Malgré le désastre sanitaire que nous vivons en ce moment-même, fruit de la déraison avec laquelle nos élites ont entrepris une casse de notre modèle social, ne sachant plus prévoir, et donc gouverner, notre devoir citoyen fait que nous devons commencer à nous interroger sur l’après Covid-19.
Bien qu’il ne fasse aucun doute que le peuple «prendra les fourches» pour réclamer des comptes aux incapables d’en haut ; que les tribunaux seront engorgés par l’afflux de plaintes contre l’absence d’anticipation de la part de nos ministres ; je préfère interroger sur un autre front à mener une fois la maladie éradiquée : la débâcle de la construction européenne et son aveugle marche vers l’outre-monde. Européistes béats, eurosceptiques convaincus de la possibilité de changer ce funeste organe de l’intérieur, soyez lucides : cet espoir de paix, devenu symbole de la priorisation des intérêts financiers à l’humain, s’est éteint en ce mois de mars 2020.
Cette solidarité européenne que nous clamait haut et fort les chantres du libéralisme n’est qu’un mirage lointain. Le virus nous a rappelé la réalité des faits : des peuples, belliqueux depuis plusieurs siècles les uns contre les autres, aux sentiments patriotiques forts ne peuvent s’entraider lorsque le danger sonne à la porte. L’Italie, suffoquant face à l’étreinte de ce sinistre micro-organisme, rassemble lasse ses forces pour demander du secours à ses voisins, prétendument unis par des valeurs communes. Malheureux soient nos voisins et camarades transalpins : pendant que l’Espagne et la France préfèrent se consacrer à leurs propres malades, l’Allemagne de Merkel, pays censé être le modèle de cette Union, a préféré injecter 1100 milliards d’euros dans l’économie plutôt que dans l’aide sanitaire. Bien entendu, les pays de l’Est n’ont pas transigé à leur habituelle tradition d’isolationnisme, allant même parfois dans l’abject en subtilisant les ressources adressées aux pays en proie à la grande Faucheuse, en témoigne la République Tchèque.
Les peuples européens ne peuvent sentir une appartenance à une même et unique bannière dès lors que chaque gouvernement voisin refusera de venir en aide à celui qui fait face à l’adversité de la vie. Comment développer un sentiment d’appartenance dès lors que nous nous replions sur nous-mêmes au moindre danger ? Comment croire que nous pouvons compter sur un organe prétendu de paix quand ses seules réponses sont des tutoriels pour se laver correctement les mains et injecter sans compter de l’argent pour endiguer le crash boursier à venir ?
Car ici réside l’autre raison de la mort programmée du rêve de Schuman : l’outrancière confiance aveugle au sacrosaint libéralisme. À vouloir consacrer pléthore de libertés, telles que la libre concurrence ou l’autonomie des services publics afin d’absoudre l’État de sa fonction providentielle pour ne se consacrer qu’au régalien, on arrive à une situation où les moyens manquent pour pouvoir gérer correctement ces services. Nous pourrions légitimement croire qu’en période de crise, un sursaut prendrait la Commission afin d’organiser une riposte européenne pour endiguer le développement du virus, mais aussi décharger les hôpitaux de patients en ayant une gestion continentale de la crise. Que nenni ! Il n’en est rien : protégeons avant tous nos entreprises, car après tout le service public hospitalier est une compétence étatique, non ?
Cette casse de notre système de santé est une œuvre européenne avant d’être un ouvrage national : depuis maintenant une vingtaine d’années, les Grandes Orientations de Politique Économique (GOPés) martèlent sans relâche à nos dirigeants de prendre des mesures d’austérité budgétaire, au détriment d’une couverture sociale et sanitaire qui rend vertes de jalousie les autres grandes puissances mondiales.
La débâcle est d’autant plus criante que la droite, qui a toujours défendu l’application de ces GOPés, est devenue une fervente défenseure de la dépense publique, à croire qu’ils seraient prêts à frapper le drapeau tricolore du sceau du marteau et de la faucille ; tandis qu’en face les socio-démocrates rougissent leur couleur politique et semblent prêts à réclamer une sortie de l’Union pour les campagnes nationales à venir. Ces deux tendances, qui nous vendaient les mérites d’une Union Européenne qui protège, se rendent en vérité compte de l’effroyable vérité qui éclate au grand jour : il est impossible d’être protéger par un organisme qui, en vertu de son ADN, demandent de «maîtriser» les dépenses publiques en cédant au privé ce qui devrait être la propriété de tous.
C’est tout un monde qui s’écroule pour ceux qui jusqu’ici croyait en une unité européenne. Bien que notre Président, aveuglé par son dogme, croit en une possible réponse de cet organisme à l’agonie, ne soyons pas dupes : une institution supranationale qui demande de fermer les robinets qui arrosaient une politique sur laquelle reposait l’entièreté d’un système social qui a fait ses preuves depuis des années ne peut répondre décemment à la macabre crise actuelle.
Désormais, la totalité des États membres ont une raison de ne plus faire confiance à la Commission bruxelloise : ce peut être pour des raisons nationalistes, comme nous le voyons maintenant depuis plusieurs années en Europe de l’Est ; ce peut être parce qu’elle a failli à sa promesse de solidarité entre nations, ce qui légitimerait une décision de sortie venant de l’Italie ; enfin, ce peut être car elle est le maître d’ouvrage de la casse de notre service public de santé, que nos gouvernants ont bêtement suivi sans remettre en cause les décisions qui sortaient de cette Commission.
Il est indéniable que des personnalités devront rendre compte une fois la crise terminée, les patients guéris, les morts pleurés et le personnel soignant honoré. Néanmoins, il faudra aussi que chaque artisan de cette entreprise de destruction fasse face à son échec, pour que soit reconstruit un État fort et un service public durable pour le restant des jours qui viendront.