Voilà plusieurs semaines que la campagne présidentielle a réellement commencé. Avec des déclarations de candidatures effrénées qui ont pu parfois causer des émules dans les différents camps politiques ; des primaires et congrès qui ont vu émerger des candidats parfois inattendus ; et un Président de la République qui ne cache pas son envie d’en découdre, aux allocutions parfois confondues avec l’exercice de la prise de parole du candidat ; toutes les raisons sont réunies pour croire que nous sommes bien engagés dans la dure bataille vers la magistrature suprême. Bien que ceux-ci avancent parfois leurs pions sans avoir encore de programme clairement défini, chose exclusivement réservée à M. Mélenchon et aux «petits» candidats pour le moment, tous prétendent défendre une vision de la France à l’opposé de l’ennemi qu’ils se sont désignés.
Néanmoins, même si nous sommes en pré-campagne du fait d’une quête des 500 parrainages inachevée pour le moment, force est de constater que cette campagne dégage aujourd’hui une odeur putride. Alimentée par des médias qui sont en quête de la moindre petite phrase pouvant causer un buzz qui ferait grimper l’audimat à grand coup d’éditions spéciales, cette odeur néfaste dégage quelque chose qui nous détourne de cet événement pourtant important pour la vie démocratique du pays. A entendre et lire les citoyens français, de droite comme de gauche, tous se disent dégoutés du niveau de la campagne présidentielle pour le moment. Si le contexte sanitaire a son rôle dans l’extrême lassitude qui parcourt le cœur des français, il est temps d’admettre que ce problème est plus endémique qu’autre chose.
Voilà désormais trois mois que je suis assidûment les actualités de la présidentielle pour animer «La Grosse Election». Je suis le premier attristé du niveau du débat et des propositions qui sont formulées par les candidats. Si la gauche cherche une union qu’elle n’aura jamais, les convictions des candidats et des forces politiques derrière eux étant trop antagonistes sur des points clés ; si la droite préfère jouer à celui qui se différenciera le plus d’Emmanuel Macron, allant parfois jusqu’à l’outrance dans les propos, pour lâcher des petites piques qui font bon genre dans les médias et sur les réseaux sociaux, aucun candidat à ce jour ne présente de projet politique dans le sens noble du terme.
Bien que l’on répète à qui voudra l’entendre que l’élection présidentielle est avant toute chose «une rencontre entre un Homme et son destin», je répudie grandement cette phrase, car elle oublie toute la quintessence que représente ce scrutin si cher aux français. Si l’élection présidentielle mobilise tant le peuple français, cela revient surtout au caractère «visionnaire» que représente ce scrutin. Car elle n’est en rien l’élection la plus décisive pour ce qui est de la décision politique. Un Président sans une Assemblée Nationale à sa couleur politique n’est rien : les législatives sont le véritable enjeu électoral qui mériterait une plus grande mobilisation des français. La représentation nationale est celle qui exerce véritablement la souveraineté de la Nation qui l’a composée, c’est elle qui détient la capacité de faire les lois (de «manifester l’expression de la volonté générale»), de renverser les gouvernements etc.
Cette adhésion des français pour un scrutin initialement symbolique est surtout le fruit de deux éléments qui se répondent. Dans un premier temps, elle est la manifestation d’une thèse officieuse qui connaît une certaine réputation dans les milieux juridico-politiques. Cette thèse soutient que les français n’ont jamais voulu la mort du Roi, et recherche donc perpétuellement une figure capable de remplir son office, et ce, même sur un temps donné. Cela s’illustre à l’importance que l’on peut donner à la figure présidentielle, que l’on juge désacralisée au fur et à mesure que les locataires de l’Elysée se succèdent. Si la version supposant que les français n’ont jamais voulu la mort du roi est sujette à débat, l’attachement que les français témoignent envers des grandes figures comme Napoléon Bonaparte ou le général De Gaulle atteste d’une volonté d’avoir à la tête du pays des personnages agissant comme un phare pour la Nation.
Or, cet attachement envers de grandes figures ouvrent la voie au deuxième élément, qui est directement en lien avec cette déliquescence du lien entre la Nation et son grand rendez-vous démocratique : ces gens possédaient une vision pour la France. Ces individus avaient une idée précise du chemin à emprunter pour le pays et sa Nation. Qu’ils soient belliqueux ou pacifistes, socialistes ou libéraux, démocrates ou autocrates, les grandes figures politiques pour lesquelles certains vouent une admiration ont laissé derrière elles une emprunte suffisante, qui n’est que la traduction de cette vision qu’ils ont porté pour le pays.
Il n’est pas anodin de constater que bon nombre de nos figures politiques passées à la postérité étaient autre chose qu’exclusivement des politiques. Ils pouvaient être hommes de lettre comme grands scientifiques. Ils disposaient d’un bagage suffisant pour avoir une théorie de la Nation, de l’économie, du droit et un attachement suffisant à la patrie pour entreprendre de grands projets qui embarquent les citoyens avec eux, emportant leur adhésion. On remarque alors que cette présidentielle, comme les deux précédentes a minima, est dépourvue de ce genre de figures. Si on s’en tient à ceux que les médias présentent comme étant les «grands» candidats, seuls Jean-Luc Mélenchon ou Eric Zemmour peuvent prétendre à défendre une vision de la France, indépendamment des considérations que l’on peut avoir sur leurs projets.
