La République est une et indivisible. C’est l’essence même de la représentation démocratique du pouvoir en France. L’indivision signifie en premier lieu que toute personnalité citoyenne se pense dans une relation d’égal à égal avec tout citoyen républicain, sans reconnaissance de caste ni de privilèges – et encore moins de dérogation. L’indivision embarque en elle un programme commun, qui est justement le régime de la communion laïque à un mode de représentation politique qui se manifeste d’évidence à chacun et qui s’impose, sans autoritarisme, dans l’espace public.
Or les discours politiques aujourd’hui ont progressivement intégré un régime rhétorique qui fait la part belle à la contestation, sans toujours nommer le titulaire du pouvoir contesté. Les «indignés», «les insoumis» partagent un mode de représentation de la parole des minorités qui se caractérise par un «état d’esprit» fait à la fois d’une revendication de légitimité et de hauteur morale mais sans conséquences dans l’action politique autre que la valeur, forcément positive, portée par «le rassemblement». Les révoltes, qui sont le nom que porte l’action violente en politique, sont en revanche assignées à être «en marge» de la forme politique indignée ou insoumise, alors que justement, on pourrait s’attendre à ce qu’elle soit sans cesse au centre du discours :
- des débordements en marge de la soirée électorale (Côté Toulouse)
- Venezuela : affrontements meurtriers en marge des manifestations … (France 24)
- Paris : heurts près du Zénith en marge du meeting de Marine Le Pen (L’Express)
- Guyane : incidents en marge d’un rassemblement devant la préfecture (Le Monde)
- Deux blessés en marge du meeting de Marion Maréchal-Le Pen à … (Sud Ouest)
C’est-à-dire qu’on n’est pas «blessé» pendant qu’on participe à une «manifestation» qui émane d’une conviction politique, on est blessé en marge du rassemblement. Cette dissociation très nette entre le rassemblement politique et l’action, condamnée, rend manifeste un clivage intellectuel symptomatique de la pensée de l’action politique en occident qui cristallise autour du discours et s’affranchit de penser les moyens de l’action – dont on sait depuis Engels que la violence est l’un des leviers majeurs, danger principal de l’ordre établi. Reste que si le «rassemblement» est fortement connoté positivement dans l’imaginaire collectif, encore faut-il s’interroger sur le ciment du rassemblement qui en rend la manifestation légitime.
Qu’est-ce qui peut légitimer un rassemblement humain quand toute action politique est par avance frappée d’interdiction, d’emblée stérilisée ? C’est là qu’interviennent des valeurs presque mystique de partage et de communion des foules qui prennent leur source, à n’en pas douter, dans le sentiment de l’indivisibilité républicaine. Éduqués depuis toujours à penser la République comme une forme de communion des foules portée par la laïcité, les mouvements minoritaires actualisent en quelque sorte le paradoxe qu’il y a à adhérer à la notion d’indivisibilité républicaine tout en défendant une position qui n’est pas partagée par l’ensemble des citoyens. Dans la définition d’une société post-moderne fondée sur le tribalisme, sur la revendication identitaire, ces républicains sont alors fédérés par un sentiment, qui se réalise en discours et qui les agrège. Et tous condamnent l’action subversive en marge, la révolte, qui contredit l’aspiration citoyenne. Cette forme de refoulé définit un nouvel état moral qui est l’essence de la constitution des groupes minoritaires. Mais entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici de motiver le passage à l’acte politique. Il s’agit au contraire de comprendre en vertu de quelle puissance rhétorique les mots employés par les candidats cristallisent une aspiration populaire tout en interdisant la transgression, l’émeute ou la révolte. Le paradoxe pourrait être levé facilement si l’on revenait à une définition simple du partage laïc de l’espace public. Mais en introduisant la légitimité d’un sentiment manifesté par un rassemblement autour de principes moraux, les discours de l’indignation et de l’insoumission ont renouvelé le champ de la pensée politique en décentrant les enjeux de la légitimité d’un courant politique qui n’a plus pour but d’obtenir quelque chose au terme d’une revendication mais bien de restaurer un état corrompu au terme d’une prière commune adressée à la justice sociale, voire au sens commun.
De quoi cette «insoumission», bon sang ne saurait mentir, est-elle le nom dans la politique du Monde Moderne ?
