Sur le site de France Inter, l’accroche de l’image ci-dessus est la suivante : «CONFIDENTIEL POLITIQUE – Jean-Luc Mélenchon pourrait-il prédire l’avenir ? C’est du moins ce qu’il a laissé comprendre sur France Inter».
Une fois de plus, nous y voilà. Et nous voilà au même endroit, déplorant les mêmes catastrophes. Qu’on me pardonne, une fois encore, de ne pas hurler avec les loups. Qu’on me pardonne aussi de ne pas faire preuve de «confraternité» journalistique ; cette fiction-là, je l’ai éprouvée et définitivement rangée au catalogue des accessoires de cirque lors de mon passage au Média, où nous avons subi tous les sarcasmes, les calomnies, les mensonges, les insinuations, les persiflages, les saloperies qu’une corporation de métier, solidement arrimée à une fonction de pouvoir d’une puissance jamais atteinte par aucune autre, et dominée par une puissante coterie, peut déchaîner sur les siens, lorsqu’ils font un pas de côté et s’écartent volontairement de la masse. Mensonges, procès d’intention, vacheries de couloir, petits coups de pute mesquins – je connais.
J’ajoute que je l’ai ensuite reconnue pour ce qu’elle était, lorsque mes amis et moi nous sommes fait lourder par ceux-là même que j’avais mis un point d’honneur à défendre sous la pluie malodorante des attaques : cette veulerie est avant tout le produit d’une mentalité, que j’ai décrite ailleurs et souvent. Des journalistes «de gauche», non soumis à la pression perverse des oligarques, en sont tout aussi bien capables. Le tout est de se croire spécial. Or le journaliste est un citoyen comme un autre, soumis aux mêmes forces, produit par les mêmes facteurs, bousculé par les mêmes antagonismes que tous les autres – mais passons.
Cette fois, nous nous retrouvons pour assister à une séquence particulièrement dégueulasse, qui n’honore vraiment pas le palmarès de notre métier : je veux parler de la campagne de mensonge et de haine qui s’abat sur Jean-Luc Mélenchon personnellement, et sur le mouvement qu’il représente.
Je le dis sans hésiter : les folles affirmations qui lui ont été attribuées dans les médias français depuis 24 heures sont de pures fabrications.
J’écarte d’emblée la réplique facile : je ne serais pas «objectif» ni «neutre» parce que je dis publiquement mes préférences politiques. Je le fais pour trois raisons principales : d’une part, parce que l’époque épouvantable, le moment singulièrement désastreux que traverse mon pays l’appelle et que j’en suis un citoyen plein et entier, refusant de me laisser faire ; que je ne travaille pas et refuse de travailler comme journaliste dans un service politique ; et d’autre part, parce que ma fonction de journaliste en exercice, avec tous ses papiers en règle, est doublée depuis dix ans par ma vie d’écrivain, dont l’honneur, selon l’idée que je me fais de ce métier, repose aussi sur l’usage raisonné de son art, dans le monde où il vit. Je ne crois que pas l’on puisse trouver là une ou plusieurs raisons de disqualifier ce que je dis.
Un fait, central, maintenant : j’ai regardé en direct l’émission qui vaut à Jean-Luc Mélenchon d’être la cible d’un tas d’accusations infamantes. Et je le dis sans hésiter : les folles affirmations qui lui ont été attribuées dans les médias français depuis 24 heures sont de pures fabrications. Je ne ferai pas l’autopsie de cet épisode lamentable : d’autres, comme par exemple Le Monde diplomatique ou Acrimed, ou parfois les sites Mediapart ou Arrêts sur images, s’en chargeront très bien, j’en suis sûr. Il est en tout cas une chose dont je suis certain : la conversation tenue ce jour-là était à peu près ordonnée, quoique dans l’hostilité sournoise et malveillante des intervieweuses ; elle a porté sur de nombreux sujets d’actualité ; rien qui ne soit banal.
Et soudain, au détour d’une phrase, alors même que la discussion avait porté juste avant sur l’écrasante responsabilité d’un nombre grandissant de médias populaires, notamment la chaîne d’extrême droite CNews et d’autres, dans la montée inexorable et l’hégémonie grandissante du venin de l’autoritarisme réactionnaire en France, un grommellement s’est fait entendre : «Qu’est-ce que ça veut dire ça ?» a ruminé l’une des journalistes, hors champ, tandis que Jean-Luc Mélenchon parlait de la routine désormais systématique qui se met en branle en période électorale : un produit d’entreprise «sorti du chapeau» se prétend champion de la liberté, des crimes d’opportunité sont commis par des terroristes et une utilisation à des fins démagogiques en est faite par des élus de la nation et une partie de la presse.
