». Bien évidemment, à la sortie du confinement, le reste des dirigeants politiques et du territoire étaient légèrement plus occupés par une crise sanitaire d’ordre mondial qui bouleverse l’économie, le monde du travail et le système tout entier. Aujourd’hui, la loi ferait son come-back. Une fois de plus, un territoire national en seconde vague de l’épidémie et bouleversé par cette catastrophe, les politiques profitent de la situation pour passer en force en s’affranchissant de tout processus démocratique. Prisonnière d’une tristesse légitime, une partie du corps enseignant, des élèves et des personnes concernées de près ou de loin par cette attaque est prête à «sacrifier leur liberté au nom de leur sécurité» (B. Franklin, 1755). Bénéficiant alors d’une population sensiblement fragilisée le gouvernement s’empresse de penser que le mieux à faire reste de condamner la liberté de parole, le besoin de dialogue et les débats en faisant passer, en force, une loi de censure.
Les réseaux sociaux croulent sous les hashtags anti-terroristes, en honneur au professeur et pour ou contre la liberté d’expression. Les avis sont divergents, les débats s’animent, la fracture béante qui divise notre société ne cesse de s’agrandir et des clivages profondément enfouis ressurgissent. Le chaos parfait pour tout politique qui rêve de restreindre nos libertés les plus fondamentales et ce, quelqu’en soit le prix.
- Lily Chavance