Mais au-delà de ces deux candidats, dont les personnages officient souvent comme des repoussoirs pour une frange non-négligeable de la population, le néant est de mise. Un grand vide balaie aujourd’hui le paysage politique français, peuplé d’opportunistes en tous genres qui ne se font que les faire-valoir d’une oligarchie soucieuse de préserver ses intérêts privés avant l’intérêt général. Aucun ne présente de véritable vision, de véritable projet censé emmener le pays dans une direction claire. On se contente seulement d’énumérer des propositions qui ressemblent grandement à du démarchage électoral, dans des optiques de communication qui feraient pâlir n’importe quel publicitaire tant ces opérations sont grossières et basses.
A ce jour, seuls les «petits» candidats présentent des projets comparables à des phares dans l’obscurité lancinante que traverse le pays actuellement. Mais au-delà de leur effacement médiatique, la question de l’incarnation demeure. Un Président doit être cette alliance entre une vision et une incarnation du pouvoir suffisamment verticale, pour une population orpheline de grande figure. Si la France est un corps, le Président en est la tête tandis que la Nation est le reste de ce corps. Cette analogie, posée pour illustrer la séparation de la tête du reste du corps opérée en 1793 avec l’exécution de Louis Capet, trouve encore plus d’écho dans cette Vème République hybride puisqu’une relation d’interdépendance existe entre le chef d’Etat et la Nation qui l’a élu. Cet impératif est posé par la forme que revêt la Vème République, à laquelle les français demeurent attachés.
En étant à la croisée des chemins entre présidentialisme et parlementarisme, le Président détient un rôle important, quand bien même il ne serait pas le centre de ce régime. Couplé à un lancement en fanfare sous l’égide d’un général De Gaulle respectueux de la fonction et de la Constitution dont il est l’un des pères, les français ont développé un attachement particulier à cette forme de régime. Cette importance du Président s’est agrandie sous la période Mitterrand. En officiant pendant quatorze années à la tête du pays, avec deux cohabitations, il a su, pour une génération entière, marquer les esprits et imprégner l’importance de la fonction présidentielle pour une grande majorité de nos concitoyens. Or, s’ils n’ont pas le passé littéraire d’un Chateaubriand ou la force historique d’un Napoléon Ier, leurs passages respectifs au palais de l’Elysée montrent que ces hommes possédaient le bagage intellectuel nécessaire à l’exercice de la fonction présidentielle, pouvant alors montrer la marche à suivre pour la Nation (que l’on y adhère ou non). Mais ce bagage est ce qui manque à notre classe politique actuelle.
Si on peut légitimement se poser des questions sur la réelle valeur des convictions qu’ils nous présentent lors de leurs meetings, les discours changeant en fonction des sondages d’opinion, la question du bagage intellectuel se pose dès lors qu’aucun n’est capable de clairement incarner une vision pour la France, matérialisée dans un programme complet et cohérent.
Emmanuel Macron soulignait l’importance de la vision en 2017, il en avait toutefois oublié le programme cohérent qui va avec, jouant plutôt son côté technocratique pour draguer un électorat qui a oublié ce qu’est l’intérêt général. Car si aujourd’hui les candidats mettent en avant leurs compétences pour séduire l’électorat, ces compétences ne valent rien dans un débat censé être démocratique. La personnification du scrutin autour de qualités personnelles n’a d’importance que si le débat démocratique portant sur ces visions et les grands principes politiques, et a fortiori économique, qui les accompagnent a eu lieu. C’était un débat qui fut déjà volé en 2017, après avoir été travesti par un François Hollande, lâche en 2012. Cette campagne pour 2022 suit actuellement le même chemin, bien que l’on évoque timidement les concepts de souveraineté, de liberté, de justice sociale, d’égalité… Sans que ces derniers ne s’imprègnent définitivement dans les discussions politiques, n’étant que des notions vaguement définies et qu’on balaie rapidement d’un revers de main pour animer des antagonismes portant sur des questions subsidiaires à l’intérêt général.
Comment régler la question du renforcement des services publics sans une véritable souveraineté politique ? Comment réduire les flux migratoires sans contrôle des frontières ? Comment jouir de nos libertés politiques quand le frigo est vide le 10 du mois ? Toutes ces pistes programmatiques qu’on débat sur les plateaux télé ne peuvent trouver de véritable sens sans évoquer les grands principes qui les guident ; des principes inhérents à la vision que l’on se fait de la France. Notre pays peut être libéral, socialiste, libertaire, communiste : il ne sera rien tant que l’on ne redonne pas au politique la place qui lui revient, au coeur de la cité, désormais envahie par les écrans hallucinogènes de la société du spectacle.