Stupeur. Elle n’avait littéralement pas compris. Elle l’avouait à haute voix, au micro, avec tout le mépris qu’elle avait pour cet homme. Et c’est ce haut-le-cœur de pure mauvaise foi, cette mauvaise joie, qui est devenu le cœur du tas de boue qu’on jette sur ce dernier depuis dimanche.
Je veux seulement dire une chose très simple, à l’adresse de tous ceux qui pratiquent ce métier : ce que nous venons de voir, ou parfois de faire, est une honte.
Elle n’avait pas compris… Et ceux qui ont ensuite lancé la campagne de faux étonnement, de jésuitisme pathétique, de fabrication de l’information chimiquement impeccable qui s’en est suivi, en ont fait un sujet. Car eux non plus ne comprenaient pas. Mais ce n’était pas leur sujet, de comprendre. Leur sujet, c’était, comme leur consœur, de ressentir le même haut-le-cœur : «Qu’est-ce que ça veut dire ça ?» et de le transmettre au public.
Alors, ils ont déliré tout seuls, animés seulement par leur sentiment personnel envers un homme, leurs propres préférences politiques, et la mentalité délirante qui prévaut aujourd’hui dans le milieu du journalisme, s’appuyant sur ce que nous connaissons trop bien : le pet fétide de «la petite phrase», la crotte de bique de l’information. Un cocktail parfaitement toxique et dégradant.
Le résultat, nous l’avons sous les yeux : un tohu-bohu indécent et grotesque, le déchaînement de tous les nervis et de tous les violents, tous les sociopathes chouchoutés par certains d’entre nous en pleine décompensation, et nos chefs se succédant sur les plateaux pour délivrer à Jean-Luc Mélenchon des brevets de bonne conduite ou de républicanisme, des bons et des mauvais points, des anathèmes, des édits d’excommunication extravagants, non seulement sans qu’il puisse se défendre, mais en plus sans qu’on lui accorde la dignité de n’endosser que ses actes réels. Et, ce lundi soir, l’accusation ultime : utiliser un appel public au massacre des siens comme «une diversion».
Je vais faire une dernière fois preuve de confraternité : je vais dire nous.
Je veux seulement dire une chose très simple, à l’adresse de tous ceux qui pratiquent ce métier : ce que nous venons de voir, et parfois de faire, est une honte. D’ailleurs, je vais faire une dernière fois preuve de confraternité : je vais dire nous. Eh bien tout ce qui ne va pas dans notre métier, toutes les raisons pour lesquelles notre métier est aujourd’hui méprisé, tout ce qui pousse nos concitoyens dans les bras de fadas numériques ou de salauds virilistes, tout ce qui détraque la nation, écœure les électeurs, nous l’avons cette fois encore endossé, nous l’avons apprécié, et nous avons plongé dans le bain d’acide, une fois de plus. Alors même qu’une année électorale d’une importance extrême pour la vie de la France, et de l’Europe, s’est ouverte.
Alors je demande une dernière minute d’attention. Mesure-t-on seulement le mal que ferait – et en admettant seulement que ce ne soit qu’une hypothèse – le fait de nous être trompés ? Même maladroitement, même inconséquemment. Le mal que cela ferait non seulement à la personne et aux proches de Jean-Luc Mélenchon, mais surtout le mal que cela ferait au débat public, à l’état intellectuel de l’opinion, à la sincérité des futurs scrutins, à l’exigence de gravité et de dignité dans laquelle devrait se mouvoir l’action politique, alors même que la France traverse une période extrêmement dangereuse de son histoire. Non, on le mesure pas, ce n’est pas possible ; ou alors c’est que notre inconséquence et notre cynisme ont atteint un niveau plus qu’alarmant.
Eh bien moi, je dis que nous nous sommes trompés. Et que les fautifs sont chez nous. Que nous manions une force politique sans rendre de compte à personne et que cette force est très largement hostile à Jean-Luc Mélenchon et à son mouvement. Que cela peuple nos conversations de couloirs et de cantine. Que nous le savons et que nous nous en moquons. Que cela altère gravement le jugement de beaucoup d’entre nous. Que cela nous a sauté au visage ces deux derniers jours. Que notre responsabilité est très largement engagée et entamée.
Mais soyons clair : je n’ai aucun espoir que cela change. Mais au moins, la prochaine fois – puisqu’il y en aura une -, que le petit ver du doute ait gagné quelques cervelles serait déjà un bon début.
Article initialement paru dans « en aparté »