J’avais bien commencé avec ma série intitulée «Le tour du monde en 80 désastres écologiques»… Puis la Covid est arrivée, le virus a occupé toutes les information et les frontières ont fermé. On est de nouveau à la maison. Alors, avant de reprendre ma série du tour du monde, je vous en propose une autre. Puisqu’on passera un autre mois collé à nos écrans et accrocs à Netflix, je vous propose un lot d’articles sur l’actualité dont le titre s’inspirera d’une série en vogue.
N°1 : Blacklist
Je ne pouvais pas avoir d’autres titres en tête pour définir la liste de 32 pays qui ont signé il y a une semaine une déclaration commune pour s’attaquer tous ensemble au droit à l’IVG. La déclaration a été présentée à Genève, à l’Assemblée mondiale de la Santé, et le porte-parole de l’initiative n’est rien d’autre qu’Alex Azar, Secrétaire à la santé de l’administration Trump.
Vous trouvez la nouvelle ici: https://www.liberation.fr/planete/2020/10/23/trente-deux-etats-se-liguent-contre-le-droit-a-l-avortement_1803273
Qui sont les pays qui déclarent la guerre aux femmes ? Qui prône un modèle familial et social moyenâgeux au nom des «valeurs traditionnelles» ? Qui dit sans complexe que : «Il n’y a pas de droit international à l’avortement, ni d’obligation des États de financer ou de faciliter l’avortement» ?
Dans la liste, on trouve les États-Unis, le Brésil, l’Égypte, la Pologne, la Hongrie, l’Indonésie, Oman, le Bahrein, la Lybie, les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite, le Pakistan et plusieurs pays africains.
Lisez bien cette liste. Car elle explique d’une façon plutôt éloquente, comment finalement les extrêmes s’entendent très bien sur des sujets de société.
La Pologne d’extrême droite, choyée par les Salvini et les Le Pen, se tient donc à coté de l’Arabie Saoudite qui finance les imams intégristes qui font l’apologie des coupeurs de tête.
On peut comparer cette liste à une allumette qui brûle des deux côtés à la fois : la folie islamiste et fondamentaliste qui gangrène chaque jour un peu plus le monde musulman brûle un bout, l’extrême droite souvent aussi imbibée de religion – il suffit de peser le poids des sectes évangélistes sur l’élection de Bolsonaro au Brésil – brûle l’autre bout.
Nous, les défenseurs de la démocratie, les humanistes sans uniforme de pompier ni extincteur, on se retrouve au milieu, sur un espace toujours plus étriqué.
Qu’est-ce qui est en jeu? La société du futur, et notre devoir citoyen d’entrer en résistance contre toute forme d’obscurantisme.
Penchons-nous un peu sur ces signataires…
Il y a là, l’Amérique de Trump et des rednecks, celle qui porte la Bible dans une main et le fusil dans l’autre, qui sympathise avec les suprématistes blancs et les INCELS, ce formidable groupe qui déteste les femmes et qui voit en Marc Lépine (le tueur de l’École Polytechnique de Montreal) leur inspirateur. C’est l’Amérique de l’Alabama où un médecin qui pratiquerait un IVG peut être condamné jusqu’à 99 ans de prison, c’est l’Amérique où, sous la pression de Donald Trump, vient d’être nommée à la Cour Suprême, la fervente Amy Coney Barrett, membre du groupe des fanatiques religieux «People of Praise», la secte qui aurait inspiré l’écrivaine canadienne Margaret Atwood pour sa «Servante écarlate».
Puis, voilà le Brésil de Bolsonaro, élu grâce à l’argent des églises évangéliques : ces empires financiers (entre autres) qui exploitent la foi des croyants, arrivent à bouger les politiques au sommet de l’État comme des pions et à conquérir des postes clés.
C’est le cas du pasteur Milton Ribeiro, autrefois puissant prédicateur et aujourd’hui… Ministre de l’Éducation.
Le pouvoir des évangéliques au Brésil se chiffre en milliards d’euros. Il suffit de considérer la fortune de Edir Macedo Bezerra, fondateur de l’Église universelle du Royaume de Dieu et propriétaire du Record Group et de RecordTV, le deuxième plus grand diffuseur de télévision au Brésil, qui s’élève à 1200 millions de dollars selon Forbes. Ce monsieur possède 600 temples disséminés aux quatre coins du pays, comme explique la journaliste italienne Gabriella Saba dans son excellent «Un continente da favola» dédié aux histoires insolites qui ont comme toile de fond l’Amérique Latine et ses contradictions.
Les évangéliques et leur prosélytisme ont eu un impact dévastateur sur les populations indiennes, anciennement animistes.
