Quelques raisons pour expliquer la chute du Parti Démocrate en Italie. Les italiens sont-ils devenus fous ou aurait-t-il juste fallu les écouter ?
Le lundi 5 mars 2018, l’Italie s’est réveillée avec la gueule de bois.
Le Parti démocrate de Matteo Renzi, le jeune leader, souvent comparé de par son énergie et son envie d’innovation, à Emmanuel Macron, s’est effondré. Les votes en faveur du Parti Démocrate n’ont pas atteint les 20%.
Le succès a préféré couronner les efforts de campagne menés par le Mouvement 5 Étoiles (M5S) de Luigi Di Maio et la Ligue Nord de Matteo Salvini, l’anti-européiste qui parle comme un camionneur, mais qui a su se présenter comme «le défenseur du peuple italien». Et le peuple l’a suivi.
Mais qu’a-t-il pu se passer pour que les électeurs se détournent du programme «présentable» de Renzi, pour lui préférer celui populiste de Salvini et d’un mouvement encore chaotique comme le M5S ?
Le désamour des italiens vers la politique n’est pas dû à un coup de tête, à une soudaine nostalgie du Duce, comme ironise une certaine presse étrangère, ou a un détachement des valeurs démocratiques, loin de là. Ce sentiment existe depuis une décennie, depuis que l’Europe de Sarkozy et Merkel a imposé un gouvernement technique guidé par Mario Monti, en écartant un Berlusconi affaibli et décrédibilisé par les scandales.
En ce moment précis, c’est comme si l’Europe et les gouvernements italiens qui se sont succédés avaient déclaré la guerre aux citoyens.
C’est le ressenti de la base.
Si Monti a réussi à rendre de nouveau l’Italie crédible face à ses partenaires étrangers suite aux frasques berlusconiennes, c’est au prix d’un bain de sang économique pour les citoyens, accablés par une pression fiscale épouvantable et par l’ébranlement du statut de travailleurs émietté par les lois Fornero (Monti) et par le Job Acts (Renzi) qui ont, de fait, institutionnalisé la précarité.
Renzi et son Job Act ont certes donné un coup de pouce à l’économie, mais à quel prix ? Le contrats CDI ont été vidés de leur sens, en rendant extrêmement plus faciles les licenciements, et l’emploi qui avait grimpé grâce aux incitations fiscales – maintenant terminées – est revenu au niveau d’avant, voire inférieur.
Mais l’arme de guerre la plus redoutable forgée par l’État contre ses propres citoyens a été sans doute Equitalia, l’institution organisée et lancée en 2006 par le dernier gouvernement Prodi. Pendant les années Monti et Renzi, cette institution destinée à recueillir toutes les taxes des citoyens (des taxes foncières aux contributions à la prévoyance sociale dues par les entrepreneurs, jusqu’aux amendes pour infraction du Code de la route) a été le cauchemar majeur des italiens. Pour chaque retard, même minime, ou pour les impayés, les taux d’intérêts appliqués se sont révélés souvent des taux usuraires, les confiscations de biens immobiliers se sont multipliées, des milliers de petites entreprises ont été obligées de mettre la clé sous la porte. Sans compter le phénomène des «cartelle pazze» (fichiers fous) : des injonctions de paiements erronées envoyées arbitrairement aux citoyens, sur des taxes qui n’étaient pas dues ou qui avaient déjà été payées.
Suite aussi aux vagues de protestations, Equitalia a été fermé le 30 juin 2017.
Mais les problèmes ne se sont pas arrêtés avec cette fermeture.
L’Italie parle de croissance, mais la réalité est qu’avec la crise, il y a des provinces italiennes entières qui sont en train de mourir. Les journaux italiens publient de nombreux articles sur ce phénomène inquiétant. Récemment l’Espresso a publié un reportage sur l’état désolant de la Brianza, un petit département de la Lombardie, tout près de Milan, qui dans les années 70-80 débordait d’activité. Tout le «made in Italy» passait par là, la plupart des biens de consommation utilisés par les italiens étaient fabriqués dans ce bassin industriel. Et bien, la Brianza a aujourd’hui un air de Detroit avec ses usines abandonnées, ses hangars délabrés et ses petites villas tristement recouvertes de panneaux «à vendre». Même situation dans la ville de Turin et dans sa province, où les petites usines de l’«indotto FIAT» (fabricants de pièces pour la maison mère FIAT) a mis la clé sous la porte. Résultats : chômage, usines fermées, marché immobilier en chute libre. À Turin, plusieurs quartiers populaires, très vivants autrefois, affichent aujourd’hui un air d’abandon et de laisser-aller.
