Cet enregistrement m’est arrivé hier dans ma boîte mail.
C’est un confrère, le photographe italien Lillo Rizzo, qui me l’a envoyé.
Lillo photographie le conflit social depuis des années et continue depuis la mise en place de l’état d’urgence. Récemment, son travail s’est concentré sur les manifestations contre les réformes du gouvernement Macron. Alors cet enregistrement l’a intéressé. Le document audio a été enregistré dans un hôpital parisien, on ne dira pas ici lequel pour éviter de mettre en difficulté le médecin qui s’exprime. Le monsieur franco-italien qui s’adresse au médecin est malade, il a de la fièvre et une toux depuis plusieurs jours, il est inquiet car il vit avec sa femme qui avait subi une opération aux poumons il y a quelques années. Il voudrait être dépisté. Voici ce que le médecin lui a répondu, en le renvoyant chez lui, sans test.
Hier soir :
«Français, françaises,
Grâce à nos efforts et aux mesures mises en place on a réussi a contenir le coronavirus en France…».
Pardon ?
Je ne voudrais pas sembler irrespectueuse Monsieur le Président, mais de quelles mesures parlez-vous ? Qu’est-ce qui a été mis en place en France jusqu’à votre allocution d’hier soir pour contenir ce fléau ?
Je crois avoir une réponse Monsieur le Président : rien.
Ah oui, on a dit de ne pas se faire la bise et de se laver les mains en chantant deux fois «happy birthday».
La réalité de ce qui se déroule en France est toute autre, Monsieur le Président, la réalité vous l’écoutez ici, les mots d’un médecin d’un hôpital parisien, un médecin excédé par vos non-dits.
Si on dépistait, on saurait que de nombreux parisiens sont atteints par le Covid-19, on devrait imposer une quarantaine jusqu’à nouvel ordre, «ça coûterait cher» comme dit le médecin, ça chamboulerait vos programmes, donc on ne dépiste plus. Et par conséquent en France «il n’y a pas beaucoup de cas».
Vous êtes malades ? Appelez le 15, si vous arrivez à les avoir, qui vous dira de rester chez vous, de prendre du Doliprane et de vous reposer.
Sauf si vous travaillez à l’Assemblée Nationale ou à l’Élysée, si vous êtes un sportif de haut niveau ou un personnage puissant et célèbre avec les réseaux qui vont avec, alors là vous serez dépisté même en présentant peu ou pas de symptômes et vous aurez droit à un suivi.
Si vous êtes un père de famille de la catégorie du commun des mortels, avec 39°C de fièvre, de la toux et des courbatures, vous pouvez avoir le Covid mais on s’en fiche. Débrouillez-vous. Peu importe si vous allez contaminer votre femme et vos enfants dans votre appartement de 60 mètres carrés qui ne vous permet pas de faire chambre à part. Peu importe qu’après, vos enfants aillent à l’école et répandent le virus autour d’eux, en infectant le personnel enseignant, les petits camarades et leurs familles. Parce que ce cas précis est déjà arrivé, Monsieur le Président, ce n’est pas une supposition, c’est un autre médecin qui me l’a raconté.
Les médecins d’ailleurs, parlons-en… ceux qui ne savent pas quoi faire, qui sont dans le flou le plus total, qui ne sont pas du tout équipés pour faire face à cette urgence sanitaire. Pas de masques, pas de protections suffisantes, pas d’indications précises à suivre.
D’ailleurs, pas de masques non plus dans les pharmacies, pour ceux qui voudraient bien protéger leur entourage.
Sibeth Ndiaye, de son côté – tandis que l’OMS félicitait l’Italie pour ses efforts extraordinaires – lève le petit doigt pour dire que les italiens «n’ont pas SU contenir l’épidémie».
Elle, en revanche, est très contente de communiquer sur le fait que dans les aéroports français aucune précaution n’a été prise…
Je confirme, en effet.
On rentre à Roissy comme dans un moulin, personne parmi le personnel qui vous accueille ne porte un masque ou des gants alors qu’ils sont en contact permanent avec des centaines de passagers venues des quatre coins du monde.