En février de cette année, le prédicateur évangélique Ricardo Lopes Dias a été nommé coordinateur des tribus autochtones isolées pour l’agence gouvernementale des indigènes, la Funai. La stratégie de Bolsonaro, qui ne s’en cache même plus, c’est une évangélisation massive de la population indigène, pour la rendre plus docile à sa politique et pour approcher de force les tribus éloignées, un projet que plusieurs ONG dont Survival International classifient comme «génocidaire». Les femmes et les minorités sont les grandes victimes de son projet politique.
Ailleurs, les choses ne vont pas mieux. On retrouve dans la Blacklist contre l’avortement l’Indonésie, plus grande communauté musulmane au monde avec ses 270 millions d’habitants. L’Indonésie a longtemps été réputée pour son islam modéré auquel se mêlaient les anciens cultes javanais comme l’hindouisme ou le bouddhisme. Mais depuis une dizaine d’années, les choses ont profondément changé. Les franges intégristes, un temps minoritaires, prennent le dessus de la situation et mettent en difficulté les partis modérés. Des ONG dont Amnesty International dénoncent depuis quelques années une nette augmentation d’actes d’intimidations à l’encontre des minorités religieuses. Des centaines d’églises chrétiennes ont fermé. Les communautés indigènes telles que les Batak de Sumatra subissent la pression du prosélytisme musulman. La province de Aceh vit désormais sous la Charia, des milices composées de femmes ont été mises en place pour punir publiquement avec des châtiments corporels les délits de moeurs tel l’adultère. On constate parallèlement une régression des campagnes de sensibilisation contre l’excision, pratique qui concerne 50% des fillettes en dessous de l’âge de onze ans dans le pays.
Toute la région est d’ailleurs concernée par l’avancée de l’islam radical. La Malaisie ne fait pas exception, comme on peut le constater en lisant l’éloquente et violente tribune anti-française écrite par l’ex-Premier Ministre Mahathir Mohamad, selon lequel «les musulmans ont le droit de tuer des millions de français», ces français responsables d’offenser l’islam à coup de caricatures et d’être trop gourmands en liberté au point de permettre aux femmes «de se promener nues»…
Tous les Pays du Golfe avec qui on entretient aimablement des relations d’affaires, font partie des signataires de la liste. Tout le monde y est : de l’Arabie Saoudite au Bahrein, des Émirats à Oman. Des pays où les femmes n’ont aucun droit, où elles vivent séparées des hommes, des pays où les homosexuels sont persécutés, où les travailleurs pauvres venus de l’étranger sont traités comme des esclaves.
Et à côté d’eux, on trouve la quintessence des gouvernements d’extrême droite européens : la Pologne qui invite les femmes à rester à la maison et censure les artistes de genre féminin en annulant leurs expositions dans les grandes villes du pays, et la Hongrie xénophobe et misogyne de Orban.
Tout ce beau monde est d’accord, tout ce beau monde rêve d’un monde autoritaire, où les bigots seraient rois, où les femmes reprendraient docilement un rôle subalterne, où les minorités seraient écrasées, où la liberté d’expression serait concédée au compte-goutte à condition qu’elle «ne froisse pas les sensibilités des uns et des autres», sans considérer qu’une liberté sous conditions, ne s’appelle plus liberté, mais compromis.
Souvenons-nous de cette liste, et de cette dimension d’«hystérocratie» où les âmes sont à fleur de peau, sachons reconnaître les vrais ennemis de la liberté et leurs hypocrites alliés.
Comme le souligne le toujours excellent écrivain tunisien Kamel Daoud, l’islam radical vise avec les attentats et les revendications à frapper le «ventre mou de l’Occident», cette Europe multiculturelle, ouverte et – bien que perfectible – tolérante et démocrate. Cette déstabilisation prévoit une réaction de l’extrême droite, prête à dresser les uns contre les autres, et c’est exactement ce qui est en train de se passer. Quand un ministre de l’Intérieur s’attaque aux rayons halal, là ce n’est même pas une religion qui est visée, mais une culture toute entière. Parallèlement, on donne nos palaces parisiens aux princes saoudiens. On leur vend des armes. On coupe les vivres aux associations laïques qui travaillent dans les quartiers difficiles en laissant la main libre aux associations religieuses. Un État considéré suspect n.1 dans le financement du terrorisme, le Qatar, est en même temps le sponsor du Paris-Saint-Germain. Pour se défendre des islamistes, on laisse libre cours aux Zemmour, aux Ménard, aux Maréchal, aux Le Pen.
On est en train de suivre le scénario, de se comporter exactement comme tous ces gens le veulent. Il est temps de relever la tête avant que ce ne soit trop tard.
- Eva Morletto