Aller plus haut, plus loin, plus profond
La figure de style de la rhétorique classique qui consiste à ne pas clore le discours en rhétorique porte un nom : c’est une hyperbate. Du grec hyper, «au-dessus» et bainein, «aller» aller plus haut, plus loin, plus profond. C’est presque une faute de syntaxe, comme l’anacoluthe tant redoutée des étudiants de lettres. Enfin, pardon. C’est une faute d’un point de vue du régime juridique du discours. Lorsque l’on prononce un avis, que l’on rend une sentence, le discours – à l’image de la position arrêtée – doit être net. «Tu es coupable». Il y a un avant, et un après. «Qu’on lui coupe la tête» (Alice au pays des merveilles, chapitre VIII).
D’un point de vue poétique en revanche, on peut reconnaître une certaine efficacité à ne pas clore un énoncé, à le laisser continuer comme la promesse d’un temps long, et qui dure, et qui ne s’achève pas…
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
d’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime
Ça dure, c’est long. On s’installe dans un temps inaccompli – une béatitude encore, ce sentiment mystique de la satiété intellectuelle. Transposée au domaine politique, l’hyperbate, le discours qui ne se clôt jamais et qui sans cesse se rallongerait un peu, pose question. Pourquoi rallonger l’expérience de l’instant, si ce n’est pour promettre un avenir vraiment à venir – c’est-à-dire qui n’arrive jamais ?
Or l’hyperbate est loin d’être absente de l’abondante production des discours politiques contemporains. Dans le discours de Bobigny du 16 novembre 2016, Emmanuel Macron commence de la façon suivante :
«J’en entends d’autres qui imaginent que la France peut continuer de descendre en pente douce, que le jeu de l’alternance politique suffira à nous faire respirer et qu’en quelque sorte, après la gauche, la droite et ainsi de suite, parce qu’on l’a toujours fait de la sorte avec les mêmes visages, les mêmes hommes, depuis tant d’années».
Hyperbate (à rallonges, aurait dit feu le professeur de stylistique, Monsieur Molinié). Jean-Luc Mélenchon, dans son discours de la place de la République du 18 mars 2017 dit également :
«Que chacun d’entre nous fasse ce qu’il a à faire. Pour ma part, je prendrai, de tout mon cœur et de toutes mes forces, la part de tâche qui m’est dévolue et je compte bien que chacun d’entre vous en fasse autant».
Encore une ! Dans son discours du premier mars 2017, François Fillon s’exclamait également :
«Que je ne sois pas un justiciable comme les autres, on le voit au simple choix de cette date du 15 mars, deux jours avant la clôture des parrainages, entièrement calculée [la date] pour m’empêcher d’être candidat à la présidentielle».
La liste pourrait être très longue. L’hyperbate, en tant que telle, est une facilité de discours qui a largement pénétré le discours politique. D’un point de vue purement mécanique, cela se comprend. Il faut tenir, et renouveler dans l’auditoire la passion. Et pour ça, rajouter des «et» à la fin de chaque phrase, des «et encore», des «et j’ajoute», des «et ensuite encore» – ça marche !
Mais ce qui est plus frappant, c’est que l’hyperbate parce qu’elle est une revendication à ne pas s’interrompre, occupe une place majeure du dispositif rhétorique du personnel politique. Elle pose un acte de revendication de légitimité en faisant durer l’instant. En saturant l’espace de parole, en feignant de toujours ajouter quelque chose («et j’ajoute, et j’ajoute»), l’hyperbate devient le moteur principal de l’autorité politique en mettant ceux qui l’écoutent en situation de décrypter la cohérence de l’énoncé. Degré zéro de la critique littéraire, certes ! Mais en devenant le moteur d’une herméneutique littéraire, le discours politique se hisse au rang, même le plus bas, de la production littéraire, donc inspirée, donc légitime, donc prophétique (ah Hugo !), donc fondée, donc juste et donc vraie.