Mais Sibeth Ndiaye et le Président en personne sont «très fiers» du fait que le virus n’ait pas encore atteint la France en de grandes proportions, ils se réjouissent d’un état des choses qui tient juste du hasard ou du miracle.
«Grâce à nos efforts» ? L’autre soir, 3000 supporters se retrouvaient au Parc des Princes pour fêter la victoire du PSG avec de grandes accolades, tandis qu’il y a moins d’une semaine, en pleine alerte sanitaire, 3500 personnes déguisées en schtroumpfs, battaient le record des participants à Landerneau, en Bretagne. Pas un policier, ou que sais-je, un CRS pour disperser ces gens. Les CRS sont plus prompts à disperser et à matraquer les médecins et les infirmiers qui descendent dans la rue pour dénoncer leur condition de travail et le démantèlement progressif de l’hôpital public. Ces mêmes médecins et infirmiers hier écoutaient, abasourdis, vos louanges.
Vous regardez l’Italie de haut, comme si les mille morts à ce jour seraient dus à la «désorganisation», comme si cette tragédie aurait son origine dans les failles d’une nation sous-développée, aux institutions brouillonnes, à un système défaillant.
Détrompez vous, Monsieur le Président. Le nombre de lits disponibles en réanimation est à peu près le même que pour la France : 5000 sur tout le territoire national, et la Lombardie, foyer de l’infection, est une région à la pointe médicalement, avec des établissements réputés, des chercheurs d’excellence ; malgré cela, les victimes augmentent chaque jour, y compris parmi le personnel médical. Une anesthésiste de 50 ans a perdu la vie il y a une semaine.
Dans les villages de la province de Bergame, Cremona, Pavia, les seuls sons qu’on entend sont ceux des cloches des funérailles (auxquelles personne ne participe) et ceux des sirènes des ambulances. Les annonces mortuaires ont remplacé les annonces publicitaires sur les murs de la ville. Des familles ont perdu plusieurs membres, chacun a perdu un ami. Les infirmières demandent qu’on leur prête des iPads, histoire que les condamnés, lucides, puissent regarder encore une fois par Skype le visage de leur fils, de leur neveu, de leur petite-fille. Les morts du coronavirus meurent seuls, Monsieur le Président. Et les malades graves sont de plus en plus jeunes, cette semaine à l’hôpital de Bergame, a été accueillie une cinquantaine d’hommes et de femmes de 40-45 ans, en grave détresse respiratoire. Quelques jours plus tôt, ils étaient en parfaite santé.
C’est une tragédie immense Monsieur le Président, et vous, à quelques kilomètres de ce qui devrait vous effrayer et vous servir de leçon, vous vous limitez à dire, après mille hésitations, qu’il faut fermer les écoles (enfin) et qu’il faut que les gens âgés restent chez eux. Sans consigne véritable. Les activités, les magasins, les lieux de loisir et de culture restent ouverts. Les personnes continuent à aller travailler (avec la contrainte en plus des enfants à la maison). Ces remèdes vagues n’ont rien d’une quarantaine, n’ont rien d’un programme clair pour contenir la pandémie.
Aujourd’hui seulement, quelques 16 heures après votre discours, Édouard Philippe annonce la fin des rassemblements de plus de 100 personnes. Pourquoi ne l’avez-vous pas annoncé hier ? Peur d’être impopulaire ?
Si la Chine, au bout de deux mois, arrive maintenant à s‘en sortir c’est peut-être seulement grâce à une quarantaine stricte et à des mesures draconiennes. Celles que toute l’Europe, plus que jamais menacée, devrait prendre au même moment, tous ensemble, en regardant peut-être le modèle italien.
Vous vous définissez européen et vous l’êtes assurément, Monsieur le Président, alors montrez-le, montrez-nous que l’Europe n’est pas seulement pour vous celle des grandes entreprises à choyer. Soyez transparents avec les français sur la réalité du coronavirus en France comme les autorités italiennes ont su l’être vis-à vis de leurs citoyens. Apprenez à ne pas regarder les autres états membres de haut, cette prétention, cette fois, pourrait coûter un lourd tribut à vos concitoyens.