Dans une tribune parue dans Libération ces jours-ci, encore une fois un groupe d’intellectuels français bien fourni invite à respecter la doctrine Mitterrand et à s’opposer à l’extradition des membres des Brigades Rouges.
J’ai vraiment envie de me demander, si Agnès B, Annie Ernaux ou Nicolas Bouchaud, parmi les signataires, ont tous lu attentivement les documents en italien relatifs à l’assassinat d’Andrea Campagna, simple policier qui faisait son boulot ? Ou ceux qui font état des personnes restées sur un fauteuil roulant à cause des balles plantées dans le dos ? Ou sur les avocats et juges massacrés, car «éléments du système» ?
Je me le demande, car je ne m’explique pas comment cette tribune, si compatissante envers des terroristes, puisse être si indifférente envers la douleur des victimes.
Agnès B est-elle devenue experte en années de plomb entre le dessin d’un tricot en cachemire et un apéritif mondain ?
Les juges italiens ne sont-ils pas dignes ?
Très bien.
Alors on va faire comme ça.
Allons-y , libérons les Abdeslam et tous les terroristes islamistes, on va les accueillir en Italie s’ils promettent de ne plus tuer. Ils écriront des polars et ils enseigneront à l’université. Car au fond, si la France n’avait pas occupé la moitié de l ‘Afrique avec une politique avide pour s’accaparer les ressources en arrosant les dictateurs locaux au détriment du peuple, et bien peut-être que la doctrine islamiste aurait eu moins de chance de se développer, n’est-ce pas ?
Est-ce qu’un seul intellectuel italien s’est permis d’écrire une tribune pour ça ? Non.
Et pourquoi ? Parce que, comme disait Andreotti face à Eugenio Scalfari qui l’interviewait «les choses sont un peu plus compliquées que ça».
Jusqu’où l’horreur peut-elle être considérée comme «violence politique» ?
Les Brigades Rouges seraient «en exil»?!
Non, désolée, ça s’appelle une cavale.
Ces terroristes n’ont pas combattu une féroce dictature, mais un état démocratique, avec ses magouilles, certes, mais démocratique.
Les comparer aux résistants de la guerre, aux héros en exil, est juste honteux.
Non, ils n’étaient pas les montoneros argentins contre le général Videla et ses sbires, coupables d’avoir torturés et massacrés de milliers de jeunes, balancés en mer par des hélicoptères, restés desaparecidos à jamais.
Non, Cesare Battisti n’était pas George Orwell qui combattait le franquisme dans les files des Républicains espagnols. Il était un minable braqueur de banque, ayant fini en taule, et c’est en taule qu’il a rencontré les idéologues qui lui ont bourré le crâne d’une idéologie qui a servi de jolie cape pour ses instincts meurtriers.
Et non, les Brigades Rouges n’étaient pas non plus des partisans qui se battaient contre le fascisme
Et d’ailleurs, une petite histoire, rien que pour vous.
Fulvio Croce, avocat président du barreau de Turin dans les années 70, fut abattu comme un chien devant son bureau, rue Perrone à Turin, dans une sombre journée de pluie, le 28 avril 1977, par les Brigades Rouges.
Sa faute ?
Avoir pris la responsabilité de s’occuper de leur défense, commis d’office, tout en sachant qu’il risquait de mourir pour ça. Dans le procès en cours au tribunal de Turin, les «brigatisti» avaient promis de tuer les avocats qui auraient voulu les défendre. Il n’y avait donc pas exactement la queue pour les assister juridiquement. Fulvio Croce prit ce risque.
Mais Croce n’était pas seulement un avocat courageux. Il avait été Médaillé d’Or de la Valeur Civile (équivalent de la légion d’honneur en France) pendant la guerre. Il était alors le chef d’une brigade partisane. Il était antifasciste et avait combattu au péril de sa vie le régime de Mussolini.
Les Brigades Rouges l’ont tué.
Ou alors, on peut parler d’Andrea Campagna
Vous avez lu «Le Peintre des batailles» d’Arturo Perez Reverte ? Vous devriez. Il parle d’un ex-soldat serbe qui pendant la guerre des Balkans avait été pris en photo par hasard par un reporter étranger. Cette photo avait fait de lui un symbole de la guerre. Il n’était plus un soldat serbe parmi les autres. Il était «l’ennemi serbe». Pour cela, sa famille fut massacrée. C’est une histoire poignante.
Andrea Campagna, dans la réalité, a vécu une histoire similaire. Il était un simple carabiniere de vingt ans, qui allait se marier. Il n’était pas violent, il ne militait pour rien, il n’avait tué personne. Un photographe de presse l’immortalisa le jour de l’arrestation d’un membre des Brigades Rouges. Sur le cliché, Andrea Campagna se trouvait à côté de l’homme menotté. Cette photo signa sa condamnation à mort.
Un assassinat revendiqué par les Brigades Rouges.
Vous qui signez, vous êtes certainement aussi au courant des liens entre vos héros romantiques et la mafia de Totò Riina et de Pippo Calò, et de toute la bande de Corleone, notamment dans l’assassinat du préfet Alberto Dalla Chiesa, grand protagoniste de la lutte contre les Brigades Rouges et contre la mafia.
Au passage, lui aussi était un héros de la Résistance italienne anti-fasciste.
Dans cette tribune qui dégouline d’empathie envers ces criminels, vous soulignez la douleur d’être «loin de leur pays».
Moi aussi, je suis loin de mon pays, ainsi que des milliers de jeunes italiens diplômés et honnêtes qui ne peuvent pas trouver du travail là-bas. Vous allez écrire une tribune pour nous aussi ?
Ces gens n’avaient rien d’héroïque, bien souvent ils étaient des fils de bourgeois gâtés et exaltés, ou plus souvent – comme cela fut le cas pour Cesare Battisti – des délinquants communs.
Votre tribune est une apologie indécente, un «J’accuse» pathétique et aveugle contre un ennemi imaginé -l’État Italien – qui dans ces années-là a réussi malgré tout à imposer d’importantes avancées sociales et à faire de l’Italie un état moderne.
Vous qui signez, vous justifiez et approuvez l’image de cet homme massacré, retrouvé couvert de sang dans le coffre d’une voiture, le 9 mai 1978.
Il s’appelait Aldo Moro.
Il n’était pas un atroce dictateur, comme ceux que la Françafrique arrose, il était le Premier Ministre d’un état démocratique ami de la France, qui mériterait plus de respect.