Dans le discours politique de l’indignation véritable à l’insoumission
Il se trouve que l’on voit émerger, dans le discours politique, un ensemble de traits qui pose la délicate question de la revendication des minorités dont la légitimité est morale. Parce que l’hyperbate, c’est avant tout du discours, elle joue sur l’expression des sentiments. À ce titre, deux expressions, deux adjectifs fonctionnent dans une relation intéressante depuis maintenant une dizaine d’années et révèlent cette pensée scalaire de l’insurrection progressive. Je veux parler des adjectifs «indignés» et «insoumis». Comment passe-t-on de l’indignation morale à l’idée d’une indignation «véritable» comme valeur de combat ?
Revenons un instant à la structuration sémantique de ces deux mots, qui propose une définition de l’objet. L’indignatio est un mot latin dont l’emploi apparaît de manière très caractéristique à la fin du premier siècle avant notre ère, au moment de la révélation de l’ère chrétienne et des grandes révoltes d’esclaves, pour désigner un sentiment de mépris doublé d’un sentiment de colère en partie lié avec la dégradation des moeurs de ce temps. Juvénal, qui est auteur de théâtre et de satires de la morale de son temps, avait parmi les premiers posé la renommée de l’expression en écrivant :
«Si la nature me l’interdit, l’indignation fait le vers».
L’indignation est donc, pour lui, le sentiment qui inspire les discours de révolte. C’est ce dont se souviendra plus tard Boileau (La colère suffit, et vaut un Apollon) et d’autres encore pour qui l’indignation désigne très clairement la colère qui inspire les discours quand «trop ils ont la haine» comme on dit chez moi.
Quel noble sentiment de l’inspiration politique et de l’engagement. Oui mais… Car il y a un «mais» à cette proposition. L’indignation est bien le mouvement qui partant de la colère engendre l’engagement du discours. Du discours, et pas de l’action. On est en effet bien loin avec «l’indignation» d’une pensée de l’action politique qui découle du discours inspiré. Car, le vrai sentiment de colère qui outrepasse le discours, c’est évidemment celui de la «révolte» ou de «l’insubordination» (le pendant de l’insoumission) qui se dispense des mots pour passer à l’acte et engendrer des mouvements d’une plus grande ampleur, c’est-à-dire les révolutions qui se passent des discours de l’indignation ou de l’insoumission.
L’indignation et l’insoumission, en un mot, sont à l’action politique ce que le coup de foudre est à l’amour, les prémices fabuleuses d’un grand drame.
L’indignation elle est là
L’indignation porte en soi les termes mêmes d’un orgueil, d’une révolte liée à la perception d’une injustice morale d’où naît un discours. Soit que le flux de ce jugement soit descendant (c’est «l’indignité»), soit que ce flux soit montant (c’est «l’indignation»). Il en va d’ailleurs de la «dignité» comme du comique, nous savons tous depuis les études de Bergson qu’il existe deux moteurs du comique. Le premier est lié à la dévalorisation de ce qui est élevé et que l’on nomme le burlesque, le second lié à l’élévation de ce qui est bas et que l’on nomme l’héroïcomique. Eh bien, j’en conclus donc que quand l’indignité est un burlesque qui se prend au sérieux, l’indignation est son pendant héroïcomique. Un même moteur, deux perceptions.
Mais qu’est-ce qui rend ce mécanisme moins drôle, et qui pousse à se prendre au sérieux ? Qu’est-ce qui fait qu’on rit moins et que l’ironie ne suffit plus ? Qu’est-ce qui fait que ça ne passe plus ? Eh bien la réponse est simple, c’est la limite posée par la morale. Et c’est là qu’on entre curieusement dans le politique. Il s’agit de la revendication de légitimité morale qui interdit tout recul. C’est ce moment où la morale abolit tout cynisme et où l’esprit abandonne toute compromission, c’est ce point où la morale revendique la légitimité de construire un discours de dénonciation qui révèle un état d’esprit du sujet, l’indignation reflétant alors le regard que l’auteur porte sur la morale de son temps.