Pendant ces élections, l’Italie a tout simplement essayé de mettre fin à cette guerre entre l’État et les citoyens en votant pour ceux qui n’ont jamais gouverné.
D’ailleurs, les perdants sont aussi bien Matteo Renzi que Silvio Berlusconi, qui malgré son recyclage en «vieux sage de la politique» n’a su convaincre finalement que peu d’électeurs.
Des erreurs importantes ont été commises par le Parti Démocrate pendant la campagne électorale. Certes, de nombreuses menaces et problèmes pèsent sur la botte, mais pratiquement toute la campagne a tourné sur le thème de l’immigration clandestine.
Il s’agit d’une opération habile de Salvini et de la droite, car s’il est vrai que les migrants ne sont pas LE problème de l’Italie ( il aurait fallu certainement parler plus de chômage, de crise financière, de délocalisations des entreprises et d’évasion fiscale, entre autres), il est vrai aussi que l’intégration des migrants représente un problème et la gauche n’a pas su répondre aux inquiétudes des italiens si ce n’est en les accusant d’intolérance et de racisme et en minimisant l’impact social du phénomène migratoire.
Sur la question des migrants, l’Italie a dû subir l’«abandon» de la part de l ‘Union européenne, qui l’a laissée se débrouiller toute seule.
Macron a fermé les portes de la France, tous les espoirs pour les migrants de rejoindre le territoire français s’échouent sur le bord de mer de Ventimiglia et, ces derniers temps, sur les montagnes de Bardonecchia, où des nigériens désespérés en tongs croisent les skieurs en essayant de franchir les montagnes par -10°C.
L’Autriche, quant à elle, a eu la brillante idée de mettre ses tanks et son armée au col du Brennero, pour dissuader toute tentative de passer par ses frontières.
Ainsi, dans un pays qui peine à offrir un emploi à ses propres citoyens, les migrants ont commencé à s’y établir, et peu à peu, face à l’impossibilité de trouver un emploi et du confort, l’espoir qui les animait a très tôt tourné à l’amertume et à la colère.
Entre-temps, les liens entre la mafia libyenne qui s’est enrichie du trafic d’êtres humains venant d’Afrique et les mafias italiennes telles que la Camorra, Cosa Nostra, la ‘Ndrangheta, ou la Sacra Corona Unita, se sont renforcés.
La mafia nigérienne arrivée avec les migrants s’est ainsi bien entendue avec la mafia sicilienne. La main-d’oeuvre africaine à bas prix travaille dans les champs des Pouilles gérés en partie par la Sacra Corona Unita dans des conditions qui relèvent de l’esclavage.
La Camorra, qui s’était déjà enrichie avec le trafic d’oeuvres d’art pillées en Syrie pendant la guerre, en faisant affaire avec l’État Islamique, tire maintenant profit des débarquements pour peupler les rangs de ses «courriers de la drogue».
La ‘ndrangheta calabraise quant à elle, s’occupe d’une partie du «business de l’accueil» au travers d’infiltration dans les coopératives qui reçoivent de l’argent de l’État pour gérer l’urgence du débarquement des migrants en trouvant des logements temporaires.
Il y a un an, le procureur de Catane, Carmelo Zuccaro, dénonçait le business entre certaines ONG italiennes et les trafiquants d’hommes libyens.
Il faut aussi dire que l’immigration a changé le visage d’une certaine Italie.
Contrairement à la France qui a cédé pour une grande partie au modèle des grands centres commerciaux où se concentre la vie économique des zones rurales, en Italie les centres-villes provinciaux sont encore extrêmement vivants. Le coeur des villages est encore la petite place publique où la jeunesse et les seniors se croisent et discutent. Ces villages font souvent partie de ces régions impactées par la crise économique, beaucoup de propriétaires immobiliers ont donc cédé à la chimère du «business de l’accueil» : des maisons qui avaient du mal à trouver des locataires ont été occupées par des dizaines de migrants gérés par des coopératives et le propriétaire du bien empoche pour chaque hôte un loyer, qui au final, en entassant des dizaines de réfugiés dans la même maison, se révèle plus important qu’un loyer «normal».
Des centaines de migrants se retrouvent ainsi confinés dans des villages perdus, sans activité, sans distraction autre que de squatter les bancs de la place du village en suscitant la méfiance des habitants et un sentiment d’insécurité.
Le centre gauche, muré dans son idéologie, a refusé obstinément d’admettre ces réalités et a ainsi donné matière à la droite, qui bien évidemment, en a profité pour associer la problématique avec son habituelle xénophobie.
Le discours post-vote de Matteo Renzi, face à la débâcle, a montré une énième fois l’incapacité du leader à s’essayer au difficile exercice de l’autocritique. Et cette fois il n’a pas été pardonné.