À ce titre, je voudrais revenir sur un épisode marquant du «discours de Besançon». Début avril, dans son discours, le gagnant du premier tour s’est posé ce jour-là en candidat de «l’indignation véritable» (L’Express). «L’indignation véritable» fait l’objet d’une véritable argumentation dans le but de s’approprier une notion plus naturellement revendiquée par le candidat Mélenchon. Dans son argumentaire, il défend une «indignation utile» face aux «indignations d’estrade». Et il ajoute que «l’indignation elle est là, l’indignation elle est chez celles et ceux qui sont là dans cette salle ce soir, qui n’ont pas voulu accepter les règles de la vie politique». Il y revient encore plus tard, sur le mode de l’hyperbate (aller plus haut), en expliquant que «l’indignation elle est chez celles et ceux qui veulent se battre pour les classes moyennes, contre l’injustice sociale et territoriale, (…) qui veulent gagner la réindustrialisation». On observe une gradation dans le système phrastique qui passe par quelques répétitions et par un ensemble de phénomènes de glissements de caractérisation (épanorthoses) qui, de fil en aiguille, font passer de l’indignation morale à une indignation véritable. Il commence par rejeter «l’indignation d’estrade, celle qui consiste à dénoncer et à ne rien proposer» et «l’indignation facile qui propose comme solution de répliquer les recettes d’hier et de dépenser l’argent qu’on a pas», il s’est posé en candidat d’une indignation véritable, profonde, lucide et utile. Bref, c’est une indignation qui se cherche.
Mais ce que je retiens du brillant passage de ce discours, c’est cette expression «elle est là». L’indignation est devenue, dans la définition du discours de Besançon, une présence extérieure, une manifestation d’une force supérieure et transcendante, une égrégore dont la présence est le signe de la victoire – un peu comme l’apparition d’Athéna dans le camp des grecs signifiait leur victoire prochaine ou la présence des Gardiens de la Galaxie dans Marvel signifie l’imminence des bouleversements.
On peut sans doute poser l’idée que sur une échelle critique qui partirait de «rien» et qui progresserait par palier de jugement moral, on verrait assez vite que partant de l’indifférence, nous aurions un schéma de ce type :
Entre l’indignation et le champ de l’action, à la manière du paradoxe de Zénon, s’insèrent les multiples variations portées par l’hyperbate.
On voit ainsi illustrée l’idée fondamentale à savoir que l’hyperbate, par le moyen de la suspension du discours, invite à une fine nuance qui, tout en repoussant l’entrée dans le champ de l’action, construit un clivage entre une indignation fausse et la véritable indignation, capable «d’être là», de se «manifester». Ou comment l’indignation glisse de la morale pour entrer dans le champ de la mystique et surtout, de l’émotion active au coeur de l’homme (chez Juvénal, chez Boileau) à l’émotion passive (qui est une passion) extérieure à l’individu, au milieu des foules et surtout plus au fond de son coeur, immobilisant.
Insoumission, insurgence, insubordination
Cette désappropriation de l’indignation reflète le trajet sémantique d’un autre nom commun lui aussi tiré du champ de la parole : l’insoumission.
L’insoumission est une drôle de notion. Si l’expression regarde du côté du vocabulaire militaire, elle renvoie clairement à la révolte, qui est une «insurgence» – joli hapax né sous la plume de Proudhon dans Pornocratie. Mais plus probablement, l’emploi du terme clairement senti comme marqué à gauche, est reçu comme un état, une manière d’être, un feeling au même titre que l’indignation qui définit celui «qui n’accepte pas de se soumettre à l’autorité dont il dépend» (TLFI, CNRS).
La définition par la négative là encore marque le curseur d’une gradation scalaire du discours s’épargnant le souci de nommer l’action vers laquelle elle tend, sans l’atteindre : l’insubordination. Contre quelle autorité les «insoumis» se positionnent-ils ? S’agit-il des marchés, des patrons, des odieux capitalistes ? S’agit-il, dans une forme de jeu de mot étymologique, de l’Islam ? S’agit-il de la résignation générale ? Ce qui est le plus embarrassant dans cette notion, c’est qu’en ne nommant pas l’autorité contestée, elle acte la soumission première. En un mot, l’insoumission est le sentiment moral de la victime d’un complot. Pourtant, dans la presse, l’adjectif dérivé de l’insoumission est employé comme la marque de fabrique d’un état d’esprit frondeur. Tout est «insoumis»: la France, les péniches, les avions, un jet (Atlantico du 19 avril), l’avenir (Journal des Femmes du 29 mars), le showman (Challenges du 3 avril) et même l’apéro (Voix du Nord du 20 avril)… Dans un tweet du 5 février 2017, Mélenchon proposait un des rares emplois du mot en discours en écrivant «Le sens de ma candidature, c’est l’intransigeance, l’exigence. Je suis le représentant des têtes dures et des insoumis !». En effet, le candidat a peu théorisé l’emploi du nom de son mouvement. Pourtant, l’association avec les «têtes dures» (les têtus), la récurrence du terme pour caractériser le peuple lui-même, tout conduit à penser que l’insoumission est vécue par le mouvement comme une lutte contre la résignation, porteuse donc d’espérances. Et par là-même, contredisant la conduite d’une action politique.
Si l’on reprenait l’échelle graduée de tout à l’heure, il semblerait que l’on puisse proposer une représentation qui nous renseigne sur la motivation de l’emploi du terme dans le discours de Mélenchon :
On retrouve une gradation qui s’éloignant de l’ironie et passant par la résignation avant de cristalliser dans le champ du discours de l’insoumission pour lequel on peut encore proposer une infinie déclinaison :
On voit donc bien représentée ici l’idée que le trajet de l’indignation à l’indignation véritable de Macron est en tout point comparable à celui qui partant de la résignation aboutit à l’insoumission. Dans les deux cas, les sentiments décrits laissent entrevoir le domaine de l’action politique, le moment où la Révolution prend le pas sur l’état d’esprit, sans pour autant jamais franchir la barrière de l’action révoltée.
Suspensions
Bref. Ce que j’ai voulu montrer ici, c’est qu’en jouant l’hyperbate, le double discours de l’indignation et de l’insoumission joue sur la perpétuelle mise en suspension de l’action politique. Le discours insoumis, comme le discours indigné, jouent sur le retrait in extremis du moment du passage à l’acte en exprimant au niveau des foules le retour d’un refoulé jouissif, une forme de frustration collective qui mime dans le discours l’avénement sempiternel du passage à l’acte révolutionnaire tout en s’épargnant sans cesse de devoir signifier le commencement de l’entrée dans le champ de l’action qui lui, au contraire de la parole politique, ne peut plus être suspendu. «Je suis moralement digne, je suis choqué, je suis indigné, je suis indigné véritablement, très, très, encore plus…» et «Je ne suis pas résigné, je suis insoumis, je suis tête haute, je suis debout». Dans les deux cas, l’emploi des deux noms avec leur préfixe privatif, caractérisant un état (stable), orienté du côté du discours, canalise en quelque sorte la revendication de légitimité de la parole et synthétise les enjeux du combat politique dont elle sert la gloire : la parole victorieuse.
Il n’est donc pas étonnant que dans le camp de la gauche, l’opposition entre Macron et Mélenchon ait un moment conduit à opposer la revendication de «l’indignité véritable» à celle de «l’insoumission générale». Les deux expressions sont si proches, d’un point de vue lexical, qu’elles symbolisent à elles seules les enjeux du débat légitime des deux gauches.
Derrière l’emploi de ces deux mots se cachent en fait la légitimité de l’action portée en politique au nom de la révolte morale engendrée par le mépris du réel, et son corollaire, l’espoir progressiste d’un monde meilleur débarrassé des raisons d’être moralement choqués et libéré du joug oppressant de la résignation. Promesse messianique s’il en est d’un monde réenchanté ! Car ne nous y trompons pas, derrière l’emploi de ces deux mots, c’est du présent qu’il est question et du refus de voir dans le présent l’unique horizon de nos espoirs. C’est encore l’idée d’un progrès à travers lequel l’avenir est le lieu protecteur où se développent les espoirs de libération d’où découle la dimension parfois christique des deux candidats à la présidentielle. En posant les bases d’une libération des raisons de s’indigner ou de se résigner, l’insoumission, comme l’indignation, forcent les partisans à regarder au-delà des frontières de leur obéissance présente en leur faisant entrevoir, un instant, les espaces paradisiaques d’un monde où l’indignation véritable a fait naître un monde vraiment libre, un monde vraiment équitable, une nature vraiment naturelle…
L’hyperbate (l’aller plus loin), le retardement dans le discours, c’est la prolongation frustrante et délicieuse de l’expérience de l’instant. Le partisan éprouve alors, par la parole magique du politique, l’émotion de voir durer… encore un peu… la promesse.
Quant à savoir si c’est un bien, nous le saurons bientôt 🙂